Alors que la hiérarchisation permet parfois de couvrir un manque de cohérence entre les valeurs énoncées et la culture véritable d’une organisation, l’implantation de pratiques horizontales nécessite un alignement avec certains principes fondamentaux.

Selon Samantha Slade, cofondatrice du laboratoire de cocréation Percolab et auteure du livre Le leadership horizontal – Instaurer une organisation non hiérarchique, une pratique à la fois, il est essentiel de développer certains réflexes avant de chambouler l’organigramme d’une organisation. «Souvent, les gens sautent dans ce type de management en sens inverse. Ils modifient les structures et ensuite les processus d’affaires. Ils prennent la culture comme le mot de la fin, s’ils en ont le temps. Mais c’est par la culture qu’il faut commencer», explique-t-elle. Des valeurs de collaboration, de bienveillance, d’autonomie et de transparence doivent ainsi s’imposer chez les individus qui souhaitent implanter la gestion horizontale.

Toutes ces valeurs se rattachent à la conception fondamentale de l’horizontalité, celle-ci voulant que chaque individu soit un facteur déterminant à la réalisation de la mission de l’organisation. En suivant cette vision, il est naturel de favoriser les échanges entre ces individus en leur offrant les connaissances et la liberté nécessaires à l’atteinte de leur plein potentiel.

Série Gestion horizontale

Le fait de cibler ces principes comme étant prioritaires ne change néanmoins pas la culture de l’organisation. «On a vécu l’expérience que beaucoup de nos clients vivent. C’est naïf de penser que parce qu’on a ces valeurs, elles vont se mettre en place de façon naturelle», précise Samantha Slade en soulevant les efforts nécessaires pour cultiver la culture vivante, humaine et innovante qu’imaginait Percolab lors de sa création. D’après elle, cette difficulté à faire évoluer les mentalités au sein d’une organisation viendrait du fait que les réflexes hiérarchiques sont pour plusieurs profondément ancrés. Ces réflexes se sont développés au fil des années à travailler dans des environnements où la collaboration et la prise d’initiatives n’étaient pas encouragées. «Ce n’est pas parce qu’on dit aux gens qu’ils peuvent tous participer que chacun va tout d’un coup se mettre à participer, surtout si ces personnes ont vécu des expériences négatives en prenant leur leadership personnel», illustre-t-elle. Il serait ainsi nécessaire de donner le temps aux équipes de s’acclimater au changement de posture de l’organisation, et donc de ne pas précipiter la démarche.

Quand la mission et les valeurs vont de pair

Cette transition de culture se voit facilitée lorsqu’il y a une adéquation entre la mission de l’entreprise et les valeurs issues de la gestion horizontale. Chez Avocats sans frontières Canada (ASFC), il existerait un lien direct entre la raison d’être de l’organisation et les principes collaboratifs qu’elle implante depuis quelques années. Selon son directeur général, Pascal Paradis, lorsqu’ASFC intervient dans des cas de violation des droits de la personne, l’objectif premier est non pas de prendre en charge le dossier, mais plutôt d’outiller les victimes dans leurs recours légaux. Pour Me Paradis, l’implantation de la gestion horizontale relèverait de la même démarche. En donnant les outils nécessaires à ses équipes, ASFC permet à tous de se responsabiliser dans la réalisation commune de la mission de l’organisation. «Ce que nous faisons, c’est de l’autonomisation par le droit. Et c’est justement ce qu’est la gestion collaborative, mais à l’intérieur de l’organisation», résume-t-il.

Des valeurs partagées par plusieurs, mais pas par tous

Effectuer un changement de mentalité adossé à de nouvelles valeurs horizontales n’engendre pas toujours un consensus, et c’est bien normal. Comme le mentionne l’auteur américain Patrick M. Lencioni dans son article «Making Your Values Mean Something», publié par la Harvard Business Review, un aspect inhérent à une culture organisationnelle forte est que celle-ci ne colle pas nécessairement avec tous les individus. Chez Spheratest Environnement, une firme de consultation en évaluation environnementale, l’implantation de principes collaboratifs a mené au départ de quelques employés s’identifiant moins au nouveau style de gestion de l’organisation. D’un point de vue opérationnel, la démission de ces individus représente certainement une perte, mais Lencioni estimerait que celle-ci s’insère dans une transition naturelle visant à solidifier l’harmonisation des valeurs de l’entreprise avec celles de son personnel.

Samantha Slade remarque néanmoins que ces valeurs sont partagées par une majorité d’individus. «Les principes de fonctionnement horizontaux sont partagés par tous. Tout le monde veut fonctionner dans l’ouverture, le respect, la collaboration, la confiance. Ce sont des valeurs communes», soutient-elle. Ainsi, alors que la plupart des organisations s’intéressent à la gestion horizontale dans une perspective de résolution de problèmes, plusieurs y trouveraient une manière de reconnecter humainement en créant des milieux de travail plus accueillants.

Ultimement, l’horizontalité déboucherait sur une vision renouvelée du rôle des organisations en société. De l’avis de Samantha Slade, les pratiques et les structures hiérarchiques modernes sont pour la plupart un legs de l’ère industrielle où la recherche de profits l’emportait sur toute autre considération. Un désir de revoir le fonctionnement des entreprises s’accompagnerait ainsi d’un questionnement quant à la raison d’être des organisations. «La gestion horizontale, ça ne vient pas seul. Ça vient aussi avec une manière de revoir l’économie», affirme-t-elle.