Face à un contexte social et économique en constante mouvance, les pratiques de gestion horizontale se présentent comme un remède à des défis organisationnels qui se multiplient. 

Les pratiques de gestion horizontale visent à briser les barrières hiérarchiques d’une organisation. Elles puisent leurs fondements dans une conception renouvelée des interactions entre les individus qui la composent. «Quand je pense à la gestion horizontale, c’est une manière de fonctionner avec de l’humanisme et de la bienveillance, tout en étant dans un flow de productivité et de réalisation qui va chercher le plein potentiel de tout le monde à l’intérieur et au-delà de l’organisation», explique Samantha Slade, cofondatrice du laboratoire de cocréation Percolab et auteure du livre Le leadership horizontal – Instaurer une organisation non hiérarchique, une pratique à la fois. Bien qu’elle se distingue régulièrement de la logique verticale sur le plan des structures organisationnelles et des processus d’affaires, la base de l’horizontalité demeure pour Mme Slade la capacité de «voir l’autre dans toute son humanité et dans tout son potentiel».

La gestion horizontale

Bien qu’elle ne soit pas nouvelle, cette vision d’une hiérarchisation moins prédominante est adossée à une évolution dans le système de valeurs des organisations et des individus. Selon Karl Moore, professeur agrégé à la Faculté de gestion Desautels de l’Université McGill et auteur d’un livre sur les attitudes des jeunes générations dans les milieux professionnels, les millénariaux tendent à se détacher d’un modèle où ils ne sont que des passagers au sein de leur organisation. «Un des grands thèmes qui retient l’attention aujourd’hui est la raison d’être au travail. Comment puis-je donner un sens à mon emploi au-delà d’un salaire?», résume-t-il. Les travailleurs désirent être impliqués dans les décisions stratégiques de l’entreprise et faire valoir leurs idées peu importe leur position hiérarchique, des attentes qui s’alignent difficilement avec une structure organisationnelle classique.  

Pour Samantha Slade, la réponse à cet enjeu réside dans une ouverture vers l’autre, menant à une collaboration et un partage d’idées plus élargis. On en vient à se détacher de la vision qu’une proposition provenant d’un dirigeant serait systématiquement plus valable que celle d’un analyste. Ce changement de posture comporte certes une composante idéologique, mais résulte également d’une complexification de l’environnement des organisations. À cet égard, les questions écologiques et sociales se présentent comme d’importants vecteurs de transformation des mentalités managériales.  

Une approche adaptée aux défis d’aujourd’hui

«Nous vivons dans un monde plus turbulent. Le savoir du passé n’est donc pas aussi pertinent qu’avant, soutient Karl Moore. Quelqu’un de mon âge n’a pas la même sagesse qu’il y a 20 ans.» Cet appel à étendre les sources de la connaissance mène à une redéfinition du rôle du gestionnaire, qui ne se veut plus le seul acteur du processus décisionnel. Les dirigeants sont aujourd’hui amenés à remettre en question leurs intuitions, à solliciter l’opinion de leurs collègues et à appuyer leurs décisions sur les données probantes. «Nous sommes dans un monde où le passé ne prédit plus aussi bien l’avenir. Donc, si vous êtes coincé à être le patron et être hiérarchisé, c’est simplement dépassé», résume le professeur Moore.

«Le fait que les modèles d’innovation ont changé fait aussi en sorte que les modèles de gestion doivent changer», ajoute Laurent Simon, professeur titulaire au Département d’entrepreneuriat et innovation à HEC Montréal. Selon lui, la vision de l’individu développant dans l’obscurité une solution novatrice et la présentant au monde de manière héroïque est révolue. «Aujourd’hui, on est dans des modèles d’innovation complexes, combinatoires, et qui supposent une forme de participation», précise-t-il en soulignant l’impératif que posent ces changements de pratiques sur notre conception du leadership et, incidemment, du gestionnaire en organisation.

Le modèle du leader «superman» qui cherche à être suivi aveuglément gagnerait à être remplacé par un leadership d’influence et d’accompagnement. «Un leadership de la question plus qu’un leadership de la réponse a aujourd’hui davantage de chances de provoquer de l’engagement et de faire émerger des idées nouvelles», soulève Laurent Simon.

