Les activités dans le monde de la santé connaissent actuellement une transformation fulgurante, entre autres dans les domaines clinique et technologique ainsi qu’en matière d’organisation des soins et des services. Dans ce contexte, les innovations font collaborer de plus en plus d’organismes. Exemples et réussites.

La médecine devient de plus en plus personnalisée, prédictive, participative et préventive. Alors que l’intelligence artificielle agira bientôt comme un puissant vecteur d’accélération des avancées dans les domaines de la génomique et du diagnostic, le patient et sa famille seront des partenaires très impliqués dans les décisions ayant trait à leurs propres trajectoires de soins et de vie grâce notamment aux objets connectés. Le milieu de la santé sera donc mobilisé par des innovations toujours plus nombreuses et plus diversifiées. Tout en restant basée sur la recherche fondamentale et appliquée, l’innovation sera de plus en plus ouverte et collaborative.

Dès lors, en vertu de cette logique, les organisations ne peuvent plus agir en vase clos : leurs processus d’innovation internes ont besoin d’idées et de connaissances externes pour se renouveler, pour aller plus loin et pour introduire de nouvelles perspectives. Entre en scène l’approche collaborative, qui favorise le débat d’idées et la coconstruction grâce à des espaces et à des communautés d’échanges.

Innovation et humanisation des soins

Le Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine (CHUSJ), à Montréal, a placé au cœur de ses priorités un certain nombre d’expériences en matière d’innovation ouverte et collaborative destinées à humaniser les soins des mères et des enfants. Voici quelques projets intéressants.

innovation ouverte et collaborative en santé

Le laboratoire vivant en humanisant des soins

Plusieurs innovations fondées sur la collaboration et sur la coconstruction sont élaborées au sein de ce laboratoire créé en partenariat avec la Société des arts technologiques (SAT). À titre d’exemple, on a aménagé une salle d’hydrothérapie équipée d’un demi-dôme de réalité virtuelle grâce auquel on immerge littéralement les enfants brûlés dans un autre monde afin de leur faire momentanément oublier leur douleur. Ce partenariat permet aux deux organisations d’innover : le CHUSJ intègre ainsi de nouvelles technologies numériques pour mieux soigner ses patients, tandis que la SAT raffine les méthodes du living lab grâce à des projets concrets en santé.

Le compagnon Mr Young

Créé par trois jeunes entrepreneurs montréalais, Mr Young est un compagnon virtuel (chatbot en anglais) qui permet de dépister le stress et l’anxiété chez les jeunes patients et chez les employés du CHUSJ. Cet outil favorise l’orientation plus efficace des usagers vers les services appropriés. Mr Young aide ainsi les praticiens du CHUSJ à mieux comprendre ces questions délicates afin de mieux les prévenir et d’agir plus rapidement, alors que le CHUSJ permet à l’entreprise de tester et d’évaluer son concept en situation réelle.

Le Hackathon

Afin d’accélérer les processus d’innovation, le CHUSJ a entrepris un projet à long terme avec Hacking Health2 et avec le pôle Mosaic de HEC Montréal. Cette collaboration a permis au CHUSJ d’adopter la méthode des hackathons, ces réunions de quelques jours pendant lesquelles des programmeurs, des professionnels, des usagers et des citoyens travaillent de concert à résoudre un problème bien précis. Cette formule a donné d’excellents résultats en humanisation des soins, notamment grâce à la création d’une plateforme d’innovation et d’une école de gestion contextualisée, deux équipes qui facilitent l’accompagnement du personnel du CHUSJ dans la mise en œuvre de pratiques innovantes. Cette collaboration à trois a aussi donné naissance à la communauté de pratique internationale qui permet d’élaborer une intelligence collective en gestion de l’innovation dans le domaine de la santé. Bref, « 1 et 1 = 3 », comme diraient certains !


