Article publié dans l'édition automne 2018 de Gestion

Trois ans après la plus récente réforme, les critiques continuent de s’accumuler, tout comme les cris du cœur du personnel soignant. Bien qu’il se classe parmi les meilleurs au monde, le système de santé québécois a des défis de taille à relever. Tour d’horizon.

En janvier 2018, une jeune infirmière de l’Estrie a lancé un véritable cri du cœur sur Facebook pour témoigner de son épuisement après son quart de travail. Cette nuit-là, Émilie Ricard avait été la seule infirmière en fonction pour s’occuper de plus de 70 patients (avec une infirmière auxiliaire et deux préposées aux bénéficiaires). « Je suis brisée par mon métier… » « Mon système de santé est malade… Mais hey, la réforme est un succès », concluait-elle avec ironie. Partagée plus de 55 000 fois, son histoire devenue virale s’est même rendue jusqu’en Suède.

Trois ans après la plus récente réforme du système de santé, les critiques se multiplient. Un exemple : le Dr Gilles Vincent, un médecin de Trois-Rivières, a décidé de quitter la profession parce qu’il « refuse de continuer à travailler dans [un] système […] qui coule comme le Titanic », écrivait-il dans une lettre ouverte au ministre de la Santé du Québec, Gaétan Barrette. « Je ne veux plus être complice des soins de santé devenus dangereux avec votre réforme », faisait-il valoir auprès des médias.


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Une réforme qui passe mal

La réforme de 2015 a entre autres mené à une plus grande centralisation des établissements avec la création de treize centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS) et de neuf centres intégrés universitaires de santé et de services sociaux (CIUSSS). Plusieurs autres mesures ont été adoptées, dont l’abolition de plus de 1 300 postes de cadre et l’imposition d’un quota de patients à prendre en charge par les médecins. Les objectifs : simplifier l’administration du réseau, offrir à la population un meilleur accès aux médecins de famille et harmoniser l’ensemble des services généraux et spécialisés.

Le système de santé québécois n’en est pas à sa première transformation. « Les problèmes du réseau ne sont pas nouveaux, explique Caroline Parent, chargée de projets au pôle santé HEC Montréal. Cette réforme était-elle la bonne solution ? Sûrement pour régler certaines choses… Mais elle est loin d’avoir tout résolu : il suffit d’observer les problèmes qui explosent partout actuellement. Des solutions ont été mises en œuvre, mais elles ne répondent pas nécessairement aux besoins ni à toute la complexité du système. »

Le Québec compte 243 médecins par tranche de 100 000 habitants, comparativement à une proportion de 230 médecins à l’échelle nationale.

Le jeu des comparaisons

Plusieurs indicateurs permettent d’évaluer la performance d’un système de santé, notamment l’accessibilité ainsi que la continuité et la qualité des soins. Au Québec, on peut se consoler par rapport à certains aspects, mais il y a place à amélioration dans plusieurs autres cas.

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Le manque d’accès

« En matière d’accessibilité, il y a de sérieux problèmes », affirme Alain Rondeau, professeur honoraire de management et directeur associé du pôle santé HEC Montréal. En effet, 340 000 personnes n’ont toujours pas de médecin de famille au Québec. La cible ministérielle de 85 % de la population inscrite auprès d’un médecin de famille n’a pas été atteinte comme prévu le 31 décembre 2017 : à cette date, le taux d’inscription moyen s’élevait à 78,3 % sur l’ensemble du territoire québécois. C’est dans la région de Montréal que le retard est le plus aigu : seulement 66 % de la population de la métropole a un médecin de famille.

Même ceux qui ont un médecin de famille ont parfois de la difficulté à obtenir un rendez-vous ou à pouvoir le consulter rapidement. Et lorsqu’il s’agit de voir un spécialiste, là encore, les délais d’attente sont considérables. Plus de 59 % des Québécois attendent plus de quatre semaines pour avoir une consultation, selon le plus récent rapport du commissaire à la santé et au bien-être. L’accès aux tests diagnostiques est également problématique.

Faudrait-il davantage de médecins pour améliorer l’accessibilité ? En fait, le Québec est une des provinces canadiennes qui ont le plus de médecins par rapport à leur population. Selon l’institut canadien d’information sur la santé, le Québec compte 243 médecins par tranche de 100 000 habitants, comparativement à une proportion de 230 médecins à l’échelle nationale. « On ne manque pas de ressources : les problèmes d’accessibilité relèvent plutôt de l’organisation du travail, affirme M. Rondeau. Il faut trouver des façons de mieux organiser les soins. Les médecins d’ici posent une plus grande diversité d’actes que les médecins ontariens, par exemple, qui confient certaines responsabilités aux infirmières et aux pharmaciens. »

La circulation de l’information entre les différents intervenants pose également de nombreux défis. « Les systèmes ne communiquent pas tous entre eux, une mise à niveau technologique s’impose », soutient Marie-Hélène Jobin, professeur titulaire au Département de gestion des opérations et de la logistique et directrice du pôle santé HEC Montréal. « Il y a aussi un manque de partage des bonnes pratiques qui permettraient d’améliorer le rendement. L’information est communiquée au ministère, mais l’analyse des données prend du temps, tout comme leur publication, ce qui retarde le déploiement dans d’autres établissements. »

Le suivi réussi

Là où le Québec se classe parmi les meilleurs au monde, c’est dans la continuité des soins. « Le défi, c’est d’entrer dans le système, mais une fois qu’on a réussi à franchir cette barrière, on est bien traité, explique M. Rondeau. Il y a eu des changements majeurs dans l’organisation des soins avec l’avènement de la gestion par processus. On a élaboré la notion de trajectoire de soins. Tous les établissements travaillent à améliorer le processus de continuité. C’est dans ce domaine que nous faisons les plus grands progrès. »

Des soins à optimiser

La note du Québec en matière de qualité des soins se situe toutefois dans la moyenne, selon M. Rondeau. « Les soins sont de qualité, mais il faut se demander s’ils ont une valeur ajoutée pour le patient. La plupart des recherches faites dans le monde montrent qu’il peut y avoir jusqu’à 30 % d’actes médicaux inutiles, précise-t-il. Il faut se demander si on pose toujours les bons actes au bon moment. Au Québec, l’évaluation des soins est encore centrée sur la qualité de chacun des actes et non sur la valeur de ces actes pour le patient. Cela représente un coût significatif au bout du compte. »


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Brasser les cartes à nouveau ?

Comment orienter la réflexion sur l’avenir du système de santé québécois ? Faut-il une commission d’étude (une autre !), des états généraux, voire un processus de médiation, comme le suggérait Claude Castonguay, le père de l’assurance maladie au Québec, dans un article publié par le quotidien Le Devoir en mars 2018 ?

« Notre système de santé est extrêmement complexe, explique Mme Parent. On ne peut pas s’attaquer à des enjeux aussi importants en les traitant en silo. Les solutions ne viendront pas d’un seul acteur mais plutôt de la mise en commun de différentes perspectives. Nous devons réfléchir à des mesures qui vont créer du sens à long terme et donner de la cohérence au travail. »

Responsabiliser les citoyens en ce qui a trait à leur propre santé fait aussi partie de l’équation. « Il faut travailler davantage sur le volet préventif, conclut Mme Parent. Notre système est basé sur une approche curative et est très hospitalo-centriste. Si on continue de miser sur le “guérir”, on n’aura pas les ressources nécessaires pour soigner tout le monde. »