Article publié dans l'édition été 2018 de Gestion

Les Québécois aiment Netflix et le Club Illico. En ligne, ils fréquentent Archambault et iTunes Store. Ils achètent des tasses à partir du site Internet de Stokes ou dans un commerce de l’Ohio qui utilise la marketplace d’Amazon. Généralement, les taxes à acquitter sont perçues, mais parfois, elles ne le sont pas. Portrait d’un déséquilibre à corriger.

Bien des économistes aiment les taxes de vente (ou taxes sur la valeur ajoutée), car elles sont moins dommageables à la croissance économique et constituent une source de revenu fiable pour les gouvernements. Dans son rapport déposé en 2015, la Commission d’examen sur la fiscalité québécoise proposait d’ailleurs de rééquilibrer le portefeuille de revenus de l’État en misant moins sur l’impôt et davantage sur la taxation des biens et des services… pourvu que l’état puisse réclamer son dû.

Mais le récent débat sur le bien-fondé d’imposer des entreprises comme Netflix a illustré l’ampleur du problème qui couve depuis des années. Lorsque le commerce électronique se situe en marge des fonctions principales des détaillants et des fournisseurs, il est facile de reporter la discussion. Mais maintenant que le commerce électronique de biens et de services explose, comment s’assurer qu’il soit équitable? Netflix, pour ne citer que cette société, comptait un million d’abonnés au Canada en 2011 et quatre millions en 20151. En 2017, des utilisateurs provenant de 53% des foyers anglophones au Canada avaient regardé Netflix au moins une fois au cours de l’année2 sans payer la moindre taxe pour l’obtention de ce service.


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Un retard à combler

Depuis 10 ans, le commerce électronique est en progression constante au Québec. Si le consommateur québécois a déjà été réticent à faire des achats en ligne, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Parallèlement, dans leur offre de produits aux consommateurs, les détaillants québécois ont tardé à investir le web. Ils tentent maintenant de rattraper ce retard sur leurs concurrents, notamment américains et britanniques.

Il revient au consommateur d’acquitter les taxes sur les biens et services achetés auprès d’une entreprise étrangère qui n’a ni filiale ni succursale au Québec si le total des achats totalise plus de 20 $. En vertu d’une réglementation adoptée avant l’arrivée d’internet, le consommateur doit remplir une déclaration de paiement de taxes de vente lorsque des biens sont achetés en ligne et que les taxes n’ont pas été perçues par le vendeur. Or, le nombre de déclarations reçues chaque année par revenu Québec à cet effet n’occupe certainement pas un fonctionnaire à temps plein.

En résultent trois cas de figure distincts : des compagnies québécoises ou étrangères établies au Québec qui sont obligées de taxer leurs biens et services lorsque ceux-ci sont vendus en ligne à des Québécois; des entreprises étrangères qui ne sont pas établies au Québec et qui ne taxent pas leurs produits vendus en ligne à des Québécois ; enfin, des sociétés étrangères qui ne sont pas établies au Québec mais qui taxent volontairement leurs produits lorsque ceux-ci sont vendus à des Québécois (et qui choisissent parfois de ne pas verser les taxes perçues au trésor public).

Deux poids, deux mesures

Revenus du gouvernement du québec provenant des taxes à la consommationÉvidemment, ces situations entraînent des iniquités. Pour un même produit, le consommateur reçoit deux indications de prix : un prix sans taxes si le produit provient de l’étranger et un prix avec taxes s’il provient du Québec. À moins d’être motivé par les vertus de l’achat local, le consommateur va choisir le produit le moins cher. Les détaillants et les fournisseurs de services en ligne québécois n’évoluent pas sur la même patinoire que leurs concurrents internationaux, parce qu’ils n’ont pas les mêmes obligations malgré le fait qu’ils œuvrent sur le même marché.

Selon diverses sources, on évalue entre 100 millions et 300 millions de dollars la valeur des pertes fiscales pour le gouvernement du Québec à cet égard. Le rapport Le commerce en ligne au Québec : passer du retard à la croissance, publié en 2015, faisait valoir que le gouvernement pourrait récupérer des taxes supplémentaires de 193 millions si les détaillants québécois étaient aussi actifs sur le web que leurs concurrents américains. Cette somme est plus élevée que le budget du ministère du Développement durable, de l’environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (163 millions en 2017-2018).

