Afin de diversifier ses échanges commerciaux, le Québec se tourne vers l’Europe, mais aussi vers la région indo-pacifique. Ces deux vastes territoires sont marqués par des bouleversements géopolitiques majeurs, qui ont des impacts sur le commerce international.

L’Europe compte plusieurs des plus importants partenaires commerciaux du Québec, comme l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Suisse et la Belgique. En 2022, la valeur des exportations dans ces sept pays dépassait 9,4 milliards de dollars, sur les 11,7 milliards que représentaient les exportations vers l’Union européenne et le Royaume-Uni.

«Le continent vit de grandes incertitudes en raison de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, des tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine, et du ralentissement économique qui touche le géant asiatique», souligne Elisa Valentin, sous-ministre adjointe, Europe, Indo-Pacifique et affaires institutionnelles, au ministère des Relations internationales et de la Francophonie (MRIF).

L’Union européenne a des plans ambitieux pour verdir son économie et sa production d’énergie. En mars 2023, ses États membres ont adopté un objectif de 42,5% d’énergies renouvelables dans le mix énergétique européen d’ici à 2030. «Cela crée beaucoup de débouchés pour nos entreprises en matière d’énergies renouvelables, de transition énergétique, d’électrification des transports et de technologies vertes», se réjouit Elisa Valentin.

Le leadership économique du Québec à l'international

Un accord sous-utilisé

Le Québec peut tirer son épingle du jeu dans des secteurs comme l’aérospatiale, la construction d’infrastructures et l’industrie forestière, mais aussi du côté des jeux vidéo et de l’intelligence artificielle (IA). En 2022, le chancelier allemand Olaf Scholz, en visite au Québec, a d’ailleurs effectué un arrêt chez Mila, à Montréal, pour parler d’IA.

L’entrée en vigueur provisoire de l’Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et l’Union européenne (UE) en 2017 devrait représenter un atout supplémentaire pour le Québec. Mais ce dernier en profite encore trop peu. Ses exportations vers l’UE ont progressé de 12% entre 2016 et 2021, mais celles de l’UE vers le Québec ont grimpé deux fois plus pendant la même période.

«Il y a tellement d’occasions à saisir dans le cadre de l’AECG, affirme Elisa Valentin, qui occupait récemment le poste de déléguée générale du Québec à Munich. C’est sûr que l’Europe reste moins familière que les États-Unis pour nos entreprises, mais nous sommes là pour les accompagner.»

«Nous», ce sont notamment les quatre délégations générales du Québec sur le Vieux Continent (Paris, Munich, Bruxelles, Londres), la délégation de Rome et le bureau de Barcelone. Ce réseau aidera à mettre en œuvre la Stratégie territoriale pour l’Europe du gouvernement du Québec, présentée en 2022. Elle vise à mieux positionner le Québec dans les chaînes de valeur européennes et dans le secteur de l’environnement et du développement économique durable, en plus de multiplier les partenariats en recherche.

Les sirènes de l’Indo-Pacifique

Le Québec montre également ses ambitions du côté de l’Indo-Pacifique, une zone de 40 États qui s’étend des 14 pays insulaires du Pacifique (Fidji, Samoa, Tonga, etc.) jusqu’au Pakistan. Depuis 2008, le déplacement du centre de gravité économique vers cette région du monde s’est accéléré. On prévoit qu’elle devrait générer la moitié du PIB mondial d’ici 2040.

On y trouve bien sûr la Chine, le deuxième plus grand partenaire commercial du Québec, mais aussi d’autres partenaires importants comme le Japon, la République de Corée et l’Inde. «Le Québec a noué des relations économiques très fortes avec plusieurs pays de la région, qu’il tente de maintenir dans des paramètres politiques changeants», explique Frédéric Lasserre, professeur à l’Université Laval et titulaire de la Chaire de recherche en études indo-pacifiques.

L’acrimonie entre les États-Unis et son grand rival asiatique n’est un secret pour personne. «Les relations sino-canadiennes se sont aussi dégradées ces dernières années», rappelle Frédéric Lasserre. L’arrestation au Canada de la numéro deux de Huawei, Meng Wanzhou, l’emprisonnement de Michael Spavor et de Michael Kovrig en Chine ainsi que les soupçons d’ingérence chinoise dans les élections canadiennes de 2021 ont notamment miné la relation entre les deux pays.

Des concepts comme l’économie d’affinité, le dérisquage et le découplage, populaires aux États-Unis, invitent en outre les pays occidentaux à se détourner de la Chine en faveur d’autres acteurs de la région. «Auparavant, lorsque le Québec et le Canada parlaient de diversifier leurs rapports commerciaux, c’était par rapport aux États-Unis, mais depuis quelques années on parle beaucoup de diversifier les partenaires asiatiques pour réduire la dépendance à la Chine», explique Zhan Su, professeur de stratégie et de commerce international à l’Université Laval.

