Illustration : Sébastien Thibault

L’absence prolongée d’un employé peut causer une pression énorme sur les autres membres de son équipe et sur son gestionnaire. Comment éviter les frustrations de part et d’autre et faire en sorte que tout se déroule pour le mieux?

Supporter l’absence d’un employé pendant quelques jours est une chose, mais gérer une pause de plusieurs semaines voire de plusieurs mois en est une autre. Bien souvent, les dossiers seront réattribués de façon aléatoire et le gestionnaire en prendra beaucoup sur ses épaules afin de ne pas surcharger son équipe.

Au bout du compte, les frustrations et les non-dits s’accumuleront et culmineront au moment où le collègue reprendra son poste. À son retour, celui-ci risque fort d’essuyer des remarques grinçantes, voire franchement acrimonieuses...

Il est pourtant possible de ne pas en arriver là et surtout, de mieux s’organiser pour bien traverser la période de transition.

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Des erreurs fréquentes

D’entrée de jeu, Jean Poitras, professeur titulaire au Département de gestion des ressources humaines de HEC Montréal, souligne qu’en pareille situation, certaines erreurs typiques sont souvent commises. «Le gestionnaire ne prend pas le temps de mettre sur pied un plan d’action. Il se dit qu’il ne s’agit que d’un changement temporaire et que tout rentrera dans l’ordre quand l’employé reprendra son poste», constate-t-il. Ce faisant, on pave la voie au ressentiment et à des baisses de productivité.

Autre faux pas fréquent : demander à un autre employé d’absorber la charge de travail de la personne absente sans lui accorder quelque avantage que ce soit en retour. Autrement dit, il travaillera davantage pour le même salaire, une véritable bombe à retardement qui risque de plomber la motivation au travail. «Il ne s’agit pas nécessairement de donner une compensation financière ou un bonus. On pourrait, par exemple, laisser l’employé partir plus tôt dans la journée ou lui accorder le vendredi après-midi de congé», fait remarquer Jean Poitras. Réfléchir à une forme de reconnaissance – et pas seulement une petite tape dans le dos! – permettra de préserver un bon climat de travail et de maintenir l’engagement.

Préparer un plan de match

Mettre en place un plan de match est d’ailleurs la stratégie que préconise Mouna Knani, professeure agrégée au Département de gestion des ressources humaines de HEC Montréal. «Dès qu’il est informé que l’un de ses employés s’absentera pendant un certain temps, le gestionnaire devra évaluer la charge de travail et les responsabilités que cela représente. Il devra aussi réfléchir à la façon dont il va répartir celles-ci de façon équitable entre les membres de l’équipe et déterminer quels sont ceux qui possèdent les compétences nécessaires pour prendre le relais», recommande-t-elle. S’assurer que la relève a accès aux ressources dont elle a besoin – des logiciels, par exemple – pour s’acquitter de ses nouvelles responsabilités est aussi un incontournable.

«Il y a souvent une différence entre la charge de travail réelle et celle que perçoivent les employés qui devront la réaliser. Lorsque cet écart est très grand, les tâches additionnelles sont mal reçues. C’est pourquoi il est important de prendre le temps de bien expliquer de quoi il retourne», précise Mouna Knani.

Mario Côté, CRHA, consultant, conférencier et formateur, souligne pour sa part que le gestionnaire devrait systématiquement effectuer une réflexion préalable afin de déterminer qui, au sein de l’équipe, détient quel type d’expertise. Ainsi, il ne sera pas pris au dépourvu en cas d’absence. «Une bonne gestion de l’information est également indispensable pour éviter, par exemple, d’avoir à appeler la personne absente pour savoir où se trouve tel ou tel dossier», préconise-t-il.

Éviter la surcharge tant quantitative qu’émotionnelle des employés requiert aussi un travail de priorisation. «En concentrant les efforts sur les activités cruciales, on réduit la pression exercée sur le reste de l’équipe», assure Mouna Knani. En matière de gestion des priorités, Mario Côté conseille d’appliquer la règle des trois R : «Reporter les dossiers lorsque c’est possible. Renoncer à certaines tâches si c’est nécessaire. Recruter et faire appel à des ressources tant à l’interne qu’à l’externe pour faire en sorte que le travail se fasse», énumère-t-il.

