Les gestionnaires assument plusieurs rôles, allant de la création de liens interpersonnels à la gestion de conflits. Alors que les équipes sont de plus en plus morcelées, comment arrivent-ils à donner du sens au travail?

La pandémie a profondément secoué l’organisation du travail. Depuis, nombre d’employés profitent de la flexibilité de pouvoir travailler où ils veulent et quand ils veulent. D’autres arrivent dorénavant à trouver un meilleur équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie personnelle.

Dans les organisations, nous avons pris conscience, collectivement, du rôle central de l’information pour accomplir le travail, de l’importance de la confiance dans les relations professionnelles et de la nécessité d’avoir une personne responsable de prendre de bonnes décisions. Selon Henry Mintzberg, il s’agit là des trois aspects fondamentaux du management[1]. Pourtant, lorsqu’on évoque cette notion, on l’associe davantage au leadership des cadres et des dirigeants.

Mais qu’est-ce qu’un leader? Selon le professeur Peter F. Drucker[2], cette personne serait d’abord et avant tout un bon gestionnaire. L’auteur américain Jim Collins va même jusqu’à dire que ceux qui cherchent à diriger mais qui ne savent pas gérer deviendront soit inadaptés, soit dangereux, non seulement pour leur organisation, mais aussi pour la société[3].

La notion de management a beaucoup évolué depuis les années 1950, mais dans l’ensemble, les pratiques de management qu’a décrites Henry Mintzberg il y a plusieurs années sont sensiblement les mêmes aujourd’hui. Le gestionnaire a pour responsabilité d’assurer l’efficacité au sein de l’organisation en donnant à son équipe la direction à suivre et en soutenant les efforts d’innovation, garants de la performance et de la pérennité de l’entreprise. Cela dit, le manque d’efficacité et la quête de sens qu’on observe actuellement dans les sociétés jettent un doute sur les pratiques de management qui y ont cours.

D’une part, on s’interroge sur la qualité des décisions prises par les gestionnaires et sur leur capacité à bien gérer le travail. On peine à équilibrer la charge de travail, provoquant des réactions de stress chez les employés. Les situations difficiles se multiplient, causant des effets toxiques qui affectent le climat de travail et la santé des employés. Les heures supplémentaires s’accumulent, interférant avec la vie personnelle. Dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, des personnes quittent leur emploi pour un autre qui leur semble plus intéressant.

D’autre part, on entend des gens se plaindre du fait que leur travail manque de sens ou n’en a plus. On a mis beaucoup d’efforts à décrire comment effectuer le travail pour optimiser la performance, négligeant toutefois les raisons de le faire. Or, si la question du sens pouvait sembler superflue avant la pandémie, elle ne l’est plus aujourd’hui. Pour surmonter les difficultés quotidiennes, maintenir notre engagement et donner la meilleure performance, nous avons tous besoin de donner du sens à notre travail.

Ce constat est essentiel : il est important d’occuper un emploi qui a du sens, pour sa propre santé mentale et pour son engagement envers l’organisation[4]. En fait, nous avons besoin de sens dans notre vie, y compris au travail, pour préserver notre santé. Le psychologue américain Roy Baumeister a d’ailleurs déterminé quatre conditions qui concourent au sens de la vie : avoir un but ou un dessein, se sentir efficace, sentir que nos actions sont moralement justifiées et avoir un sentiment de valeur personnelle. De la même façon, on pourrait dire qu’un travail a du sens quand on a une raison de le faire, quand on peut le faire de manière efficace, quand il respecte les règles morales et qu’il procure un sentiment de fierté. En somme, un travail qui a du sens en est un qui vaut la peine d’être accompli, qui est important pour nous et qui correspond à nos valeurs.

Les comportements à favoriser

Pour aider leurs équipes à donner du sens à leur travail et pour soutenir leur efficacité, les gestionnaires peuvent adopter plusieurs comportements[5]. Voici six pratiques de management à encourager.

1- Veiller à la santé et à la sécurité des équipes

La santé et la sécurité sont des droits de la personne et les employeurs ont l’obligation de les assurer à leurs employés. Se sentir en sécurité est aussi une condition essentielle pour stimuler le désir de réalisation et d’accomplissement. La sécurité comporte trois dimensions : physique, psychologique et sociale. On est libre de s’investir dans son propre développement quand on peut travailler l’esprit tranquille, sans craindre des dangers physiques, des atteintes à sa dignité ou l’exclusion.

Le gestionnaire doit alors être attentif aux travail, aux conditions de travail et aux relations interpersonnelles, afin de les prévenir. Si ce n’est pas possible, il doit prendre les moyens nécessaires pour protéger son équipe. Un gestionnaire responsable saura promouvoir activement le bien-être au travail et respecter les frontières entre la vie professionnelle et la vie personnelle.

