Article publié dans l'édition automne 2016 de Gestion

Les entreprises familiales sont des endroits où l’équité est à la fois fortement nécessaire et difficile à évaluer. Est-il juste qu’un membre de la famille gère l’entreprise parce que, étant l’aîné, il a été prêt à assumer des responsabilités plus tôt ? Est-il préférable de donner des parts égales à tous ses enfants plutôt que d’en donner une majorité à celui qui dirige ? Certains processus peuvent faire en sorte que chaque membre de la famille se sente traité de manière équitable.

Lorsqu’on doit prendre des décisions qui concernent l’actionnariat ou la direction d’une entreprise familiale, on est inévitablement confronté à des questions de justice et d’équité. Ces questions se posent bien sûr dans n’importe quel contexte humain, mais elles sont particulièrement délicates dans le contexte des entreprises familiales et pourraient avoir des répercussions pendant des années. Ainsi, pourquoi le cousin Harry a-t-il été nommé directeur général plutôt que Paul ? Pourquoi l’oncle Jean a-t-il hérité de plus d’actions que sa sœur Louisa ?


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La notion d’équité est relative et dépend du contexte où l’entreprise évolue. Par exemple, si trois frères et sœurs sont actionnaires à parts égales, l’équité consistera à distribuer les dividendes de la même manière. S’ils travaillent dans l’entreprise, l’équité consistera à donner à chacun un poste correspondant à ses compétences et à son potentiel, ce qui ne correspondra pas nécessairement à de l’égalité.

La répartition de l’actionnariat chez les successeurs

Une question particulièrement ardue est celle de la répartition de l’actionnariat de l’entreprise parmi les successeurs. De nombreux fondateurs ou gestionnaires familiaux, souvent influencés par ce qu’eux-mêmes ont vécu ou par leurs conseillers, se posent inévitablement la question de la meilleure répartition des actions parmi leurs enfants. Ils peuvent alors envisager plusieurs options tout aussi valables les unes que les autres : certains pensent qu’il est nécessaire dedétenir la majorité des actions et des droits de vote pour pouvoir gérer l’entreprise ; d’autres croient que les repreneurs familiaux doivent nécessairement acheter les actions de leurs prédécesseurs ; enfin, plusieurs décident de séparer complètement la notion de direction de celle de l’actionnariat et répartissent de manière égale les actions entre leurs enfants, quel que soit leur rôle dans l’entreprise. Quelle option est la plus équitable ? Si tous les enfants reçoivent des parts égales de l’actionnariat, celui qui dirige trouvera parfois injuste de ne pas avoir plus de pouvoir et de ne pas être davantage récompensé de ses efforts que les autres. Mais si le futur dirigeant reçoit la majorité des actions, ses frères et sœurs trouveront-ils juste qu’il quitte l’entreprise afin de réaliser un autre projet professionnel ? Et leurs propres enfants actionnaires minoritaires auront-ils la possibilité de s’impliquer dans l’entreprise ? Enfin, si les successeurs rachètent les actions de leurs prédécesseurs, ils honoreront leur engagement mais devront aussi extraire de l’argent de l’entreprise pour cela, et cet argent ne sera pas réinvesti dans les affaires. Est-ce juste pour le développement de l’entreprise ?

Chacune de ces solutions présente des avantages et des inconvénients, certes, mais des difficultés pourront survenir si le dirigeant essaie de prendre – seul ou avec ses conseillers – ce qu’il considère comme étant la meilleure décision pour ses enfants sans, au préalable, se renseigner sur leurs aspirations. Dans le pire des cas, les enfants prendront connaissance des décisions de leur parent dans son testament et devront éventuellement batailler pendant des années pour essayer de concilier leurs ambitions et les décisions du défunt. Comment dès lors éviter le plus possible les sentiments d’injustice ?

