Afin de bénéficier des avantages de la gestion horizontale, les organisations doivent d’abord prêter l’attention, le temps et les efforts nécessaires à son implantation.

Le manque de points de repère se pose comme la première embûche à l’intégration de pratiques horizontales dans les organisations. Samantha Slade, auteure du livre Le leadership horizontal – Instaurer une organisation non hiérarchique, une pratique à la fois, présente cet enjeu comme étant un défi systémique de cette forme de gestion. «Comment se transformer en quelque chose qu’on n’a pas vécu soi-même?», se questionne-t-elle d’emblée. Cette difficulté à imaginer un système organisationnel où la hiérarchie serait moins prédominante s’accompagne ainsi d’une certaine réticence face à des modèles alternatifs. «Comme on n’a pas d’expérience vécue en gestion horizontale, on se dit : ça doit être compliqué et pas possible», soutient-elle en insistant sur l’ouverture et la curiosité requises pour effectuer la transition.

Série Gestion horizontale

Pour Avocats sans frontières Canada (ASFC), une organisation non gouvernementale internationale offrant un appui juridique aux victimes de violation des droits de la personne, le point de départ de sa démarche en gestion collaborative se veut une recherche constante de méthodes favorisant la réalisation de sa mission. Son directeur général, Pascal Paradis, évoque les multiples séances passées à retravailler l’organigramme dans un désir de pallier les enjeux que présentait une hiérarchie classique. ASFC tentait avant tout d’outiller la collaboration entre collègues occupant des fonctions distinctes, un besoin émanant de la complexité des dossiers traités par l’organisation. Ainsi, lorsque Marie-Eve Houde, conseillère en développement organisationnel chez ASFC, a présenté l’avenue qu’offrait la sociocratie, l’un des nombreux modèles de gestion horizontale, l’organisation y a vu une manière de faire converger efficacement les idées et d'assurer une prise de décision plus avisée.

Pour Samantha Slade, croire au besoin d’engager chaque acteur de l’organisation dans la réalisation de sa mission se veut la clé du passage vers la gestion horizontale. Une entreprise qui entamerait la démarche en doutant de la contribution que sauraient apporter les individus qui la composent serait ainsi vouée à l’échec. «Il faut croire réellement dans l’équivalence des uns et des autres», résume-t-elle. Les organisations désirant développer des pratiques horizontales simplement pour s’ajuster aux dernières tendances managériales sans adopter les principes que sous-tendent celles-ci auraient ainsi  peu de chances de surmonter les défis qu’amène une telle démarche.

La patience et la persévérance sont de mise

Les organisations qui ont entamé l’implantation de la gestion horizontale en témoignent : la transition nécessite du temps et génère son lot d’inconforts. À ce sujet, Pascal Paradis rappelle la première décision prise par consentement du groupe chargé des questions de gouvernance chez ASFC. «On n’était pas prêt et ç’a été une catastrophe», admet-il. L’organisation a ainsi été forcée de revoir la manière dont elle tiendrait ses rencontres en plus de retravailler sa structure pour clarifier les rôles de chacun. Les membres de l’organisation ont également dû réviser leur posture face à la prise de décision. Détenant maintenant un poids égal au sein des cercles décisionnels, ils ne peuvent plus se rabattre sur l’opinion de leurs supérieurs. Consentir à une proposition nécessite ainsi que chaque individu évalue la viabilité et les bienfaits de celle-ci pour l’organisation en soustrayant de son jugement ses préférences personnelles, une approche qui nécessite de la pratique pour devenir efficace. Marie-Eve Houde conclut que le cheminement en gestion collaborative entamé il y a maintenant trois ans est douloureux à diverses étapes du processus, mais que l’organisation grandit énormément à travers celui-ci.

Son de cloche similaire chez Spheratest Environnement, une firme de consultation en évaluation environnementale, qui implante depuis deux ans et demi des pratiques horizontales dans son mode de fonctionnement. L’entreprise se dit aujourd’hui dans un état évolutif, sa démarche collaborative étant source de motivation pour certains, mais également d’indifférence, voire de friction, pour d’autres. Sa présidente, Véronique Poulin, l’avoue : «C’est un apprentissage qui a été vraiment difficile.» Les initiatives visant la transparence et la collaboration, comme la divulgation des salaires des dirigeants ou l’ouverture du processus décisionnel à tous les employés, ont généré des réactions mitigées. Alors qu’environ la moitié des membres de l’organisation y ont vu l’occasion d’être plus impliqués dans la gestion de la firme, un nombre restreint d’individus ont perçu un désalignement avec leur esprit plus compétitif aux yeux de la présidente. Elle estime néanmoins que l’horizontalité démontre des bénéfices tangibles l’incitant à poursuivre la démarche, comme le renforcement de la confiance à l’intérieur de l’équipe ainsi que la capacité de prendre des décisions difficiles conjointement.

«La transition n’est pas aussi facile qu’on aimerait qu’elle le soit, parce que ça va jouer dans les profondeurs des paradigmes, des croyances et des valeurs », soutient Samantha Slade, qui conseille d’abord aux gestionnaires de tempérer leurs attentes face à la gestion horizontale. «Si on pense que c’est une baguette magique, on y entre et on en ressort assez vite.» Elle insiste sur le temps requis non seulement pour tester et ajuster les pratiques, mais également pour se défaire des réflexes hiérarchiques qui sont pour certains profondément ancrés. Selon elle, c’est en s’engageant à pratiquer la gestion collaborative sur une période prolongée et en appuyant les équipes dans la démarche que l’horizontalité peut devenir intuitive pour tous.

Samantha Slade suggère finalement aux organisations d’aller chercher du soutien externe dans la démarche afin d’éviter de commettre certaines erreurs prévisibles, qui peuvent décourager les individus vivant la transition. «Si on ne se donne pas les conditions de réussite, c’est certain qu’on va finir par dire que la gestion horizontale ne fonctionne pas», souligne-t-elle.