Les États-Unis représentent, de loin, le plus grand partenaire commercial du Québec. Mais au moment où il tente d’augmenter sa présence dans plusieurs États, le Québec fait face à de forts vents protectionnistes venus du sud.

Près de 73% des exportations du Québec ont pris le chemin des États-Unis en 2022. «Au total, nos échanges commerciaux avec ce pays s’élevaient à 125,6 milliards de dollars cette année-là, ce qui en fait notre principal partenaire économique et commercial», souligne Vincent Royer, directeur États-Unis au ministère des Relations internationales et de la Francophonie (MRIF).

Charles Milliard, PDG de la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ), fait toutefois remarquer que ces échanges se concentrent beaucoup dans une poignée d’États, notamment le Texas (notre premier partenaire commercial aux États-Unis), la Floride et les États de la Nouvelle-Angleterre. «Nous sommes assez peu présents dans des États importants comme la Californie, le Colorado ou le Minnesota, précise-t-il. Il y a donc encore un gros potentiel de croissance».

La Stratégie territoriale du Québec pour les États-Unis, dévoilée en 2021, prévoit d’ailleurs l’ajout de ressources dans les bureaux de Houston et d’Atlanta, afin de «mieux tirer parti de l’essor économique et démographique du sud-est et du sud-ouest des États-Unis». Vincent Royer rappelle les trois priorités stratégiques du gouvernement du Québec aux États-Unis. «Nous souhaitons nous positionner à la fois comme un partenaire fiable en Amérique du Nord en matière de commerce et d’investissement, comme un allié dans la décarbonation et la relance économique verte aux États-Unis et comme une source d’approvisionnement alternative de minéraux critiques et stratégiques, pour réduire la dépendance de ce pays envers d’autres fournisseurs internationaux», résume-t-il.

Le leadership économique du Québec à l'international

Contrer l’élan protectionniste

Pour atteindre ses objectifs, le Québec devra contrer la tendance au protectionnisme qui se fait sentir aussi bien dans le camp démocrate que républicain. Ces dernières années, des lois fédérales comme le Buy American Act et l’Inflation Reduction Act (IRA) ont conditionné l’accès à des contrats publics ou à des sources de financement public afin de produire en sol américain. En 2023, le président Joe Biden a signé un ordre exécutif qui vise à garder aux États-Unis les activités de recherche et de développement financées par le gouvernement fédéral.

«En réaction à cette politique industrielle, certaines entreprises québécoises installent des unités de fabrication au sud de la frontière, ce qui diminue le niveau des exportations du Québec», souligne Véronique Proulx, présidente-directrice générale de Manufacturiers et exportateurs du Québec (MEQ). 

Afin de lutter contre le protectionnisme, le gouvernement québécois adopte une approche de mise sur pied de coalitions, qui s’appuie sur les différents ministères et le réseau de représentations à l’étranger. Cette diplomatie d’influence constitue une grande part du mandat de la déléguée générale du Québec à New York, Martine Hébert.

«Nous nous efforçons de faire valoir l’importance de protéger la fluidité des échanges entre les États-Unis et le Québec, explique-t-elle. La vision que nous défendons est que la sécurisation des chaînes d’approvisionnement devrait se faire à l’échelle de l’Amérique du Nord plutôt que seulement à l’intérieur des États-Unis.» Elle donne l’exemple d’un projet de loi sur la déforestation adopté l’an dernier par l’État de New York, lequel menaçait de nuire aux exportations québécoises de bois vers cet État. Les représentations du Québec et du Canada ont réussi à faire exclure le Canada de l’application de cette loi.

«Il y a toujours une part de politique et de diplomatie dans le commerce international, admet la déléguée générale. Aux États-Unis, le gouvernement fédéral et les États votent des lois et adoptent des politiques et des orientations qui affectent les entreprises québécoises. C’est notre rôle de protéger les intérêts du Québec.»