1 - Favoriser la communication

Il est important d’ouvrir la communication en s’informant à propos des aspirations des successeurs. Dans quel schéma se voient-ils travailler ? Et, de manière fondamentale, que représente l’entreprise familiale pour eux ? S’agit-il d’un investissement, d’un projet entrepreneurial, d’un projet familial ? Un exemple : dans une famille européenne, les parents pensaient que seul leur fils aîné reprendrait l’entreprise et que leurs autres enfants, qui n’étaient pas impliqués dans l’entreprise, recevraient d’autres actifs. Mais après avoir réfléchi et discuté entre eux, les enfants ont proposé à leurs parents de reprendre l’entreprise ensemble comme actionnaires. Ils ont donc élaboré leur vision et leur mode de fonctionnement pour montrer que ce modèle collectif était possible.


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2 - Encourager la clarté

Il s’agit ici de la clarté des attentes et des projets. Si, par exemple, la fondatrice d’une entreprise souhaite vendre celle-ci pour assurer sa retraite, elle doit l’exprimer clairement afin que ses enfants n’aient pas d’attentes irréalistes. Trop d’idées préconçues existent en ce qui concerne les souhaits des uns et des autres ; il est donc préférable de clarifier plutôt que d’échafauder des projets en fonction d’hypothèses non vérifiées. À titre d’exemple, un étudiant à la maîtrise en administration des affaires déplorait que son frère plus âgé ait repris l’entreprise familiale sans lui mais acceptait tout de même cette situation en se disant que leurs dix ans d’écart justifiaient cet état de fait. Toutefois, le frère aîné, interrogé dans le cadre d’un projet étudiant, a fait valoir qu’il se sentait seul et aurait beaucoup aimé que son frère cadet travaille avec lui. Ainsi, s’ils n’avaient pas fini par se parler, tous deux auraient pu suivre leur chemin sans jamais collaborer.

Les exemples de ce type abondent. La clarté consiste aussi à énoncer les règles, notamment celles qui s’appliquent aux membres de la famille désireux de se joindre à l’entreprise familiale. Dans certaines familles, par exemple, il faut avoir travaillé dans une autre entreprise avant d’occuper un poste dans l’entreprise familiale.

3 - Agir de manière cohérente

Annoncer une chose et en faire une autre peut susciter beaucoup de sentiments négatifs, comme l’illustre ce cas1 où le testament du père ne correspondait pas à ce que ses enfants avaient cru comprendre. Dans le même esprit, si une règle est instaurée mais n’est pas respectée en ce qui concerne certains membres de la famille, des problèmes peuvent survenir.

4 - Pouvoir changer

Pour autant, les choses ne sont pas toujours gravées dans le marbre. Une règle peut aussi avoir des effets négatifs imprévus. Un plan de succession peut aussi se révéler inapproprié. Il est donc important de pouvoir changer.

5 - Favoriser une culture d’équité

L’équité est difficile à évaluer de manière absolue, mais tout le monde sera sensible à l’effort qui sera fait pour l’atteindre et à la sincérité des personnes qui gèrent les processus de décision. Si les parents invitent leurs enfants à un conseil de famille, par exemple, il est préférable qu’ils organisent la communication afin que chacun puisse s’exprimer.

Cinq éléments à la base des processus de décision équitables
  1. COMMUNICATION

  2. CLARTÉ

  3. COHÉRENCE

  4. CAPACITÉ DE CHANGEMENT

  5. CULTURE D’ÉQUITÉ

En se focalisant sur la manière de prendre les décisions plus que sur les résultats, les responsables d’entreprises familiales permettront à chacun de se sentir entendu, trouveront des options plus nombreuses et pourront décider de manière plus informée. Si elles se sentent écoutées, les personnes impliquées dans le processus contribueront plus volontiers aux décisions.


Note

1. C. Blondel, Le Domaine de Pueblo Valley, étude de cas, Fontainebleau (France), INSEAD, 1996, 7 pages.