Prière de ne pas faire table rase

La gestion horizontale n’appelle néanmoins pas à l’abandon de toutes formes de hiérarchisation. En effet, l’implantation de pratiques collaboratives dans une organisation ne nécessite en rien le rejet immédiat des structures et des façons de faire existantes. À ce sujet, Samantha Slade est claire : l’horizontalité ne signifie pas être tous au même niveau, assumer conjointement les mêmes responsabilités ou être payé également. La démarche constitue plutôt un espace d’apprentissage commun visant à développer des outils qui favorisent la collaboration et l’échange d’idées. Ce cheminement peut ainsi s’orchestrer à divers échelons de l’organisation, sans nécessairement bénéficier de l’appui initial de la haute direction. «À un moment donné, si une organisation veut devenir horizontale, il va falloir que ça vienne d’en haut. Mais on peut faire tellement de choses sans que ça soit ça. Ça peut être une équipe qui fonctionne de manière horizontale. Ça peut être une organisation verticale qui fonctionne avec beaucoup de pratiques collaboratives», soutient-elle.

Plusieurs modèles de gestion horizontale plus normés comme l’holocratie ou la sociocratie peuvent servir de point de référence lors de la transition, mais leurs principes demandent tout de même d’être adaptés à la réalité de chaque organisation. Pour Pascal Paradis, directeur général d’Avocats sans frontières Canada, c’est cette personnalisation qui a permis l’implantation d’une structure collaborative puisant certes ses racines dans la sociocratie, mais ciblant avant tout les besoins de l’ONG. «On s’est dit qu’on allait regarder ça très humblement et qu’on allait apprendre. On souhaite développer un système qui n’est pas dogmatique, mais qui va plutôt chercher ce qu’il a de bien là-dedans», explique-t-il.

Bien que la gestion horizontale puisse prendre des formes variées, certains principes de base demeurent. Des valeurs comme la bienveillance, l’autonomie et la transparence encadrent l’ensemble des pratiques collaboratives. De ces pratiques, certaines sont prédominantes à l’établissement d’une culture moins verticale. Revoir la manière de tenir des rencontres d’équipe en favorisant un climat d’échange et d’ouverture se veut pour plusieurs un point de départ tout indiqué.

L’établissement d’un processus décisionnel collaboratif constitue également une pratique phare de la gestion horizontale. Cette dernière vise à ce que chaque individu présent au cercle de décision consente à la proposition à partir de sa propre évaluation en priorisant d’abord la mission de l’entreprise. Cette méthode serait ainsi fondée sur l’obtention d’un consentement commun plutôt que de la recherche du consensus, une distinction critique aux yeux des intervenants rencontrés. «La dictature du consensus, c’est aussi atroce que la dictature de l’autorité», note à cet égard Pascal Paradis.

Une démarche d’apprentissage en continu

Samantha Slade met ultimement en garde les gestionnaires habités d’attentes déraisonnables qui désireraient faire la transition vers l'horizontalité de manière précipitée. Ceux-ci risquent de rapidement se heurter aux limites d’une implantation mal avisée. Elle recommande de cibler d’abord un domaine de pratique, comme la gestion des rencontres par exemple, et de s’y attarder pendant une période prolongée. Une fois que des bénéfices tangibles sont constatés, il est ensuite possible de poursuivre l’introduction de l’horizontalité dans d’autres domaines, comme la résolution de conflits ou encore l’évaluation du personnel.

Samantha Slade insiste néanmoins sur un point : la démarche en gestion horizontale ne représente pas une fin en soi, celle-ci tentant plutôt de trouver réponse à des enjeux organisationnels concrets. C’est ainsi une transition vivante qui n’a pas de réel point d’arrivée. De cette manière, les pratiques sont amenées à être revues continuellement pour s’adapter aux réalités changeantes de l’organisation. «On ne fait que commencer à voir la manière dont la gestion horizontale pourrait se décliner dans des contextes spécifiques et différents», conclut-elle.