Philippe Colombat, chef du pôle cancérologie-urologie du CHRU de Tours

Philippe Colombat, chef du pôle cancérologie-urologie du CHRU de Tours et président de l'observatoire national pour la qualité de vie au travail des professionnels de santé (France).

Article publié dans l'édition automne 2018 de Gestion

La démarche participative aura bientôt 30 ans. Étudiée par de nombreux chercheurs et régulièrement mise en lumière dans les médias français, cette méthode de gestion a le vent dans les voiles. Mais comment la faire adopter à une plus vaste échelle ? Et que lui réserve l’avenir ? Gestion en a discuté avec le père de la démarche participative, le médecin français Philippe Colombat.

Vous dites avoir défini trois objectifs pour assurer l’avenir de la démarche participative. La formation en constitue le premier, pourquoi ?

P. C. : La démarche participative est obligatoire en France et on sait qu’elle fonctionne. Pourtant, beaucoup de services hospitaliers concernés par cette obligation ne l’ont toujours pas mise en œuvre. Je n’ai pas de statistiques officielles, mais selon mes observations, la démarche participative est implantée dans seulement 25 à 30 % des services où elle devrait l’être en France.

La réticence de certains professionnels fait certes partie des raisons de ce retard, mais la méconnaissance de cette méthode est un autre élément déterminant. Dans les facultés de médecine françaises, par exemple, personne ne parle de gestion, alors que tous les médecins seront un jour gestionnaires. Or, il faut enseigner la démarche participative et donner envie de l’adopter. C’est pour cette raison qu’aujourd’hui, à l’Association francophone des soins oncologiques de support [AFSOS], nous sommes 25 formateurs qui offrons des formations de deux jours sur ce mode d’organisation.

D’ailleurs, un deuxième objectif consiste à écrire un guide de référence qui expliquera comment bien faire une réunion de discussion interdisciplinaire, ce que nous appelons un « staff pluriprofessionnel ». Comme ces réunions sont un élément clé de la démarche participative, elles doivent être bien comprises et conduites avec soin. D’où l’importance d’un guide, qui devrait être terminé à l’automne 2019.

Vous ne voulez pas vous arrêter aux soins palliatifs.

C’est le troisième objectif : généraliser la démarche afin de la rendre obligatoire pour tous les patients atteints d’une maladie chronique plutôt que de la réserver aux patients en soins palliatifs, comme c’est le cas actuellement en France. Cette méthode est la plus appropriée pour prendre en charge la souffrance. Nous avons donc commencé à faire du lobbying politique pour la rendre obligatoire dans ce contexte et pour l’étendre, par exemple, au traitement des patients atteints d’un cancer ou de maladies pulmonaires, rénales ou cardiaques.

La démarche participative pourrait-elle être implantée ailleurs qu’en France, dans les hôpitaux du Québec notamment ?

Certainement. Notre méthode n’a au fond rien de génial : elle existe dans les entreprises libérées. Il s’agit essentiellement d’aménager des lieux d’échanges, destinés à partager de l’information sur le travail en cours, et d’instaurer une démarche projet, qui a pour but de créer des groupes de travail afin de discuter de propositions d’améliorations et de les mettre en œuvre.

Quels seraient les principaux enjeux de l’implantation de la démarche participative au Québec ?

La forme de rémunération peut sans aucun doute faciliter ou complexifier les choses. En France, par exemple, les médecins hospitaliers sont rémunérés au mois, à salaire fixe ; passer une heure en réunion interdisciplinaire n’est donc pas un problème pour eux. En comparaison, les médecins du Québec sont des travailleurs autonomes, et ils sont payés à l’acte. Je crois que ça change un peu la donne, parce qu’il y a pour eux un coût plus élevé à assister à une réunion interdisciplinaire : pendant qu’ils y prennent part, ils ne sont pas payés.

La rémunération à l’acte est-elle selon vous un obstacle insurmontable à la diffusion de la démarche participative ?

Non, je ne crois pas. J’ai bien des collègues français, des médecins qui travaillent dans des cliniques privées, qui ont réussi à implanter avec succès cette méthode dans leur milieu de travail, et ça fonctionne. Mais ça peut être un frein. La culture nationale peut l’être aussi, bien qu’elle puisse à l’inverse faciliter les choses. En France, par exemple, le mode de gestion le plus habituel est plutôt directif et hiérarchique. Au Canada, mes observations me laissent croire que les gens sont plus naturellement portés vers la recherche de consensus et entrent en relation plus facilement de manière égalitaire. C’est certainement un facteur de succès pour la démarche participative. Si cette méthode peut fonctionner en France, elle peut fonctionner partout dans le monde.

Croyez-vous que la démarche participative puisse être utile dans d’autres sphères de la société ?

Absolument. Ce modèle permet de prendre en charge adéquatement la souffrance, quelle qu’en soit la cause. Je dirais que c’est un modèle de prise en charge non seulement du handicap mais aussi, plus généralement, de la souffrance sociale. Il pourrait donc s’appliquer dans les prisons, par exemple, ou dans les quartiers où la vie est difficile.