Comment percevoir les taxes

Pour rétablir l’équilibre, il faut percevoir les taxes à la consommation sur l’ensemble des biens et services vendus en ligne, peu importe leur provenance. Sinon, l’État devra se passer d’un sixième de ses revenus en abolissant les taxes à la consommation sur tous les biens et services, peu importe la façon dont ceux-ci sont vendus. Cette dernière solution, radicale, demeure bien sûr théorique. Dans le cas contraire, il reste à déterminer une façon de percevoir ces taxes.

Pour certains, dont le gouvernement fédéral, il est impossible de percevoir les taxes sur les biens et services vendus en ligne, car les détaillants et les fournisseurs de services sont basés à l’étranger, donc hors de portée des autorités canadiennes. Pourtant, plusieurs pays ont réussi à percevoir des taxes sur les biens et services vendus sur le web. Le document Rétablir l’équité fiscale3 cite de nombreux exemples, dont voici un aperçu :

  • L’Australie impose la taxe de vente sur les biens et services vendus en ligne, lorsque la valeur des fournitures vendues annuellement par un marchand étranger à des clients australiens s’élève à plus de 75 000 $AU. Pour déterminer si l’acheteur est bel et bien établi en Australie, on applique le principe de la « conviction raisonnable » (reasonable belief) en se fiant aux adresses de livraison et de facturation, à l’adresse associée à la carte de crédit utilisée ou à l’adresse IP. La plupart des fournisseurs se conforment à cette règle.
  • La Nouvelle-Zélande applique le même principe aux fournisseurs qui vendent sur son territoire des biens ou des services d’une valeur supérieure à 57 000 $NZ. Par ailleurs, elle a simplifié son processus d’inscription et de remise des taxes pour les fournisseurs.
  • En 2002, l’Union Européenne a établi un processus qui impose aux fournisseurs l’obligation de percevoir la taxe de vente. Une fois de plus, l’adresse bancaire ou l’adresse IP de l’acheteur font foi de l’origine de celui-ci.
  • Le Japon oblige les fournisseurs étrangers à percevoir les taxes et diffuse la liste de ceux qui s’y conforment.
  • L’Inde oblige les détaillants et les fournisseurs en ligne à désigner un mandataire chargé de les représenter sur le territoire national s’ils veulent commercer avec ses citoyens. Ainsi, les taxes sont perçues. Ce mandataire est présent sur le territoire indien pour assumer la responsabilité en cas de non-perception.

Le défi à relever

Dans son dernier budget provincial, le gouvernement du Québec a signifié son intention de taxer les biens et services achetés auprès d’un fournisseur étranger sur le web. Un projet pilote avec Postes Canada devra être mis en œuvre. Il n’est pas impossible de percevoir les taxes de vente auprès d’un fournisseur ou d’un détaillant en ligne qui n’est pas établi au Québec. Il faudra cependant accroître la coordination entre les paliers fédéral et provincial afin que la responsabilité de la perception des taxes ne relève plus de l’acheteur, comme c’est le cas actuellement au Canada, mais bien du fournisseur. Malheureusement, la motivation d’Ottawa en ce sens semble, au mieux, faible.

Il est urgent de s’attaquer à ce problème. La renégociation de l’ALÉNA, qui va changer les règles du commerce transfrontalier, de même que l’existence d’outils qui permettent de cacher l’adresse IP d’un ordinateur vont complexifier la perception des taxes. conséquence : le Canada creuse encore plus son retard en matière de modernisation de son régime de perception des taxes sur les biens et services vendus en ligne et, par le fait même, maintient une situation d’iniquité de plus en plus évidente.


Notes

1- Statista – The Statistics Portal, « Number of Netflix paying streaming subscribers in Canada from 4th quarter 2011 to 4th quarter 2015 ».

2- Robertson, S. K., « Netflix leads streaming services in Canada », The Globe and Mail, 20 octobre 2017.

3- Côté, J.-G., Nantel, J., et Wood, L.-A., Rétablir l’équité fiscale – Enjeux du commerce électronique et de la fiscalité au Québec, Montréal, Institut du Québec, 2017, 40 p.