Les pratiques classiques d’évaluation du personnel où le gestionnaire rencontre périodiquement les employés pour leur offrir de la rétroaction s’harmonisent difficilement avec un environnement prônant un style de gestion horizontal. Pourquoi?

Bien qu’il souligne l’importance de la gestion de la performance pour toute organisation, Olivier Doucet, professeur titulaire au Département de gestion des ressources humaines à HEC Montréal, fait valoir d’entrée de jeu l’importance de la cohérence entre l’approche d’évaluation du personnel choisie par une entreprise et sa réalité organisationnelle. Les pratiques adaptées à une structure hiérarchisée seraient ainsi inappropriées dans une organisation faisant le pari de l’horizontalité, et inversement. De cette manière, un changement de logique managérial suggère inévitablement une mise à niveau des pratiques de gestion de la performance selon le professeur Doucet. «Il faut conduire le changement dans ces deux aspects en même temps», soutient-il.

Série Gestion Horizontale

Envoyer des signaux cohérents

Afin de s’ajuster à une culture horizontale, il serait d’abord impératif de revoir les critères sur lesquels se base l’évaluation du personnel afin qu’ils soient en harmonie avec le besoin de collaboration de l’organisation. À cet effet, Olivier Doucet évoque l’exemple de Microsoft, qui classait jadis les employés en fonction de l’atteinte d’objectifs personnels, un classement qui était alors lié à l’obtention de bonis de performance. Les membres d’une même équipe se voyaient donc incités à rivaliser entre eux plutôt que de combiner leur expertise pour développer des produits qui surpassent ceux des concurrents. Bien que Microsoft ne puisse être caractérisée comme étant une société horizontale, une telle contradiction entre le besoin de coopération au sein de l’entreprise et les incitatifs proposés par ses pratiques de gestion de la performance démontre l’importance pour toute organisation d’accorder ses pratiques à sa structure.

Pour Olivier Doucet, choisir les critères d’évaluation appropriés permet également de faire valoir les priorités de l’entreprise. C’est ainsi qu’une organisation souhaitant implanter un style de gestion plus horizontal pourrait se servir de l’évaluation du personnel pour transmettre ce changement de posture aux employés. «La beauté, c’est que dans plusieurs organisations, le processus d’évaluation de la performance, ça peut être un outil de changement stratégique», soulève-t-il.

Dans son livre Le leadership horizontal – Instaurer une organisation non hiérarchique, une pratique à la fois, Samantha Slade vante également les avantages d’établir ces critères collectivement. Elle affirme qu’une entreprise qui n’engagerait pas ses employés dans l’établissement de mesures de performance adaptées aux valeurs et à la mission de l’organisation aurait plus de risques de voir un désengagement de son personnel dans l’atteinte des cibles fixées.

L’évaluation du personnel, l’affaire de tous

Bénéficier d’une diversité de points de vue dans l’évaluation des employés contribuerait également à rendre les pratiques de gestion de la performance plus horizontales. Aux yeux de Olivier Doucet, dans une entreprise qui valorise la collaboration et où le travail s’effectue fréquemment en équipe, le gestionnaire est rarement le mieux placé pour déterminer la contribution qu’apporte chaque individu. Il est alors important que les employés puissent offrir leurs commentaires sur le travail de leurs collègues.

À cet égard, le système développé par Netflix présente un exemple probant de comment la participation du personnel à la revue de performance peut s’orchestrer. En plus d’être encouragés à se donner de la rétroaction en continu, les employés sont appelés, lors des évaluations formelles, à donner leur opinion sur la contribution de leurs collègues. L’entreprise suggère aux membres des équipes de détailler ce qu’ils aimeraient que l’individu évalué commence, arrête et continue de faire, leurs commentaires étant ensuite rendus accessibles à tous pour éviter que les employés utilisent le système pour régler leurs comptes.   

Olivier Doucet insiste néanmoins sur la nécessité de revoir les objectifs du programme de gestion de la performance lors de l’implantation d’une telle pratique. «Si l’évaluation est utilisée à des fins de rémunération ou à des fins de promotion, c’est clair qu’on met le tapis pour des jeux politiques incroyables», soutient-il. Adopter une perspective de développement s’imposerait ainsi pour minimiser les effets pervers de la rétroaction par les pairs. En ce sens, le professeur recommande aux entreprises de limiter le nombre de fonctions remplies par leur système de gestion de la performance, lui qui souligne que lorsqu’on multiplie les objectifs, ceux-ci finissent souvent par entrer en contradiction. 

Souvent, si ce n’est pas tous les jours

En priorisant l’amélioration continue, il devient pertinent d’augmenter substantiellement la fréquence à laquelle les employés reçoivent de la rétroaction. Dans son ouvrage, Samantha Slade appelle les organisations à développer un processus de revue de performance qui s’insère dans les activités quotidiennes de l’organisation. En développant une culture où les employés sont amenés à demander fréquemment l’avis de leurs collègues sur leur travail, les discussions générées portent sur les enjeux présents de l’organisation plutôt que de se pencher sur des problèmes passés qui sont bien souvent déjà résolus. Le personnel peut ainsi corriger rapidement les impairs à l’instant où ils sont commis et bâtir sur ses réussites.

«On est dans des environnements très volatiles, où les compétences deviennent désuètes rapidement et où il y a beaucoup de restructuration. À ce moment-là, ça prend des systèmes qui sont beaucoup plus agiles, donc beaucoup plus simples, beaucoup plus réactifs», renchérit Olivier Doucet. Il ajoute également que cette forme de rétroaction plus implicite cadre avec les attentes des jeunes générations, qui sont habituées à recevoir beaucoup d’information en temps réel. Ce serait ultimement l’approche à préconiser dans un environnement valorisant d’abord l’apprentissage commun plutôt que l’atteinte de cibles individuelles, un virage que prennent de plus en plus d’entreprises. «Des gens qui atteignent les résultats, mais qui écrasent quelques orteils, qui sont un peu intimidateurs avec leurs collègues, on tolère de moins en moins ça», conclut-il.