Alors que le bien-être est un concept très relatif qui dépend d’une multitude de facteurs, devrait-on adapter son style de gestion et ses programmes en fonction de chacun de ses employés? Le personnel a-t-il aussi sa part à faire pour être bien dans son environnement de travail? On en discute avec quelques experts.

Votre personnel est-il débordant de bien-être? Il y a de fortes chances que ce ne soit pas le cas, du moins à en croire les résultats d’une étude de l’Observatoire sur la santé et le mieux-être au travail. Réalisée entre mai 2019 et octobre 2020 dans 52 milieux de travail auprès de quelque 2000 employés, dont près de 93% étaient en télétravail, elle révèle que plus d’une personne sur trois rapportait des problèmes de détresse psychologique. De plus, entre 10 et 23% des gens montraient des symptômes de dépression, d’anxiété et/ou d’épuisement professionnel, ou consommaient des médicaments psychotropes.

Luc Brunet, professeur titulaire en psychologie du travail et des organisations à l’Université de Montréal, pense spontanément aux travaux de Hans Selye, pionnier des études sur le stress. «Il disait qu’on vit tous du stress négatif, donc de la détresse, mais que si on vit plus de bien-être, on est correct, explique-t-il. Tout est une question d’équilibre.»

Or, bien des gens travaillent maintenant seuls de la maison, et l’humain est un être social. Luc Brunet note qu’il est plus facile de discuter de façon informelle, d’échanger des trucs du métier et de développer des amitiés professionnelles lorsque tout le monde est au bureau. «Pour les gens mal entourés par la famille et qui ont peu d’amis, la situation est très difficile en télétravail, parce qu’ils sont vraiment isolés», fait-il remarquer.

Réduire la détresse, augmenter le bien-être

Pour diminuer la détresse, le professeur indique qu’il faut réduire les exigences. «Si on demande toujours énormément de travail en très peu de temps, c’est certain que le niveau de détresse sera élevé, soutient-il. Même chose si les employés n’ont pas droit à l’erreur.»

Pour influer sur le niveau de bien-être, et donc de l’engagement de l’employé au travail, Luc Brunet précise qu’il faut agir sur trois besoins psychologiques : sentir qu’on a les compétences pour faire le travail demandé, qu’on dispose d’autonomie et qu’on a de l’affiliation sociale (en d’autres mots : le soutien de ses collègues et de ses gestionnaires).

«Ces besoins sont les mêmes pour tout le monde, mais les façons de les satisfaire varient d’une personne à l’autre», nuance Jacques Forest, psychologue et professeur à l’École des sciences de la gestion (ESG) de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

Que faire pour savoir quelles sont les meilleures stratégies pour combler ces besoins auprès de ses employés? «Le mieux est de le leur demander, affirme M. Forest. Depuis le début de la pandémie, plusieurs employeurs utilisent des plateformes pour sonder leur personnel afin de mesurer son niveau d’engagement et de savoir ce dont il a besoin pour être mieux au travail.»

Instaurer des mesures inclusives

En plus des préférences de chacun, il faut considérer les personnes neuroatypiques dans les milieux de travail. Elles sont nombreuses, comme le souligne Isabelle Auclair, une conseillère en ressources humaines agréée qui s’est beaucoup intéressée à l’intégration de ces employés.

«Au Canada, la prévalence du trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité était évaluée à plus de 7% chez les 18 à 34 ans en 2015, et pour ce qui est du trouble du spectre de l’autisme, il était de 1,6% au Québec, détaille-t-elle. Puis les troubles d’apprentissage ont une prévalence pouvant aller jusqu’à près de 20%, selon certains auteurs.»

Si certaines personnes neuroatypiques parlent de leur situation à leur gestionnaire, d’autres se taisent. «Lorsqu’on sent une ouverture chez son superviseur, c’est plus facile d’en parler, fait valoir Mme Auclair. Mais c’est déjà un grand pas lorsque l’employeur reconnaît cette diversité; il peut alors mettre en place des mesures d’inclusion qui bénéficieront à tous, mais encore plus aux neuroatypiques.»

Elle mentionne par exemple une entreprise optant pour des espaces de travail partagés dans une aire ouverte qui prévoit aussi de petites bulles où les gens peuvent s’installer pour être moins dérangés.

C’est la même chose pour le télétravail ou les horaires flexibles. «On ne peut pas donner des privilèges aux parents, dit Jacques Forest. Toutefois, on peut donner des choix qui respectent certaines règles pour permettre aux gens de mieux concilier leur travail avec le reste de leur vie.»

Pour savoir si une mesure fonctionne, il faut avoir un objectif clair, puis évaluer la situation, avant et après son implantation. «Par exemple, on peut analyser la qualité de la motivation des employés et le taux d’absentéisme, indique M. Forest. Plusieurs entreprises continuent d’avancer dans le brouillard. Or, pour s’améliorer, il faut savoir ce qui marche et ce qui ne marche pas.»