2- Donner la direction à suivre

Pour que le travail ait du sens, il importe de lui donner une direction qui soit cohérente avec la mission de l’entreprise. De toutes les fonctions administratives qu’a définies Henri Fayol au début du 20e siècle, diriger est certes la plus pertinente aujourd’hui. Rendre explicite la contribution du travail à la réalisation de la mission de l’entreprise encourage les équipes à investir leurs efforts dans des activités utiles. Donner la direction à suivre, c’est aussi prendre le temps d’expliquer les raisons qui motivent les décisions que l’on a prises.

3- Faciliter l’accomplissement du travail

Se sentir efficace est une condition importante pour donner du sens à son travail. Il faut donc que ce dernier soit organisé de manière efficace. À cet égard, avoir l’information utile et les ressources matérielles nécessaires ou avoir de la rétroaction sur l’avancement des projets facilite l’accomplissement du travail. Pour le gestionnaire, cela signifie fournir les ressources, coordonner les efforts pour atteindre les objectifs et organiser des rencontres pour faire le point ou prendre des décisions avec ses employés.

4- Soutenir la résolution des problèmes

L’efficacité peut être compromise par des difficultés ou des problèmes souvent imprévus. Il peut s’agir de problèmes techniques, d’incompréhensions mutuelles ou de défis d’adaptation, soit tout ce qui peut nuire à l’efficacité ou empêcher le travail de se faire dans de bonnes conditions. Dans tous les cas, les équipes espèrent que leur gestionnaire les aidera à résoudre ces problèmes. Toute cette opération comporte cependant un risque : le gestionnaire pourrait être tenté d’assumer l’entière responsabilité de trouver une solution, ce qui représenterait une occasion ratée de soutenir l’autonomie de son équipe et le développement des compétences. Il faut plutôt encourager les individus à comprendre les difficultés qu’ils rencontrent, afin de les aider à les surmonter et à gérer les situations hasardeuses.

5- Soutenir l’autonomie de l’équipe

L’autonomie est un besoin fondamental. C’est aussi une caractéristique importante d’un travail qui a du sens. Pour soutenir l’autonomie de son équipe, un gestionnaire encouragera les discussions ouvertes sur des occasions d’amélioration des processus ou d’innovation, confiera aux employés des tâches qui mobilisent leurs talents et leur donnera la liberté d’organiser le travail de la façon la plus efficace possible. Cela suppose que l’on délègue une partie de son pouvoir.

6- Soutenir le développement des compétences

Le développement de l’autonomie va de pair avec le développement des compétences. Les gestionnaires doivent faciliter l’accès à l’apprentissage et au perfectionnement, solliciter les idées sur les façons d’améliorer l’organisation du travail et encourager l’expérimentation de manières nouvelles ou plus efficaces d’exécuter le travail.

Ces six pratiques de management contribuent à donner du sens au travail et permettent de répondre à trois préoccupations importantes des employés : être à l’abri des menaces et des dangers, avoir une direction claire et inspirante, et entretenir de bonnes relations avec les autres, ce qui exige que les gestionnaires gèrent efficacement les tensions et les conflits.

Dans un environnement complexe comme celui où nous vivons actuellement, les gestionnaires doivent posséder les trois qualités humaines suivantes pour bien gérer le travail : la logique, l’empathie et le sens moral. Par la logique, ils sont en mesure de discerner l’information importante pour la prise de décision. Grâce à l’empathie, ils reconnaissent les intérêts et les valeurs des parties qui sont touchées par les décisions, et ils savent en tenir compte. Et leur sens moral les guide face à des dilemmes lorsqu’ils ont à prendre des décisions qui serviront le bien commun et dont les avantages profiteront à tout le monde.

Article publié dans l'édition Été 2023 de Gestion


Notes

[1] Mintzberg, H., Managing, Oakland (États-Unis), Berrett-Koehler Publishers, 2011, 320 pages.

[2] Drucker, P. F., «Management must manage», Harvard Business Review, vol. 28, no2, 1950, p. 80-86.

[3] Collins, J., «Peter Drucker's Legacy», dans Drucker, P. F. (dir.), Management, New York, Harper Collins, 2008, p. XI-XIV.

[4] Morin, E. M., «Sens du travail, santé mentale et engagement organisationnel», rapport no R 543, IRSST, 2008, 54 pages.

[5] Ces comportements ont été déterminés à partir d’une enquête que nous avons menée auprès de cadres et de dirigeants en France. Le questionnaire qu’ils ont rempli s’appuie sur les caractéristiques qui donnent un sens au travail comme l’utilité du travail, l’autonomie, les occasions de développement, la rectitude morale des pratiques sociales et organisationnelles, et la qualité des relations entre le gestionnaire et ses collègues. Voir Morin, E. M., Falque, L., et Gradito-Dubord, M.-A., «Enquête sur le sens du travail et les pratiques de management dans les entreprises françaises privées», Lille (France), Chaire Sens et Travail de l’Icam, 2020, 219 pages.