Allumer la flamme de leurs équipes et la nourrir font partie des préoccupations récurrentes des gestionnaires. Et si la théorie de l’autodétermination était la clé? Aperçu d’une approche scientifique qui a fait ses preuves.

Sans motivation, il n’y a pas d’action. Cette impulsion, cette force motrice qui nous pousse à agir, à nous lever le matin et à accomplir nos tâches – ou parfois à les éviter – a fait l’objet de nombreuses recherches. Il existe plusieurs théories à ce sujet, dont certaines très connues, comme la pyramide des besoins de Maslow. Or celle de l’autodétermination[1] se distingue résolument par son approche.

Ses fondements ont été posés dans les années 1970 par les psychologues américains Richard M. Ryan et Edward L. Deci. Leurs travaux, novateurs, ont permis d’aborder la motivation sous un autre angle. Au lieu de la voir à travers le prisme de la carotte et du bâton (récompense ou punition), la théorie de l’autodétermination (TAD) propose plutôt une méthode sans le recours à la pression ou au contrôle, mais en faisant plutôt appel à une certaine forme de structure.

Cette vision, à la fois générale et universelle, part du principe selon lequel les gens possèdent naturellement l’énergie nécessaire pour être motivés. La TAD permet de générer une motivation de haute qualité, c’est-à-dire de nature interne plutôt que résultant d’un contrôle extérieur. Ce faisant, ce type de motivation contribue à stimuler le meilleur de l’être humain.

La TAD explique aussi comment les modalités de gestion, les relations interpersonnelles et la conception des postes peuvent soutenir les trois besoins psychologiques fondamentaux des individus, soit les sentiments d’autonomie, de compétence et d’appartenance – et ce, à tous les niveaux de l’organisation –, suscitant ainsi un engagement, une qualité de production et des efforts accrus.

Les retombées positives sont multiples : non seulement les résultats et le bien-être sont améliorés, mais le risque d’épuisement professionnel est aussi réduit, ainsi que l’absentéisme. Alors, qui peut encore se passer de la TAD? En voici les grands principes.

Dossier – La motivation au travail

Motivation extrinsèque et motivation intrinsèque

Notre façon de penser a une influence directe sur notre manière de motiver les autres. Si nous voyons l’humanité sous un jour pessimiste, croyant que l’être humain est foncièrement paresseux et peu motivé (et qu’il faut constamment le surveiller), nous considérerons alors qu’il sera nécessaire d’appliquer des contraintes et de la pression pour inciter les gens à accomplir leur travail. C’est toutefois une erreur de penser ainsi.

Si, au contraire, nous croyons que la plupart des êtres humains sont bienveillants et qu’ils veulent apprendre, croître et s’améliorer, nous verrons alors les employés comme des gens qui se soucient de la mission de l’organisation et qui sont heureux de consacrer temps et énergie à leurs engagements. Ici, la collaboration est basée sur la confiance, et elle est même encouragée.

C’est sur cette vision optimiste que s’appuie la TAD. Selon celle-ci, la plupart des gens sont motivés par ce qu’ils font. En tant que gestionnaires, nous travaillerons donc de concert avec nos équipes pour les aider à atteindre leurs objectifs et pour créer les conditions idéales nous permettant d’y arriver.

La TAD démontre également qu’il existe différents types de motivations (voir le graphique ci-dessous). 

Différents types de motivations

Avec la motivation intrinsèque, nous aimons résolument ce que nous faisons et nous éprouvons du plaisir à nous y consacrer. La stimulation réside dans la tâche elle-même, et la récompense pour le comportement est le comportement lui-même.

Avec la motivation extrinsèque, nous avons besoin d’obtenir certaines choses en retour (salaire, biens matériels, reconnaissance...) pour effectuer une action. Or il n’existe pas qu’une seule forme de motivation extrinsèque. On parle par exemple de motivation contrôlée lorsque les employés se sentent obligés d’accomplir leurs tâches, poussés par la coercition externe ou interne. Ils ressentent alors une pression de se mettre au travail qui vient des autres ou d’eux-mêmes. En revanche, lorsqu’il s’agit de motivation autonome, les personnes sont habitées par la signification; elles trouvent un sens dans ce qu’elles font et elles ont le sentiment d’avoir le contrôle sur les tâches qu’elles accomplissent.

L’un des atouts de la TAD est de démontrer que le fait d’être motivés extrinsèquement est presque tout aussi valable que de l’être intrinsèquement lorsque les gens accordent un sens à ce qu’ils font. Ils éprouvent ainsi la sensation de maîtriser la situation. La motivation extrinsèque n’est donc pas forcément un enjeu si elle est autodéterminée. Lorsqu’une personne est motivée de manière extrinsèque, mais qu’elle trouve tout de même que ses actions sont importantes ou utiles, elle expérimente alors une forme de motivation autonome.

Les trois piliers de la motivation

Trois besoins, qui sont à la fois innés et universels, doivent être satisfaits pour augmenter le plaisir et le sens, tant au travail que dans les autres sphères de l’existence : l’autonomie, l’appartenance et la compétence (voir le graphique ci-dessous).

1- Le besoin d’autonomie
Comme il est défini par la TAD, le besoin d’autonomie consiste à être psychologiquement libres, à avoir le sentiment de pouvoir accomplir les choses qui correspondent à ce que nous sommes et à ne pas les faire contre notre gré. Au travail par exemple, nous ne sommes peut-être pas libres de décider des projets, mais nous pouvons y trouver un moyen de nous sentir autonomes et être à l’aise avec nos tâches à l’intérieur de certaines règles et limites qui sont bien expliquées et comprises. Lorsque l’autonomie est compromise, nous avons alors l’impression d’être obligés de réaliser des choses que nous n’avons pas envie de faire, et ce, sans raison valable.

