La Francophonie représente un potentiel économique fort intéressant pour le Québec, qui tarde cependant à en profiter. Le gouvernement du Québec et plusieurs autres acteurs se mobilisent pour changer cette tendance.

Parfois un peu trop concentrées sur leur voisin américain, les entreprises québécoises sous-estiment le potentiel économique de la Francophonie. «Pourtant, il est bien réel», signale, chiffres à l’appui, Hélène Drainville, sous-ministre adjointe, Relations Afrique, Francophonie et affaires multilatérales, au ministère des Relations internationales et de la Francophonie (MRIF).

Elle a également mis en relief les données qui témoignent du gigantesque marché que constitue cet espace. Les 88 États et gouvernements membres, associés ou observateurs de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) représentent 1,4 milliard de personnes (dont environ 327 millions de francophones), soit 18% de la population mondiale. Ils comptent aussi pour 20% des échanges commerciaux, 16% de la richesse et 14% des ressources minières et énergétiques.

Pourtant, selon l’Alliance des patronats francophones, les échanges commerciaux induits par le partage du français entre pays francophones génèrent aujourd’hui seulement 6% de la richesse par habitant en moyenne et 0,2 point de taux d’emploi.

Le leadership économique du Québec à l'international

Cap sur l’Afrique

«Les deux tiers des locuteurs de notre langue se trouvent en Afrique, et cette proportion devrait grimper à 85% d’ici 2050», rappelle par ailleurs Hélène Drainville. Le gouvernement québécois a lancé, en décembre 2021, sa Stratégie territoriale pour l’Afrique, qui prévoit notamment l’octroi d’une enveloppe de plus de 50 millions de dollars à Investissement Québec pour accompagner les entreprises qui souhaitent exporter sur ce continent. Le Québec a aussi réaménagé les bureaux de sa Délégation générale à Dakar, au Sénégal, où le personnel a doublé depuis deux ans. Le Québec compte en outre des bureaux à Abidjan, en Côte d’Ivoire et à Rabat, au Maroc.

Si la solidarité internationale représente depuis longtemps un lien fort entre le Québec et l’Afrique, où plus de 40 organismes de coopération internationale de chez nous s’activent actuellement, les rapports économiques demeurent plus timides. En 2022, selon l’Institut de la statistique du Québec, le Québec a exporté pour 4 milliards de dollars de marchandises vers le trio France, Suisse, Belgique. En comparaison, la valeur des exportations vers ses six plus grands marchés de l’Afrique francophone[1] atteignait à peine 320 millions de dollars.

«Le PIB des États africains augmente en moyenne de plus de 4% par année et, dans certains pays, comme la Côte d’Ivoire et le Sénégal, cette croissance dépasse 6% ou même 8%, fait remarquer Hélène Drainville. Nous ne voyons pas beaucoup ça sur d’autres continents.»

En un peu plus de trois ans, huit coups d’État ont ébranlé l’Afrique centrale et l’Afrique de l’Ouest; les deux plus récents ayant eu lieu au Niger et au Gabon. Plusieurs pays de la région, dont le Mali et le Burkina Faso, tentent d'endiguer la progression de groupes djihadistes sur leur territoire. Hélène Drainville ne croit pas que le contexte politique ou la sécurité fragile dans certains pays d’Afrique francophone soit un argument suffisant pour se détourner de ces marchés.

«D’autres marchés présentent des défis, avance la sous-ministre adjointe. C’est le cas dans des pays anglophones, notamment en Afrique. L’Afrique est un vaste continent et nos entreprises peuvent trouver des pays et des secteurs qui leur offrent des conditions très favorables.»

La grande mobilisation

Hélène Drainville se réjouit de constater que l’écosystème économique québécois se mobilise de plus en plus en faveur d’une augmentation des échanges commerciaux dans la Francophonie. La création de l’Alliance des patronats francophones en mars 2022, à Tunis, témoigne de cette volonté.

Basé à Paris, ce regroupement de 29 organisations professionnelles (qui représentent surtout des microentreprises et des PME de 28 pays sur 5 continents) est devenu le premier réseau d’entreprises de l’espace francophone. Karl Blackburn, président et chef de la direction du Conseil du patronat du Québec (CPQ), en est le vice-président et le trésorier. Son organisme avait déjà signé, en août 2021, la Déclaration de Paris sur le renforcement de la francophonie économique, qui a mené au lancement de l’Alliance.

