Tout au long de sa vie, un employé passera en moyenne 90 000 heures au boulot. C’est beaucoup de temps pour être malheureux! Sachant qu’un travailleur mécontent peut avoir une influence négative sur les résultats d’une organisation, qu’en est-il d’un employé heureux au travail? Voilà le questionnement qui a mené à la réalisation du projet Happy au Département de pharmacie du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM).

Le réseau de la santé est souvent perçu comme un paquebot dont il est difficile de changer la direction. Or, malgré toutes les critiques émises concernant la gestion des ressources humaines dans le système de santé québécois, et malgré un budget somme tout limité pour attirer et retenir les talents, il est toujours possible de faire preuve de créativité et d’innovation. C’est exactement ce que propose le projet Happy, qui a été mis sur pied en janvier 2020, tout juste avant le début de la pandémie.

Mise en contexte : lors d’une soirée de travail plutôt tranquille à la pharmacie, les employés ont eu la chance de s’exprimer sur leur niveau de bonheur, en le situant sur une échelle de 1 à 10. Plusieurs ont ensuite manifesté le désir d’expliquer pourquoi ils avaient noté ainsi leur sentiment. Résultat? Les raisons d’une satisfaction élevée ou faible varient grandement d’une personne à l’autre. Comment, alors, améliorer le bonheur des travailleurs dans le réseau de la santé alors que les besoins, d’un professionnel à l’autre, fluctuent énormément?

Dossier – La motivation au travail

La quête du bonheur au travail!

Dans le but d’avoir un diagnostic clair et complet concernant l’état du bonheur au sein de l’équipe de 85 pharmaciens – des professionnels de la santé aux exigences parfois élevées –, il était primordial de réaliser un sondage. Tout au début du projet, l’évaluation des besoins de tout un chacun a ainsi permis de prioriser les actions à accomplir (voir le graphique ci-dessous). 

De nombreuses solutions ont été envisagées pour améliorer le bonheur des travailleurs : l’implantation d’une culture de reconnaissance; l’autogestion des horaires; l’amélioration de l’environnement de travail; le développement et la gestion de carrière; l’implantation du télétravail; l’amélioration de l’autonomie professionnelle; et la création de plusieurs activités de reconnaissance et jeux ludiques pour qu’ils apprennent à mieux se connaître. Voici comment certaines solutions ont été mises de l’avant.

La gestion des horaires de travail 

La conciliation entre le travail et la vie personnelle est fondamentale pour les employés. Or, elle passe généralement par l’individualisation de l’horaire de travail et le développement du télétravail. L’une des premières étapes du projet a donc été d’implanter l’autogestion des horaires, à l’aide de la plateforme Petal. Dans le cadre de ce projet, tous les pharmaciens ont été rencontrés afin de discuter de leurs besoins personnels (nombre maximal de soirs par semaine qu’ils souhaitaient travailler, remise des congés de fin de semaine, etc.) et des besoins cliniques.

En conciliant les besoins du Département de pharmacie du CHUM et ceux des pharmaciens, il a été possible de créer en moins de six mois un horaire flexible adapté à la réalité de chaque travailleur. La majorité des fonctions ont été adaptées afin de permettre aux employés de choisir le meilleur moment pour commencer leur quart de travail (entre 8 h et 8 h 30, par exemple). En raison de la nature des tâches cliniques accomplies par le pharmacien auprès du patient, le déploiement du télétravail a certes été plus difficile. Malgré cela, la transformation de 8 à 10 postes en télétravail (sur 60 postes) a eu un effet positif, diminuant ainsi les absences. 

L’intégration des nouveaux pharmaciens

Afin que les recrues se sentent plus rapidement confiantes et compétentes dans leurs tâches, leur accueil a été repensé dans le but notamment de diminuer leur stress. La durée de leur formation a été standardisée. Ces changements ont été faits également pour l’accueil des étudiants et des résidents en stage dans le département. En intégrant plus efficacement ces derniers, le Département de pharmacie a consolidé sa réputation et son image de marque, favorisant ainsi leur attraction et leur rétention après leurs études de maîtrise. Ces changements ont ensuite été cimentés dans une véritable politique d’accueil. 

L’implantation d’une culture de reconnaissance

Au cœur du projet Happy se trouvent l’implantation d’une culture de reconnaissance de même que la création de plusieurs activités et jeux ludiques, pour que tous puissent apprendre à se connaître et à mieux reconnaître le travail de chacun.

