Avec l’évolution des technologies, les commerces doivent gérer des interactions sur plusieurs canaux, du magasin traditionnel aux médias sociaux. Au-delà de la complexité, la nouvelle donne crée des masses de données qui permettent de comprendre toutes les étapes du processus d’achat des clients. Tour d’horizon.

Le commerce électronique grignote sans cesse les parts de marché des magasins traditionnels, c’est-à-dire ceux qui ont pignon sur rue. En 2017, 58 % des adultes québécois ont effectué des achats en ligne, comparativement à 32 % en 2015 et à 22 % en 20101. Parmi les tendances émergentes occasionnées par le raffinement des technologies, le traçage (tracking) de la clientèle fait miroiter des promesses que les détaillants commencent à peine à entrevoir.

Des environnements imbriqués

« Les nouvelles technologies permettent aujourd’hui de suivre le cheminement et le processus d’achat des clients », note Joanne Labrecque, professeure au département de marketing de HEC Montréal. Or, ce processus s’est complexifié avec le développement progressif de l’omnicanalité, qui consiste à conjuguer plusieurs canaux : magasins traditionnels, commerce électronique, appareils mobiles, médias sociaux, etc. Le client peut donc choisir le canal qu’il va utiliser pour faire ses achats, alors que le commerçant a la charge d’assurer la fluidité et la cohérence entre les canaux matériels et numériques.

« Avec tous ces environnements imbriqués les uns dans les autres qui se côtoient et se chevauchent, les consommateurs ont des comportements hybrides. Par exemple, ils peuvent acheter sur internet et aller chercher la livraison en boutique, faire de la recherche d’information sur le web et vérifier l’inventaire avant de se rendre au magasin, etc. », mentionne Mme Labrecque. Avec la nouvelle génération de milléniaux hyperbranchés, l’adaptation de l’offre est impérative, ajoute-t-elle.

La gestion de cet écosystème dynamique doit surtout assurer la fluidité entre les différentes plateformes. « Les nouvelles technologies facilitent les diverses étapes du magasinage, de la recherche d’information sur les prix et sur les produits à la conclusion de l’achat », explique Mme Labrecque. Résultat : les commerçants ont accès aux comportements et aux décisions de leurs clients en temps réel et peuvent les consulter directement.

« C’est aussi la première fois que les technologies jouent à l’avantage des consommateurs. Jusqu’à présent, ce sont surtout les entreprises qui en tiraient profit, car elles les utilisaient pour accroître leur efficacité et pour réduire les coûts », note la professeure, qui insiste pour dire qu’il s’agit ici d’un véritable changement de paradigme.

L’Eldorado des données

Puisque chaque clic du consommateur sur internet laisse une trace, les données produites permettent de comprendre comment les clients naviguent sur le web, de vérifier si une vidéo publicitaire est visionnée ou non, de déterminer ce qui stimule la fréquentation du site d’un commerçant, d’anticiper ce qui mène à un achat, etc.

L’arrivée du téléphone intelligent – qui permet d’interagir avant, pendant et après un achat – a entraîné des changements majeurs, fait remarquer Sylvain Sénécal, professeur au département de marketing de HEC Montréal, qui s’intéresse au comportement des consommateurs sur internet et au marketing sur le web.

« Par exemple, un consommateur peut effectuer une recherche sur son cellulaire lorsqu’il est dans un magasin pour vérifier le prix du produit qui l’intéresse chez des concurrents », explique M. Sénécal. De leur côté, les commerçants peuvent accéder à des données inédites et avoir une idée très précise du processus décisionnel du consommateur. « Nous sommes capables de savoir quels sites les clients ont visités, combien de temps ils y sont restés, quels sont les points d’entrée et de sortie, s’ils ont effectué un achat ou pas, ce qui semble les avoir rebutés, etc. On dispose d’indices qui aident à détecter et à décoder les comportements », précise M. Sénécal.