2- Le besoin d’appartenance
Ce besoin est, quant à lui, satisfait lorsque nous nous sentons appréciés et pris en charge par les autres, que nous sommes autorisés à prendre soin d’eux et à les apprécier, et que nous développons un lien stable et équilibré avec ces personnes. Au bureau par exemple, un employé se sentira lié à ses collègues et libre de parler de ce qui le préoccupe. Il recevra de l’aide en cas de difficulté et sera autorisé à manifester son intérêt pour autrui. Lorsque le besoin d’appartenance n’est pas assouvi, nous avons l’impression de ne pas faire partie du groupe, de n’avoir personne vers qui nous tourner lorsque nous rencontrons des difficultés. Nous nous sentons alors rejetés, seuls et isolés.

3- Le besoin de compétence
Avec un besoin de compétence comblé, nous éprouvons le sentiment que nous avons un effet sur le monde et que nous pouvons réaliser ce à quoi nous nous sommes engagés. Lorsque nous avons la possibilité de faire des choses pour lesquelles nous sommes doués, en d’autres mots de développer nos talents et nos habiletés, nous nous sentons compétents, peu importe l’activité ou le domaine. Quand ce besoin n’est pas satisfait, nous pensons ne pas pouvoir atteindre notre objectif ; nous doutons de nous-mêmes et de ce que nous accomplissons. Résultat : nous manquons d’assurance, nous craignons l’échec et nous éprouvons fréquemment de la déception.

Libérer la motivation

Pas de recette unique

La TAD part d’un certain nombre de principes universels qui peuvent s’appliquer à toutes les personnes. Ainsi, tout le monde naît avec le désir et la possibilité inhérente de croître et de se développer. Tout le monde ressent aussi les besoins d’autonomie, d’appartenance et de compétence.

Or, même si chaque individu, quelle que soit sa personnalité, éprouve les trois mêmes besoins fondamentaux, tout le monde ne connaîtra pas nécessairement le même degré de réalisation et de satisfaction de ceux-ci. En effet, notre motivation dépend à la fois de notre environnement et de nos caractéristiques personnelles. Certaines sont plus fixes (âge, culture, etc.), alors que d’autres peuvent évoluer au gré des expériences, de l’éducation, de la formation, des valeurs…

Par conséquent, il n’existe pas de recette unique, et l’approche devrait être modulée en fonction des caractéristiques de chaque personne. Les gestionnaires devraient donc se rappeler que, pour motiver leurs troupes, il faut distinguer les différents types de motivations, et, de façon générale, satisfaire les besoins psychologiques de tout un chacun (et éviter que ces derniers deviennent une source de frustration).

Attention à l'effet d'éviction

La motivation autonome et l’accomplissement des besoins psychologiques peuvent également être influencés par des facteurs environnementaux comme la paie. Ainsi, selon les principes de la TAD, il existerait un salaire dit «idéal» qui répond à plusieurs critères. Pour cela, il doit rendre justice à la performance du personnel, ne pas être trop élevé ni trop bas, être équitable et satisfaire les besoins psychologiques des employés de sorte que leur motivation autonome augmente et que leur motivation contrôlée diminue.

Il faut aussi garder en tête qu’il existe un effet d’éviction en raison duquel la motivation intrinsèque diminuera avec les récompenses si celles-ci sont perçues comme contrôlantes. Autrement dit, dans ce cas de figure, le salaire rendra les employés moins motivés, un risque qui est bien documenté.

À savoir : une rémunération et des récompenses équitables qui ne dépendent pas directement et uniquement des performances – mais qui sont plutôt associées à un environnement favorisant l’autonomie – constituent la combinaison optimale, en particulier pour les tâches complexes.

Conception des tâches et leadership

La conception des tâches pèse également dans la balance, c’est-à-dire la façon dont les tâches et les activités sont organisées. Parce que cette organisation influe sur les responsabilités, cela a aussi un effet sur le niveau de motivation. À cet égard, donner des défis – mais sans exagération – avec les ressources nécessaires pour les relever représente une bonne recette pour alimenter les trois besoins psychologiques. Il importe cependant de limiter au maximum les facteurs de stress.

Enfin, les recherches démontrent que les leaders orientés vers les relations et le changement répondent aux trois besoins psychologiques de leurs employés et renforcent ainsi leur motivation autonome. Un leadership répondant à ces critères, qu’on nomme leadership de soutien, a été développé dans le cadre de la TAD. Ces leaders, par exemple, adoptent une attitude empathique, se concentrent sur les besoins des membres de leurs équipes et leur permettent de se développer. Ils encouragent leurs employés à se mettre au travail en tenant compte de leurs préoccupations individuelles, ce qui permet à ces derniers de percevoir leur rôle comme plus motivant. Au bout du compte, ces leaders savent créer un contexte propice à une motivation de qualité.

En aidant à satisfaire les trois besoins fondamentaux, la théorie de l’autodétermination contribue à stimuler la motivation autonome («je veux») tout en réduisant la motivation contrôlée («je dois»). Les gestionnaires, mais aussi les professeurs, les parents et les entraîneurs, peuvent en tirer profit pour générer à la fois énergie, concentration, bien-être et performance chez les personnes avec qui ils interagissent.

Article publié dans l’édition Automne 2023 de Gestion


Note 

[1] Pour en savoir plus, lire l’ouvrage : Forest, J., Van den Broeck, A., Van Coillie, H., et Mueller, M. B., Libérer la motivation – Avec la théorie de l’autodétermination, Montréal, Éditions Édito, 2022, 281 pages.