Votre équipe vous semble-t-elle peu motivée? Les dossiers n’avancent pas et vous avez l’impression de devoir tout porter sur vos épaules? Si le premier réflexe de bien des gestionnaires est de penser qu’un manque de leadership est en cause, il est peut-être temps d’envisager une autre possibilité...

Nous croyons souvent qu’il est possible de remédier au manque de motivation grâce à un leader inspirant qui viendra énergiser les équipes. Or est-ce vraiment la solution? Une étude récente montre – non sans provoquer certaines réactions de surprise et d’amusement – que plus nous sommes narcissiques, plus nous trouvons les théories du leadership attrayantes et plus nous souhaitons en apprendre à ce sujet[1]. Mais il est peut-être temps d’élargir le champ des possibilités. D’ailleurs, le célèbre Henry Mintzberg nous mettait en garde contre de notre obsession pour le leadership héroïque, qui n’est surtout pas une panacée à tous les maux du monde du travail.

Et si le rôle du leader n’était pas tant de stimuler ses troupes que d’assurer un environnement de travail juste, dans lequel les employés se motiveront par eux-mêmes? Néanmoins, dès qu’il est question de motivation au travail, l’idée du sentiment d’injustice en entreprise est quasiment absente des conversations. Peut-être est-ce parce que le terme de «justice» est à ce point associé à l’univers judiciaire que nous avons fini par en perdre la trace dans le monde du management... Il est grand temps de le ramener au centre de nos préoccupations et d’explorer de nouvelles pistes de solution.

Dossier – La motivation au travail

Une préoccupation plus importante que jamais

Le sentiment d’injustice se trouve déjà au cœur du débat social. En effet, dans la société actuelle, le capital social est en baisse et les populations réagissent fortement aux injustices. Polarisation croissante, cynisme en hausse, diminution de la confiance envers les institutions : aussi bien dire que tous les ingrédients sont présents pour générer cette fameuse démission silencieuse dont il est tant question.

La justice organisationnelle pourrait-elle permettre d’en amenuiser les effets? Les études à cet égard sont claires : le sentiment de justice en entreprise est un prédicteur important du roulement de personnel, de la performance et de la santé des gens. Il va même jusqu’à affecter nos choix alimentaires, car ceux qui vivent des injustices consommeraient de la nourriture moins bonne pour leur santé[2]! D’où l’importance de renforcer le sentiment de justice en milieu de travail.

Motiver les comportements discrétionnaires

Le monde du travail actuel nécessite une performance discrétionnaire, c’est-à-dire d’aller au-delà des tâches attendues et prescrites pour faire de «petites choses» qui comptent réellement. Dans une économie du savoir, il ne s’agit pas seulement de travailler intensivement, il faut aussi soutenir les autres; aider un nouveau collègue; communiquer une information au gestionnaire d’un autre service; voire défendre l’entreprise face aux critiques. Plusieurs études viennent confirmer que lorsque les employés éprouvent un sentiment de justice au sein de leur organisation, ils sont motivés à poser ces fameux petits gestes, lesquels représentent l’huile dans la machine qui fait fonctionner l’organisation.

En revanche, en présence d’un sentiment d’injustice, les employés non seulement se détourneront de ce type de comportement, mais en outre, ils en adopteront d’autres qui sont contreproductifs. Ces derniers s’implantent souvent de façon sournoise et silencieuse. C’est le cas par exemple quand un employé cache de l’information[3], ou encore lorsqu’il «vole» du temps à l’entreprise[4], un fait hautement préoccupant dans notre ère de télétravail. Du point de vue du salarié, il ne s’agirait pas de déviance, mais bien d’une façon de rééquilibrer la situation et de la rendre plus juste.

En l’absence d’amélioration, les employés peuvent tout simplement décider de changer d’employeur, comme le montre une recherche qui indique que le sentiment d’injustice est le facteur numéro un dans l’intention de quitter une entreprise, arrivant même avant le leadership, les perspectives de carrière et le salaire[5]

L'effet «Robin des bois»

Est-il nécessaire d’avoir vécu un sentiment d’injustice pour en subir les conséquences ou pour réagir? Pas nécessairement. Il existe un effet de groupe, une sorte de «climat de justice» qui représente la perception collective et qui explique la réaction d’un employé, indépendamment de son propre vécu en matière d’injustice dans l’organisation[6]. Même s’ils n’ont été que témoins d’une injustice, les travailleurs peuvent réagir en posant des gestes qui visent à rétablir la justice, autant en soutien aux victimes qu’à titre de revanche préventive. «Si cela m’arrive un jour, je me serai remboursé d’avance», se disent-ils.