Ce dernier ne voit pas l’intérêt du Québec de se fermer le marché chinois. «Nos entreprises exportatrices ont besoin de nouveaux marchés, et la Chine a soif de technologies de pointe et d’investissements étrangers et représente un gros marché de consommation, fait-il valoir. Donc, il y a encore beaucoup d’occasions d’affaires.»

Québec en est conscient. Sa plus récente stratégie sur ce territoire ambitionne la création d’une relation commerciale plus solide et plus soutenue avec la Chine. Il maintient des bureaux à Beijing et Shanghai ainsi que des antennes à Qingdao et Shenzhen.

L’État québécois souhaite aussi approfondir ses relations avec d’autres partenaires traditionnels comme le Japon et la République de Corée. Investissement Québec international a d’ailleurs augmenté ses effectifs en République de Corée, au Japon et à Singapour dans le but de mieux positionner le Québec dans la filière batterie.

La province s'intéresse également aux économies émergentes. «Les États de l’Asie du Sud-Est comme le Vietnam, la Thaïlande et l’Indonésie affichent une belle croissance et offrent des marchés de consommation attrayants», souligne Frédéric Lasserre. Aldo, par exemple, connaît un grand succès au Vietnam.

Le géant indien

Le Québec souhaite aussi se rapprocher de l’Inde, qui tente de bénéficier de la volonté de certains pays occidentaux de réduire leur dépendance à la Chine. Cette volonté s’est heurtée à la dégradation des relations entre le Canada et l’Inde, notamment depuis que le premier ministre Justin Trudeau a soutenu en septembre 2023 que des agents indiens auraient joué un rôle dans l’assassinat, au Canada, d’un militant sikh. Cette déclaration a donné lieu à des expulsions de diplomates, à la suspension du traitement des demandes de visas des citoyens canadiens et même à des attaques informatiques sur des institutions politiques canadiennes.

Ces tensions ont mis sur la glace les discussions entre les deux pays au sujet de la signature d’un accord de libre-échange, alors que les échanges commerciaux entre les deux pays augmentent rapidement. La valeur des exportations du Québec vers l’Inde a presque doublé entre 2021 et 2022, pour s’établir à 1,15 milliard de dollars. La valeur des importations a grimpé de près de 54%.

«Beaucoup de pays courtisent l’Inde pour sa classe moyenne émergente, dont le pouvoir d’achat augmente, ce qui ouvre un marché de consommation alléchant, affirme Francis Paradis, directeur du Bureau du Québec à Mumbai. Cela reste aussi un pays en développement qui a des besoins énormes en matière d’infrastructures, de transports, d’énergie, d’eau potable, etc.»

L’Inde est un pays d’immenses contrastes. En 2014, le premier ministre Narendra Modi lançait un plan d’envergure dans le but de construire 130 millions de toilettes, une commodité dont 600 millions d’Indiens étaient alors privés. «Mais, en 2023, l’Inde a réussi le premier alunissage sur le pôle Sud de la Lune et se révèle forte dans des industries de pointe comme le génie et l’informatique», souligne Francis Paradis. Les besoins de l’Inde couvrent donc un large spectre, qui va de la satisfaction des besoins de base à l’intelligence artificielle et à l’aérospatiale.

L’Inde s’industrialise beaucoup et les coûts de production y sont maintenant moins élevés qu’en Chine. Elle reste assez protectionniste et ne souhaite pas que des entreprises viennent chez elle uniquement pour vendre. Elle recherche des partenaires qui s’y établiront afin de produire et de faire travailler ses habitants. «L’Inde impose souvent des tarifs très élevés à l’importation, qui diminuent ou disparaissent si vous fabriquez chez eux», avise Francis Paradis.

Elle n’est pas la seule à présenter ce type de défis. «L’économie, dans plusieurs pays indo-pacifiques, reste très contrôlée par les pouvoirs politiques, qui veulent profiter d’échanges plus libres, mais craignent que cela freine le développement de leur secteur manufacturier», note Frédéric Lasserre. La présence de représentants politiques du Québec dans cette région est donc nécessaire pour établir des liens de confiance avec ces gouvernements.

L’Indo-Pacifique

Le concept d’Indo-Pacifique est hautement idéologique. La Chine ne le reconnaît d’ailleurs pas et utilise plutôt le terme Asie-Pacifique. Il aurait été employé une première fois en 2007 par le directeur de la National Maritime Foundation, à New Delhi, avant que l’ex-premier ministre du Japon Shinzo Abe ne le reprenne officiellement. Il incarne, pour les États-Unis et ses alliés, une volonté de protéger un Indo-Pacifique libre et ouvert, qui se confond pour certains avec le désir de contenir la montée de la Chine en collaborant davantage avec ses rivaux régionaux, notamment le Japon et l’Inde.