À travers la démarche horizontale, l’implantation de structures et de pratiques collaboratives mène à une redéfinition du rôle du gestionnaire à l’intérieur de l’entreprise. Constats nécessaires à une transition réussie.

Le gestionnaire qui désire contribuer activement au développement d’une culture collaborative se doit de revoir la manière dont il exerce son leadership. Selon Laurent Simon, professeur titulaire au Département d’entrepreneuriat et innovation à HEC Montréal, l’évolution des mentalités managériales mène à un repositionnement du leader comme étant davantage une source d’influence qu’une source d’autorité. «Dans ces formes de gestion de plus en plus transversales qui font le pari de la participation et de la mobilisation, on va parler de servant leadership. Un leadership qui est donc plutôt en appui, en accompagnement, un leadership facilitateur», explique-t-il.

Le gestionnaire aura ainsi le mandat de favoriser l’engagement en ouvrant des espaces de dialogues à l’intérieur desquels les idées pourront se rencontrer et s’alimenter. Laurent Simon expose également l’importance de laisser fleurir le leadership informel, détaché de la position hiérarchique, que peuvent exercer les membres d’une organisation libérée. «Au besoin, c’est tel individu dans l’équipe qui prend le pôle, parce qu’il a mieux compris les enjeux à ce moment-là, ou parce qu’il a les compétences nécessaires dans l’instant», illustre-t-il.

Série Gestion horizontale

Au dire de Karl Moore, professeur agrégé à la Faculté de gestion Desautels de l’Université McGill, les présidents d’entreprise sollicitent aujourd’hui davantage l’avis de leurs collègues dans le processus décisionnel. La complexité de leurs environnements organisationnels les incite à rechercher un éventail d’opinions avant de poser un jugement final. Ils sont également plus susceptibles de délaisser la prise de certaines décisions au profit d’acteurs opérationnels. À cet effet, Moore évoque une tendance révélatrice chez les généraux militaires de donner plus de responsabilités aux soldats présents sur le terrain, ces derniers ayant accès aux mêmes données que leurs supérieurs en plus de bénéficier d’une visibilité en temps réel sur le déroulement de la mission.

Pas facile, se détacher du leadership décisionnel

Bien que de plus en plus répandu, ce partage du pouvoir décisionnel demeure néanmoins un exercice ardu pour les gestionnaires. Pour Pascal Paradis, directeur général d’Avocats sans frontières Canada (ASFC), cette transition vers un rôle d’accompagnement était contre nature à certains égards. Étant l’un des trois membres fondateurs, il a vu l’organisation grandir de ses débuts dans son sous-sol jusqu’à employer une centaine de professionnels dans huit pays. Du point de vue de ce dirigeant qui désire être de tous les combats, revoir son rôle et délaisser certaines responsabilités ont fait partie d’une démarche éprouvante, mais libératrice. «Ça me libère énormément. J’en ai moins sur les épaules et j’en suis très content», raconte Me Paradis. Il se veut aujourd’hui davantage mobilisateur, créateur de synergie, mentor, ou encore porteur de l’histoire collective, une transition grandement facilitée par la mise en place d’une structure plus horizontale chez ASFC.

Afin de passer d’un leadership décisionnel à un leadership collaboratif, Laurent Simon recommande d’abord aux gestionnaires de développer leur capacité d’écoute. «L’un des premiers trucs, qui est super cliché, ce serait d’apprendre à se taire», soutient-il. Karl Moore abonde dans le même sens en vantant les bénéfices d’adopter une position d’introverti et de prioriser le questionnement plutôt que le partage de son opinion.

Le professeur Simon poursuit en incitant les leaders à revoir leur rapport au temps. Pour lui, se soustraire de l’action, lever les yeux des opérations et ouvrir l’espace nécessaire à la réflexion permettraient de faire germer des idées novatrices. «Ce sentiment de perdre peut-être du temps est une façon extrêmement efficace d’en gagner», résume-t-il.

Pertinent, le gestionnaire dans une organisation horizontale?

Toujours est-il que cette révision du rôle des gestionnaires ne suppose en rien que ceux-ci deviennent inutiles au sein des entreprises. Ils sont d’abord porteurs des structures favorisant l’efficacité des pratiques collaboratives. Lors de l’implantation d’un système de prise de décision collective par exemple, déterminer la manière dont seront composés les cercles décisionnels reviendra à la direction, du moins en partie. De plus, lorsque des décisions sont prises à l’intérieur de ces cercles, les gestionnaires sont fréquemment imputables de leur implantation. En ce qui a trait à l’assignation des rôles dans l’organisation, son fonctionnement peut prendre des formes variées impliquant divers degrés de collaboration, mais le gestionnaire demeure un acteur notable dans l’établissement des priorités et des intentions derrière chaque fonction.

Ultimement, le succès de la démarche collaborative relève souvent de la posture du gestionnaire dans l’instauration des pratiques horizontales. À cet égard, Marie-Eve Houde, conseillère en développement organisationnel chez ASFC, est catégorique : c’est la vision du directeur général, Pascal Paradis, qui a permis à l’organisation de réussir sa transition vers la gestion horizontale. «S’il décide que ça ne se passe pas, ça n’arrivera jamais. Parce que le pouvoir, c’est lui qui détermine si tout le monde en a ou s’il le garde pour lui-même», explique-t-elle.

De l’avis de Samantha Slade, cofondatrice du laboratoire de cocréation Percolab, cette posture repose sur les motivations intrinsèques du gestionnaire. «Si son identité est dans le contrôle des autres, c’est certain qu’il voit ça comme une perte. Mais s’il souhaite véritablement voir les autres grandir et contribuer pleinement à l’entreprise, il sera alors vraiment dans la joie», soutient-elle.