Un fait à noter : même les gestionnaires qui perçoivent que leurs employés sont traités avec injustice par l’organisation tenteront de jouer à Robin des bois en aidant secrètement leurs subordonnés, par exemple en leur accordant des journées de congé supplémentaires ou des allocations financières[7]. Une étude récente confirme que même des arbitres de la Ligue majeure de baseball (MLB) tentent de rattraper leurs décisions injustes en prenant des décisions discutables, et ce, dans une tentative de rétablir la justice[8].

En conséquence, alors que les organisations modernes affrontent de multiples défis en matière de gestion des ressources humaines, il est temps de redonner au sentiment d’injustice l’attention qu’il mérite. Après tout, la justice est au collectif ce que la motivation est à l’individu : un puissant vecteur pour faire évoluer les choses.

Notons d’ailleurs que le prochain arbitre pourrait bien devenir l’intelligence artificielle. Prendra-t-elle des décisions justes, et pourrons-nous connaître le mécanisme qui prévaut dans la prise de décision? Une affaire à suivre...

Nul besoin d'être parfait

Être juste, c’est bien, mais cela semble difficile. De plus, comme l’exprime le concept du fair enough dans la langue de Shakespeare, nous ne sommes jamais perçus comme justes par tout le monde et en tout temps. Fort heureusement, l’être humain sait faire la part des choses. 

D’ailleurs, plusieurs décennies de recherche se montrent rassurantes à cet égard; en effet, il est possible de générer un sentiment de justice pour le plus grand nombre quand nous appliquons quelques principes clés[9] (voir l’encadré ci-dessous).

Lorsque la motivation vacille au sein de notre équipe, nous devons prendre un temps d’arrêt et nous interroger sur les éléments qui composent notre culture organisationnelle. La justice en fait-elle partie? Poser cette question, c’est ouvrir la porte à des changements structurants qui favoriseront le bien-être de tout notre personnel.

Article publié dans l’édition Automne 2023 de Gestion


Notes

[1] Steffens, N. K., et Haslam, S. A., «The narcissistic appeal of leadership theories», American Psychologist, vol. 77, n° 2, février-mars 2022, p. 234-248.

[2] Macedo, V., Correia, I., et Prada, M., «Injustice impairs self-regulation and affects food choice», Journal of Applied Social Psychology, vol. 51, n° 11, novembre 2021, p. 1109-1115.

[3] Abubakar, A., Behravesh, E., Rezapouraghdam, H., et Yildiz, S., «Applying artificial intelligence technique to predict knowledge hiding behavior», International Journal of Information Management, vol. 49, décembre 2019, p. 45-57.

[4] Hong, M. C., et Wokutch, R. E., «Employee time theft : The role of overall justice and thriving at work», Journal of Managerial Issues, vol. 35, n° 1, printemps 2023, p. 34-47.

[5] Yuan, S., Kroon, B., et Kramer, A., «Building prediction models with grouped data : A case study on the prediction of turnover intention», Human Resource Management Journal, juillet 2021, p. 1-19.

[6] Colquitt, J., Hill, E., et De Cremer, D., «Forever focused on fairness : 75 years of organizational justice in Personnel Psychology», Personnel Psychology, vol. 76, n° 2, novembre 2022, p. 413-435.

[7] Cropanzano, R., Skarlicki, D., Nadisic, T., Fortin, M., Van Wagoner, P., et Keplinger, K., «When managers become Robin Hoods : A mixed method investigation», Business Ethics Quarterly, vol. 32, n° 2, avril 2022, p. 209-242.

[8] Thornton-Lugo, M. A., McCarter, M. W., Clark, J. R., Luse, W., Hyde, S. J., Heydarifard, Z., et Huang, L. S. R., «Makeup calls in organizations: An application of justice to the study of bad calls», Journal of Applied Psychology, vol. 108, n° 3, mars 2022, p. 374-402.

[9] L’ouvrage Le sentiment d’injustice en entreprise : anticiper pour assurer la performance, publié par les auteurs de cet article, détaille les principes de base de ces recherches. On y trouve de nombreuses sources d’inspiration et des exemples concrets.