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Un exemple d’écosystème d’innovation ouverte

Le CHUSJ a créé plusieurs laboratoires vivants interdisciplinaires et plurisectoriels. L’un d’eux, l’Institut TransMedTech (ITMT), constitue un très bon exemple d’écosystème d’innovation dans le domaine de la santé. Situé au cœur de l’hôpital, à proximité des plateaux cliniques et techniques, l’ITMT a pour mission de concevoir des technologies médicales qui intègrent à la fois les connaissances en sciences de la vie et celles de l’ingénierie. Son directeur, le professeur Carl-Éric Aubin, explique : « Nous avons voulu rassembler des ingénieurs, des équipes scientifiques interdisciplinaires du domaine biomédical, des cliniciens, des administrateurs et des responsables de la mise en œuvre des nouvelles technologies dans le réseau de la santé, des industriels, des étudiants et, bien entendu, des patients. Ils vont participer à un processus de cocréation à partir de nouvelles idées et contribuer à les faire évoluer vers la conception de nouvelles solutions jusqu’à leur validation clinique et leur adoption dans le réseau de la santé. »

Les principaux apprentissages

Ces exemples d’innovation ouverte et collaborative nous apportent trois enseignements fondamentaux qu’on peut regrouper sous les trois grands thèmes ci-dessous.

1. La présence d’un leadership transformationnel

Le leadership nécessaire pour concrétiser les projets prend trois formes bien distinctes : a) stratégique, afin de légitimer les projets ; b) fonctionnel, pour assurer leur réalisation ; c) opérationnel, afin que le personnel s’approprie les innovations.

a) Stratégique : des acteurs clés (le PDG ou les cadres, par exemple) agissent comme parrains des projets d’innovation. Ils sont porteurs d’une vision commune et tiennent le même discours.

b) Fonctionnel : des champions dans les unités de soins sont formellement responsables des projets d’innovation et disposent d’une véritable marge de manœuvre décisionnelle. Ils bénéficient d’un soutien authentique au sein de leur organisation et auprès des partenaires.

c) Opérationnel : des acteurs provenant du cœur de métier du CHUSJ jouent un rôle central qui se manifeste dans le leadership des professionnels cliniques et médicaux ainsi que dans celui des équipes de soins sur le terrain.

2. La capacité d’absorption de l’organisation

L’innovation ouverte et collaborative favorise la formation d’équipes plurisectorielles et pluridisciplinaires qui, œuvrant avec un objectif de cocréation, arrivent à produire des solutions nouvelles qui répondent mieux aux besoins en matière de soins de santé. Or, le système doit être capable d’absorber ces innovations, sinon l’incapacité à leur donner suite risque de produire un effet pervers : la déception plutôt que la mobilisation du personnel.

Trois éléments ont été déterminants pour la réussite des cas illustrés ci-dessus :

a)  les projets d’innovation correspondaient tout à fait au modèle organisationnel du CHUSJ.

b)  les innovations étaient cohérentes avec des éléments clés de la vision du CHUSJ (exemples : la santé personnalisée, l’humanisation des soins, le patient partenaire et sa famille).

c)  les structures de soutien (tant à l’interne qu’avec les partenaires extérieurs) ont contribué à soutenir la mise en œuvre des projets.


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3. La mesure des effets et de la valeur des innovations

À l’instar d’autres pratiques, l’innovation doit être mesurée. Dans le cas du CHUSJ, trois éléments sont à retenir :

a) les objectifs de recherche scientifique ont permis d’évaluer la pratique clinique et les projets d’innovation tout en faisant évoluer la connaissance universitaire.

b) une salle de pilotage a été créée avec des objectifs, des indicateurs et des cibles en matière de performance et d’innovation.

c) les laboratoires vivants encouragent, dès le début du cycle d’innovation, l’évaluation approfondie des besoins et des bénéfices pour le patient et pour son entourage.

Une vision d’avenir

Pour innover, les organisations de soins de santé et de services sociaux doivent s’appuyer sur des approches qui rassemblent plusieurs secteurs et disciplines. On peut ainsi profiter du dialogue fertile avec les domaines des arts, des technologies numériques, du design, de l’architecture, du génie, de l’entrepreneuriat, etc. Rassembler des personnes de tous les horizons au cœur de l’innovation ouvrira la voie à des projets fondés sur une conception holistique et globale de la santé.


Notes

1- Cohendet, P., Grandadam, D., et Simon, L., « Réseaux, communautés et projets dans les processus créatifs », Management International, vol. 13, n° 1, automne 2008, p. 29-44.

2-  Hacking Health est un mouvement international qui favorise la rencontre de professionnels de la santé et d’experts en technologies afin de concevoir des solutions numériques et mobiles destinées à résoudre des problèmes de santé.

c)    Voir « Le pouvoir transformationnel des hackathons », revue gestion, vol. 41, n° 2, été 2016, p. 62-63.