Dans la foulée de la création de ce regroupement, le gouvernement du Québec a confié au CPQ 400 000$ sur deux ans afin d’améliorer le positionnement du Québec au sein de la Francophonie économique. «L’Alliance souhaite agir comme facilitateur pour augmenter les échanges commerciaux entre les entreprises des États et des régions francophones, explique Karl Blackburn. Nos entreprises ont besoin d’accéder à des réseaux dans ces endroits, et nous pouvons les y aider.»

En juin 2023, l’Alliance a tenu à Québec la troisième édition de la Rencontre des entrepreneurs francophones, qui a rassemblé plus de 800 participants d’une trentaine de pays. Louise Mushikiwabo, secrétaire générale de l’OIF, était présente.

L’organisation compte aussi sept groupes de travail. «L’un d’eux planche notamment sur un projet pilote visant la mise en place d’un visa d’affaires francophone dans le but de faciliter la libre circulation des gens d’affaires dans la Francophonie», illustre Karl Blackburn. D’autres groupes partagent des informations sur les grands projets d’infrastructures dans les différents pays, sur le financement des projets de transition énergétique ou encore, sur l’accompagnement des jeunes pousses francophones.

La Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ) met également la main à la pâte. «Au Québec, nous adoptons souvent une posture défensive lorsque nous parlons du français, en raison de notre position en Amérique du Nord, mais à l’international, cette langue vit une forte croissance, souligne le président-directeur général, Charles Milliard. Nous l’oublions, mais c’est la troisième langue d’affaires dans le monde.»

La Fédération s’efforce donc de sensibiliser ses membres et de leur faire connaître les marchés francophones, notamment dans le cadre de son programme Corex. Elle se soucie en outre de développer la francophonie économique en Amérique du Nord et même au sein du Canada. Elle fait partie des membres fondateurs de l’Alliance de la francophonie économique canadienne (AFEC), avec le Conseil de développement économique de l’Alberta, le Conseil économique du Nouveau-Brunswick et la Fédération des gens d’affaires francophones de l’Ontario.

«Cette alliance servira à promouvoir l’espace francophone canadien en tant que vecteur important de croissance pour les entreprises et à intensifier les collaborations et les échanges entre les entreprises de cet écosystème, indique Charles Milliard. À terme, l’AFEC devrait avoir au moins un représentant par province.»

En août 2023, la FCCQ a aussi obtenu un financement de 875 000$ sur deux ans de la part du gouvernement québécois, dans le cadre du lancement du programme «Développer des affaires en français». Cette initiative vise à augmenter la présence de cette langue dans les petites entreprises de l’Outaouais, de la Montérégie et de l’Estrie.

Le leadership du Québec

Le gouvernement du Québec ne reste pas non plus les bras croisés et s’efforce d’accroître son influence, notamment au sein de l’OIF. «Nous exerçons beaucoup de leadership au sein de la francophonie économique, assure Hélène Drainville. Nous avons d’ailleurs été élus à la présidence de la commission économique du Conseil permanent de la Francophonie[2] en mars 2023, après avoir joué un rôle majeur dans l’élaboration et la mise en œuvre de la Stratégie économique pour la Francophonie de l’organisme.»

Cette stratégie compte cinq axes d’intervention, dont l’intensification des échanges commerciaux et des investissements. Depuis 2022, l’OIF organise d’ailleurs des missions économiques et commerciales dans les secteurs de l’agro-industrie, des énergies renouvelables et des biens et services numériques, des domaines importants pour le Québec. Les deux premières ont eu lieu au Cambodge et au Vietnam, puis au Gabon et au Rwanda. Le Québec en accueillera une en 2024.

«Pour que la Francophonie développe son potentiel économique, nous devons continuer d’augmenter la fréquence et l’intensité de nos rencontres et de nos échanges», affirme Hélène Drainville.

Retombées économiques de la Francophonie pour le Québec

258,4 millions de dollars

Dépenses de l’écosystème de la Francophonie au Québec de 2016 à 2020

2,18$

Retombées économiques générées pour chaque dollar investi par le gouvernement du Québec dans la Francophonie

Source : Raymond Chabot Grant Thornton, Étude sur les retombées économiques de la présence du Québec en Francophonie, 2021.


Notes

 

[1] Par ordre d’importance : Algérie, Sénégal, Maroc, Côte d’Ivoire, Burkina Faso et Tunisie.

[2] Une instance responsable de la préparation et du suivi du Sommet de la Francophonie, qui est l’instance suprême de l’OIF.