Verdir l’économie américaine

En plus du protectionnisme, le déficit de productivité des entreprises québécoises par rapport à celles de l’Ontario et des États-Unis nuit aussi aux perspectives du Québec dans ce marché. «La grande majorité de nos PME exportatrices comptent moins de 100 employés, précise Véronique Proulx. Elles manquent de ressources financières et humaines pour se moderniser et prendre le virage numérique.» La pénurie de main-d’œuvre empêche par ailleurs beaucoup d’entreprises de saisir toutes les occasions de croissance qui se présentent à elles.

Malgré tout, le Québec possède des atouts qui lui permettent de se distinguer sur le marché américain. «Nous avons beaucoup à offrir afin d’accélérer la transition nord-américaine vers une économie verte et décarbonée, croit Vincent Royer, directeur États-Unis au MRIF. Le gouvernement du Québec identifie les occasions d’affaires découlant des nouvelles législations adoptées par l’administration Biden, dont l’Inflation Reduction Act (IRA) et l’Infrastructure Investment and Jobs Act (IIJA).» Ces deux projets de loi consacrent des investissements majeurs à la décarbonation de l’économie américaine.

«Que ce soit l’énergie propre, les minéraux critiques et stratégiques ou encore l’expertise en électrification des transports, le Québec est bien positionné dans ces secteurs névralgiques de l’économie de demain», assure Vincent Royer.

Le Québec est déjà le premier exportateur d’électricité aux États-Unis. En novembre 2021, Hydro-Québec a signé un contrat avec l’État de New York concernant l’exportation de 10,4 TWh d’électricité vers la métropole américaine durant 25 ans. La construction de la ligne qui reliera le poste Hertel de La Prairie à la ville de New York a débuté le 19 septembre 2023.

En mai 2023, une vingtaine d’entreprises québécoises, dont Lion Électrique, Nova Bus et Exprolink, ont présenté leurs produits lors d’une semaine de la mobilité durable organisée conjointement par la Délégation générale du Québec à New York, la Ville de Philadelphie et la Southeastern Pennsylvania Transportation Authority, une compagnie de transport en commun de la Pennsylvanie.

«Cette percée a été rendue possible grâce à une mission de la délégation de New York un an et demi plus tôt, pendant laquelle nous avions pu nous entretenir avec la mairesse de Philadelphie et la commissaire aux transports de cet État», souligne Martine Hébert.

Séduire les investisseurs

Le Québec compte aussi sur ses secteurs traditionnels d’exportation. En 2020, les produits les plus vendus aux États-Unis restaient en effet l’aluminium, les aéronefs et moteurs d’aéronefs, le papier, le bois d’œuvre, les camions, les formes primaires et les produits semi-ouvrés de métaux non ferreux et de leurs alliages, ainsi que les produits pharmaceutiques et médicinaux.

Les États-Unis étaient par ailleurs la première source d’investissements directs étrangers au Québec en 2021. En mars 2022, General Motors annonçait la construction à Bécancour d’une usine de cathodes, utilisées dans la fabrication de batteries. Ce projet évalué à 500 millions de dollars devrait créer 200 emplois. Le gouvernement du Québec en financera une partie. La pharmaceutique américaine Moderna bâtira un centre de recherche et une usine de vaccins à ARN messager. Elle produira environ 30 millions de doses par année et emploiera de 200 à 300 personnes. Il s’agira de la première usine de Moderna à l’extérieur des États-Unis.

«Nous pouvons compter sur un traité de libre-échange qui facilite nos rapports avec les États-Unis, et le taux de change entre nos devises est généralement à l’avantage de nos exportateurs, note Charles Milliard. Les obstacles sont politiques. Nous sommes parfois une victime collatérale de politiques protectionnistes qui visent plutôt la Chine ou l’Europe. Nous devons donc rester vigilants.»

D’autant que le spectre de Donald Trump plane sur les prochaines élections américaines. Lors de son premier passage à Washington, il avait imposé des tarifs sur certains produits, comme l’acier et l’aluminium, et remis en question l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA), transformé depuis en Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM).