Article publié dans l'édition automne 2016 de Gestion

Les entreprises familiales sont épaulées par une multitude de professionnels de tous les horizons. Pourtant, leurs défis sont exacerbés par la dimension familiale de leur organisation. Comment les professionnels peuvent-ils intégrer cet aspect pour mieux les aider ?

Que ce soit au début, lors de l’incorporation de leur société, ou à la fin, au moment de la dissolution ou du transfert de celle-ci, les entrepreneurs et leurs familles reçoivent le soutien de plusieurs conseillers à toutes les étapes de leur parcours. Pourtant, force est de constater qu’il est rare que ces professionnels aient pu suivre des cours spécifiques sur la dimension familiale des affaires pendant leur formation. Il est donc important de bien mesurer les forces en présence et de prévoir les embûches qui se dresseront lors de la mise en application de certaines recommandations ou procédures qu’un professionnel aura finement conçues pour répondre aux besoins d’une entreprise.


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Comprendre les valeurs familiales

Bien souvent, les professionnels n’ont pas accès à la dimension familiale de l’équation. Pourtant, celle-ci a une grande portée dans le quotidien de cette organisation. Les valeurs familiales, notamment, ont une influence indéniable sur plusieurs décisions capitales au sein d’une entreprise. Cet effet est quelquefois difficile à cerner, mais il explique souvent pourquoi des recommandations qui semblent raisonnables et évidentes à première vue ne seront pas prises en compte.

Cette influence varie selon les familles. Certaines d’entre elles ont des valeurs qui favorisent le développement de l’entreprise, par exemple la résilience, la compétence, le sacrifice et le bien commun, pour n’en citer que quelques-unes, alors que d’autres, à l’opposé, semblent valoriser davantage le pouvoir, l’autorité et le gain à court terme. L’historique, la tradition et la culture familiale se manifestent également au quotidien. Les façons de faire de l’aïeul et les raisons pour lesquelles il s’est établi dans la région et a créé son entreprise reviennent souvent à l’avant-plan dans les discussions et influent sur le processus décisionnel.

D’autres aspects historiques peuvent eux aussi se manifester mais ne pas être exprimés, et c’est souvent ceux-là que le professionnel peut ne pas capter mais qui peuvent compromettre la mise en œuvre d’une intervention qui, dans d’autres circonstances, aurait toutes les chances de réussir.

Des limites floues

Non seulement il y a chevauchement entre la famille et l’entreprise mais la délimitation est floue et varie selon les entreprises familiales. Voici quelques exemples :

  • Lors d’une planification stratégique, l’option consistant à continuer de percer dans de nouveaux marchés ne correspond pas à la volonté de la famille de garder ses membres près d’elle.

  • La réglementation de la société en matière de rémunération ou de vacances s’applique différemment à un enfant du propriétaire.

  • Le défi que doit relever un supérieur immédiat en ce qui concerne l’évaluation et la gestion des enfants du propriétaire peut le mettre dans l’embarras.



Une autre différence que le professionnel doit saisir est la complexité de la notion de propriété dans une entreprise familiale, car elle va bien au-delà de la détention des actions de la société. Le sentiment de propriété émotive chez certains membres de la famille – ceux qui ne détiennent aucun titre de propriété mais qui, dans leur for intérieur, se perçoivent comme étant davantage propriétaires que certains actionnaires – doit être pris en compte. Leur sentiment d’appartenance à l’entreprise est indéniable et un professionnel se doit d’être sensible à leur présence et à leur influence.

De plus, la diversité des structures de propriété des familles en affaires dépasse parfois l’imagination. Que leur raison d’être soit d’origine historique ou fiscale, cela crée des situations complexes. La présence d’actionnaires minoritaires ou inactifs peut aussi compliquer le travail du professionnel, tout comme le fait que le pourcentage de titres de propriété détenus ne définit pas nécessairement le degré de pouvoir.

On observe souvent un autre phénomène : les attentes des actionnaires inactifs dans l’entreprise par rapport à celles des actionnaires gestionnaires. L’un souhaite un retour sur investissement alors que l’autre veut réinvestir dans l’entreprise.

Outre la complexité de l’équation « entreprise familiale », il y a aussi celle qui s’ajoute au fil du temps. La PME prend de l’expansion et s’aventure dans les marchés internationaux, la famille détient des biens et des actifs dans plusieurs pays et le professionnel de la première heure qui a su servir son client pendant des décennies se voit dépassé par les besoins et les nouvelles exigences de la famille en affaires. Cette évolution est souvent inévitable et entraîne des situations délicates.

À chaque génération son équipe de professionnels

Lors du transfert de leadership à la génération montante, on constate une tendance chez celle-ci à vouloir travailler avec des professionnels qui ressemblent davantage à la nouvelle génération, à ses valeurs, à ses préoccupations et à ses façons de faire.

Par conséquent, il arrive parfois que les professionnels, les consultants et les conseillers présents lors du règne du prédécesseur soient remerciés dans un climat tendu. Les professionnels auraient donc intérêt à prévoir ce transfert inévitable et à présenter le plus tôt possible à la génération montante, des collègues qui pourront éventuellement répondre aux nouveaux besoins et établir un rapport de confiance, ce qui sera fort avantageux une fois complété le transfert de leadership.