Article publié dans l'édition automne 2016 de Gestion

Vous connaissez la loi des trois générations ? La première génération créé l’entreprise, la deuxième la fait croître et la troisième la détruit. Puisque les entreprises familiales dépendent largement des talents et des ressources des différents membres de la famille et des générations suivantes, comment peuvent-elles assurer leur capacité à travailler ensemble et, dès lors, leur survie ?

Les statistiques montrent que trois fois plus d’entreprises familiales survivent durablement comparativement à celles où il n’y a pas de liens familiaux. C’est peut-être parce que, chez ces dernières, les propriétaires gestionnaires, dont le sort est étroitement lié à celui de l’entreprise, sont moins nombreux ou parce que les cadres sont avant tout des agents de leurs propres intérêts par rapport à ceux de l’entreprise. Néanmoins, les menaces qui planent sur la longévité des entreprises familiales sont réelles, en particulier dans le cas des sociétés n’ayant qu’un accès limité à du financement externe. Ces menaces touchent principalement deux aspects : la gouvernance d’entreprise et le renouvellement des ressources et de l’offre.


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Les défis de l’acquisition de talent et de l’harmonie familiale

Pour assurer la pérennité de l’entreprise familiale, ses dirigeants doivent parfois sacrifier les désirs de la famille dans l’intérêt de l’entreprise. Ils doivent nommer les gestionnaires les plus talentueux, même si cela peut décevoir certains membres de la famille moins compétents qui convoitaient des postes clés. En effet, ceux qui ne sont pas prêts à accorder la priorité aux intérêts de l’entreprise devraient vendre leurs actions aux membres de la famille qui, eux, le sont. Par ailleurs, il est très important que les termes du rachat soient établis d’avance afin de faciliter les choses lorsque cette situation se présente et d’éviter les écueils souvent occasionnés par ce processus délicat. De plus, les membres propriétaires qui n’occupent pas de fonction de gestion à proprement parler au sein de l’entreprise familiale doivent être prêts à investir suffisamment de leur temps pour observer et évaluer le comportement et la performance de leurs cadres. Même s’il n’est pas nécessaire que tous les propriétaires de la famille participent aux activités quotidiennes de l’entreprise, le fait que certains d’entre eux, plus expérimentés, gardent l’œil ouvert sur les cadres dirigeants peut s’avérer un atout majeur, ce qui requiert toutefois de la formation continue et des évaluations ponctuelles.

Finalement, les propriétaires doivent réfréner leur avidité et retirer des capitaux en fonction des ressources de l’entreprise et de leur contribution personnelle. Il est parfaitement normal que ceux qui occupent les fonctions clés les plus exigeantes au sein de l’entreprise reçoivent une rémunération plus importante (et qu’ils possèdent même plus d’actions) que les propriétaires plus passifs ou occupant des postes moins stratégiques. En effet, un processus juste qui permet de préserver l’équité au sein de la famille est primordial afin que les relations familiales et les affaires ne se nuisent pas mutuellement.

Expertise et objectivité recherchées

Lorsqu’une entreprise familiale est de grande envergure ou particulièrement complexe à gérer, la supervision d’un conseil d’administration s’avère particulièrement utile. Les directeurs qui y siègent peuvent alors, grâce à leur expertise reconnue, guider les cadres et leur donner des conseils judicieux. Bien que la tentation de nommer uniquement des membres ou des proches de la famille au conseil d’administration soit forte dans les entreprises familiales, il y a des avantages réels à recruter des gens à l’extérieur de ce cercle, notamment des experts de l’industrie et du monde des affaires ou encore des professionnels comme des avocats, des comptables et des banquiers. Ces derniers seront particulièrement utiles lorsqu’un avis objectif devra trancher en ce qui concerne la conduite d’un gestionnaire, par exemple, ou lors de successions au sein de l’entreprise. Ces tiers agissent aussi comme des ressources plus crédibles et impartiales auprès de la famille pour l’aider dans la gestion de conflits familiaux et la prise de décisions stratégiques.