La reconnaissance a été fondamentalement intégrée à la culture de l’organisation. Elle a été cristallisée dans une politique départementale, et les gestionnaires y ont ensuite été formés. Il a été essentiel de revoir l’environnement de travail en vue de mieux l’adapter aux besoins de l’équipe et à sa façon de travailler. Enfin, pour trouver un sens au travail et améliorer le sentiment d’appartenance, la vision, la mission et les valeurs de l’organisation ont été actualisées, afin de mieux représenter les valeurs suivantes : la bienveillance, l’audace, l’agilité, la rigueur et la collaboration.

Des résultats payants 

Les sondages annuels sur le bonheur au travail qui ont été menés auprès des employés tout au long du projet ont permis de quantifier les retombées qu’ont eues ces mesures dans l’équipe de pharmaciens. Les résultats du premier sondage réalisé en 2020 indiquaient que le degré de bonheur global des employés était bon, mais qu’il fluctuait au travail en fonction des gens et de leurs tâches. Un fait notable à souligner : la reconnaissance semblait déjà primordiale pour le groupe.

Au début de l’année 2022, lors d’un second sondage, le degré de bonheur des pharmaciens au travail avait augmenté de façon significative, de 0,3 point sur une échelle de 7 points, et ce, malgré une légère baisse (de 0,2 point) du bonheur dans leur vie personnelle. Dans un contexte de gestion difficile de la pandémie et des effets négatifs de la crise sanitaire sur le moral des pharmaciens, pareils résultats témoignent du succès du projet.

Parmi les raisons invoquées par les pharmaciens pour venir travailler au Département de pharmacie du CHUM, il y avait notamment l’appréciation de l’équipe de gestionnaires. Ce motif figurait en 2022 au quatrième rang des raisons énumérées, alors qu’il se trouvait au neuvième rang au début du projet, en 2020. Le niveau de reconnaissance a aussi augmenté significativement, passant de 4,1 points («neutre») à 5,5 (entre «un peu» et «beaucoup»). Parmi les sources de reconnaissance mentionnées, les pharmaciens estiment qu’ils en reçoivent davantage de la part non seulement de leurs collègues pharmaciens (+13%), mais aussi de leurs gestionnaires (+15%).

Apprentissages et constats

Le bonheur au travail constitue l’un des remèdes qui favorisent l’amélioration de la santé mentale des employés. Plusieurs études en ont montré l’efficacité : les personnes plus heureuses reçoivent des critiques de façon plus positive, sont plus productives et plus créatives, gagnent des revenus plus élevés et sont moins susceptibles de s’épuiser au travail ou de s’absenter[1]. Les pharmaciens, individuellement, et leurs gestionnaires ont un rôle à jouer dans l’atteinte de cet idéal.

Bien qu’il soit difficile d’établir le lien de causalité entre les mesures mises en place et le bonheur des employés, la culture de reconnaissance a eu des bienfaits tangibles et intangibles sur la santé mentale des 85 pharmaciens du Département de pharmacie du CHUM. Ainsi, de 2020 à 2022, aucune maladie pour des raisons de santé mentale n’a été déclarée au sein du groupe, et le taux de roulement au Département a été inférieur à 5%.

Les gestionnaires doivent donc s’intéresser davantage aux membres de leurs équipes et mieux comprendre leurs besoins en faisant preuve d’ouverture et d’écoute. De leur côté, les travailleurs doivent clarifier leurs attentes. Lorsqu’on place l’employé au centre des priorités de l’organisation, une réflexion peut alors s’amorcer en ce qui a trait à plusieurs facteurs influençant le bonheur au travail : l’horaire, la charge de travail, la reconnaissance, etc. Par ailleurs, la communication est fondamentale au moment de mettre en œuvre ces changements. Le droit à l’erreur et l’échange d’expérience permettent quant à eux une gestion plus participative. En parallèle à toutes ces étapes, le gestionnaire doit travailler à développer ses habiletés relationnelles, son empathie et sa capacité d’écoute.

À l’heure où les entreprises québécoises n’ont d’autre choix que de se réinventer pour affronter notamment la pénurie de main-d’œuvre, pourquoi le système de santé publique ferait-il exception? Alors que de grands changements dans le réseau de la santé sont à nos portes avec l’arrivée imminente de l’agence Santé Québec, le moment est opportun pour mettre en œuvre des initiatives locales de meilleure gestion des ressources humaines. Garder les employés heureux et en bonne santé mentale n’a jamais été aussi important que maintenant. Sinon, comment pourrions-nous, collectivement, offrir des soins à la hauteur de ce que les patients méritent de recevoir?

Article publié dans l’édition Automne 2023 de Gestion


Note 

[1] Favoriser le mieux-être – Guide d’implantation d’un programme de qualité de vie au travail (document en ligne), Gouvernement du Québec, ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, 2022, 30 pages.