Le gestionnaire ne devrait donc pas hésiter à revoir les délais et les échéanciers, et surtout, s’assurer que la charge de travail est bien répartie et que les objectifs sont réalisables. Par la suite, il devra aussi faire un suivi régulier avec son équipe.

Éviter le piège de tout prendre sur soi

Un piège dans lequel tombent fréquemment les gestionnaires consiste à tout prendre sur leurs épaules lorsqu’un employé s’absente. «On devrait plutôt commencer par s’asseoir avec son équipe pour discuter de la répartition du travail. D’ailleurs, bien souvent, les meilleures idées viendront des collègues. Il faut trouver les solutions ensemble», observe Mario Côté.

«L’idéal est de favoriser la collaboration, ajoute Mouna Knani, et de ne pas tout déléguer à une seule personne, car, ce faisant, on risque de l’épuiser. On devrait au contraire encourager le partage des tâches et des connaissances, ce qui crée une synergie et permet d’éviter toute surcharge de travail.»

Selon la professeure, un gestionnaire doit apprendre à déléguer et ne pas se dire qu’il est le seul capable d’accomplir les tâches. «Si on ne lui donne pas la latitude professionnelle et la confiance dont elle a besoin, l’équipe n’aura pas envie de s’impliquer davantage, explique-t-elle. On devrait chercher à développer une intelligence collective au lieu d’une intelligence individuelle.» De plus, rapatrier sur son bureau toutes les tâches de la personne absente est une arme à double tranchant, car on sera alors moins disponible pour les autres employés, ce qui aura également des retombées négatives.

Si, malgré tout, on n’a d’autre choix que de prendre sur soi la majorité des tâches – parce qu’on travaille dans une petite entreprise, par exemple–, on devrait au moins s’assurer de planifier une période hebdomadaire pour faire le point et revoir les priorités. Dans ce contexte, déterminer ce qui est essentiel et apprendre à dire non permettra de garder le cap.

Penser à l’après

Pour assurer un retour harmonieux de l’employé qui s’est absenté, un travail en amont est nécessaire. «Le gestionnaire doit éviter de stigmatiser cette personne durant son absence et communiquer de façon très professionnelle avec le reste de l’équipe, à qui il expliquera la situation en évitant toutefois de divulguer des détails trop personnels. Par exemple, si l’employé lutte contre un cancer, il ne voudra pas nécessairement que ses collègues soient au courant. Il faut faire preuve de discrétion», souligne Mouna Knani.

Le gestionnaire se limitera donc aux aspects professionnels, notamment à la gestion de la transition, tout en invitant les employés à poser des questions et à exprimer leurs préoccupations.

Lorsqu’on communique avec la personne absente, là encore, le tact est de mise. «On ne la bombarde pas de messages ou de questions, mais on peut lui faire parvenir de temps à autre un courriel bienveillant de la part de ses collègues», indique la professeure.

Par ailleurs, Mario Côté suggère fortement de planifier le retour au travail et de bien préparer le terrain avant la réintégration au sein de l’équipe, une étape qui, souvent, est malheureusement négligée. «Prévoir une rencontre exploratoire avec l’employé avant son retour et assurer son accompagnement par la suite sont de bonnes pratiques», ajoute-t-il.

Pour boucler la boucle, le gestionnaire aurait aussi tout intérêt à réaliser un bilan objectif et à se demander si le travail en tant que tel ne serait pas en cause dans le départ de l’employé, par exemple en raison d’un épuisement. «Si on a dû engager deux personnes pour remplacer l’employé absent, il y a certainement des questions à se poser... Prendre soin de ses employés et de ses équipes est crucial, d’autant plus en période de pénurie de main-d’œuvre», conclut-il.

Article publié dans l’édition Hiver 2024 de Gestion