Par conséquent, le commerçant a tout le loisir de proposer des solutions au client potentiel et d’interagir avec lui, par exemple en lui offrant de l’aide directement en ligne, en lui envoyant un bon de réduction par courriel au moment opportun, etc.

Ces précieuses données contribuent aussi à effectuer un ciblage marketing très pointu dans le but de convertir les clics en achats. À cette fin, il existe de nombreux outils, notamment le référencement organique de produits sur les moteurs de recherche, les activités dans les médias sociaux, le marketing par courriel, la publicité en ligne, etc.

Les médias sociaux ont également un effet sur les relations avec les marques. « Lorsqu’un produit est vanté par un influenceur, c’est une véritable manne pour une marque, car ça constitue une promotion incroyablement efficace et gratuite. À l’inverse, des entreprises coincées dans des tempêtes médiatiques peuvent voir leurs ventes s’effondrer », mentionne M. Sénécal. Puisque l’acheteur peut se défouler dans les médias sociaux s’il est insatisfait, on assiste donc à un véritable renversement de situation dans la prise de pouvoir des consommateurs.

Complexe mais payant

Camille Grange, professeure au département de technologies de l’information de HEC Montréal, s’intéresse tout particulièrement aux fonctionnalités sociales dans le processus de prise de décision des consommateurs. Elle souligne qu’au cours des dernières années, ce phénomène s’est complexifié pour les commerçants. « Auparavant, les clients passaient par un site transactionnel où ils effectuaient des achats. Aujourd’hui, on analyse leurs buts et leurs besoins et on essaie de les satisfaire au moyen de divers canaux et plateformes. On dispose de plusieurs points de contact avec la clientèle, qu’ils soient numériques ou non. Le défi consiste à intégrer l’expérience consommateur dans ces divers environnements en élaborant des fonctionnalités, par exemple une application pour téléphone cellulaire, un catalogue de produits très détaillé sur internet, etc. C’est une façon de dire aux clients : “voici comment on peut interagir avec vous durant tout le processus” », explique-t-elle.

Pour réussir, il faut toutefois franchir certains obstacles, notamment le phénomène de la surcharge informationnelle : comment choisir lorsqu’une recherche sur internet propose des milliers de possibilités pour un seul produit ? « Il faut apporter du soutien dans la prise de décision : des filtres de présélection, un outil pour comparer des produits, etc. », mentionne Mme Grange.

Le récent phénomène d’intégration des médias sociaux dans la prise de décision est également un virage significatif. « Par exemple, si je souhaite acquérir un appareil photo numérique, je peux faire une recherche en fonction des caractéristiques auxquelles mon appareil photo idéal devra répondre, mais je peux aussi demander des conseils à mes amis Facebook. Si nous sommes connectés, c’est qu’il y a des similarités et un lien de confiance entre nous. De façon générale, nous avons observé dans nos études que les environnements sociaux favorisent l’acquisition d’information à la fois inattendue et pertinente, ce qui crée de la sérendipité », c’est-à-dire la possibilité de faire des découvertes tout à fait par hasard, explique Camille Grange.

Car un des grands enjeux des commerçants sur Internet consiste à être visibles, à se différencier de leurs concurrents et à faire vivre une expérience distincte à leur clientèle. « Autrefois, les détaillants pouvaient se démarquer en proposant des produits moins chers sur leurs sites, mais désormais, c’est loin d’être suffisant », fait valoir Camille Grange. Pour y parvenir, ils doivent aujourd’hui tirer parti de tous les outils mis à leur disposition par le numérique, par exemple utiliser les médias sociaux, le référencement et la publicité sur Internet, élaborer du contenu pour leur site, créer un mannequin ou un environnement virtuel afin que les clients puissent essayer les produits en ligne, etc. et de nouvelles possibilités voient sans cesse le jour.

Article publié dans l'édition été 2018 de Gestion


Note

1- NETendance 2017 – Le commerce électronique au Québec, CEFRIO, mai 2018.