Des cadres compétents

Pour procéder à la sélection des candidats, le talent pour les affaires et l’adhésion aux valeurs familiales clés sont de rigueur. Lorsqu’on s’attend à ce que les membres de la famille de la prochaine génération reprennent éventuellement les affaires, il est utile de commencer à les préparer tôt, notamment en leur donnant des modèles à suivre, en leur inculquant les valeurs privilégiées et en cultivant leur talent. En ce sens, les stages au sein de l’entreprise peuvent être très formateurs, en particulier lorsqu’ils permettent aux nouveaux membres de la famille d’apprendre les rudiments des affaires et de faire connaissance avec les principales parties prenantes.

Aussi, lorsque vient le temps de promouvoir quelqu’un, la tentation peut être forte de nommer le « petit préféré », c’est-à-dire un membre de la famille rapprochée ou étendue. Cependant, en plus de ne pas toujours être les cadres les plus compétents, les membres de la famille sont, de surcroît, beaucoup plus difficiles à licencier en raison des liens émotionnels et financiers qui les rattachent à l’entreprise. Bref, les principes de la méritocratie doivent guider la promotion de tous les gestionnaires afin de protéger l’entreprise contre tout maillon faible.


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Le talent et le rendement avérés sont encore une fois des considérations de premier ordre dans la sélection de la relève pour les postes de la haute direction. Les nominations aux postes de gestion clés devraient se faire selon le mérite et les compétences des candidats. À mesure que l’entreprise croît et longtemps avant que la succession ne soit à l’ordre du jour, les règles qui l’encadreront doivent être clairement établies en ce qui concerne la formation, l’expérience et les aptitudes sociales requises pour occuper les postes de gestion. Finalement, si un tiers est choisi pour diriger la société, les propriétaires qui sont des membres de la famille doivent s’assurer qu’il y a suffisamment de talents au sein de la famille et du conseil d’administration pour guider et évaluer ce nouveau dirigeant.

Renouvellement : entre conservatisme et risque

L’entreprise familiale doit toujours veiller au développement et au renouvellement de ses ressources et de son offre et éviter de tomber dans les excès du conservatisme et du changement révolutionnaire. Souvent, les propriétaires et les dirigeants d’entreprises familiales ressentent un attachement sentimental pour leurs employés, leurs clients, leurs approches commerciales ainsi que leur offre de produits et services. Ces relations, tout comme les produits et services, permettent à l’entreprise de se construire et de se développer sur des assises solides, lui apportant de la stabilité et favorisant sa rentabilité. Mais il est également très important de toujours chercher à renouveler ses produits et services, à les faire évoluer, encore plus dans un contexte où le marché se transforme ou lorsque de nouvelles occasions d’affaires se présentent. Les investissements à long terme dans la formation des employés issus ou non de la famille, l’amélioration des processus, le développement de nouvelles offres et l’approche de nouveaux marchés peuvent éviter aux entreprises familiales de devenir désuètes, une menace qui plane sur bon nombre d’entre elles, le conservatisme étant souvent leur talon d’Achille.

Lorsque les ressources financières et humaines d’une entreprise sont limitées, les efforts de renouvellement doivent être faits avec circonspection, en particulier dans le cas où la nouvelle génération possède peu d’expérience mais a des idées de changement radical. Cela pourrait réduire à néant le précieux héritage des affaires familiales. Par ailleurs, bien qu’il soit important d’encourager l’esprit d’initiative chez les prochaines générations de la famille, il est aussi primordial d’éviter de détruire les compétences fondamentales, les ressources clefs ainsi que les connaissances tacites au sein de l’entreprise. L’innovation a beau être un élément clé de la survie et de la croissance d’une entreprise, si elle n’est pas mise en œuvre avec adresse, le jeu n’en vaut pas la chandelle.


Pour en savoir plus

  • I. Le Breton-Miller, I., « Les facteurs clés de la réussite des successions au sein des entreprises familiales », Gestion HEC Montréal, vol. 36, n1, p.25-34.
  • D. Miller et I. Le Breton-Miller, Réussir dans la durée : Leçons sur l’avantage concurrentiel des grandes entreprises familiales, Les Presses de l’Université Laval, 2010, 404 pages.
  • D. Miller, I. Le Breton-Miller et B. Scholnick, « Stewardship vs. Stagnation : An Empirical Comparison of Small Family and Non-Family Businesses », Journal of Management Studies, vol. 45, n° 1, janvier 2008, p. 51-78.
  • I. Le Breton-Miller et D. Miller, « Entreprises familiales : comment bien préparer la relève », Gestion HEC Montréal, vol. 41, n.1, p. 65-69.