Article publié dans l'édition été 2015 de Gestion

Combien de chiffres et de statistiques sont lancés à tort et à travers, sans fin véritablement utile ? Ce n’est pas une révélation : des données récoltées, potentiellement à grands frais, peuvent dire tout et leur contraire, sans autre impact que de garnir un rapport ou une présentation. L’analytique RH propose d’aller plus loin : décoder les données, relire les indicateurs et établir des liens entre eux.

Creuser les mystères qui se cachent sous les chiffres, découvrir de nouveaux angles de vue qui mèneront à des décisions porteuses. Voilà ce que propose l’analytique RH, où l’action de mesurer est orientée selon des indicateurs clairs et multiples, permettant de tisser des liens possibles et d’alimenter des stratégies d’action beaucoup plus structurantes et puissantes. Dès lors, en effet, les données récoltées prennent un tout autre sens. Et en ce qui concerne la rétention du personnel qualifié, elles permettent de préciser les intentions, et donc de prévenir des pertes évitables de talents précieux à l’organisation.


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Prenons un exemple simple des enchevêtrements des données. Les indicateurs recueillis et analysés par l’équipe RH indiquent de mauvais résultats dans l’équipe de M. Mortel. Il est vrai que M. Mortel est avant tout un technicien, bien plus qu’un superviseur ayant développé les compétences pour mobiliser ses troupes. Son style de gestion influence évidemment les collaborateurs sous ses ordres, ceux-ci s’assombrissant à vue d’œil. Quelques-uns, déjà, ont quitté. Que disent réellement les données du rapport RH et comment les utiliser ? Si l’approche analytique est favorisée et les données approfondies pour éclairer les dessous de la situation, on pourra efficacement soutenir M. Mortel et prévenir les dégâts.

La rétention des talents, un calcul gagnant

Encore trop ancrées dans les habitudes, les entrevues de départ, si elles s’appuient sur une préoccupation honnête de la part de l’employeur et un désir sincère de compréhension face à un employé qui quitte l’organisation, mènent bien souvent à de mauvaises pistes. Par exemple, un programmeur compétent d’une PME travaillant dans les hautes technologies explique à son employeur qu’il quitte pour une grande entreprise : celle-ci lui offre, dit-il, une augmentation de salaire de 20 %. Désireux de retenir ses employés les plus dynamiques et performants, le PDG de la petite entreprise est tenté de vouloir rattraper la compétition. Pourtant, il prend une décision sans fondement réel, d’autant plus que, soit dit en passant, l’écart salarial n’est en réalité que de 4 %. En fait, la véritable raison du départ du programmeur, c’est qu’il est à couteaux tirés avec M. Mortel, son superviseur. Mais pourquoi l’avouer en entrevue de départ ? Mieux vaut préserver de bonnes relations, toujours utiles. Bref, en prenant une décision qui lui coûte cher, le PDG ne règle rien. Pourtant, avec des outils efficaces, le PDG aurait pu éviter la perte de cet employé de talent.

Retenir les employés dont le potentiel profite à l’entreprise s’inscrit parmi les vecteurs de performance organisationnelle les plus puissants. En deux mots, les enjeux de rétention, c’est avant tout une question de coûts. Perdre ses meilleurs éléments au profit de la concurrence annonce le péril. On risque de ne plus être compétitif, tout simplement.

Devant les essentiels enjeux de rétention, l’analytique RH permet de poser un diagnostic juste et de prévenir les départs évitables.

Décrypter les nébuleuses intentions

Aux deux vecteurs traditionnellement utilisés dans l’étude du roulement du personnel, soit rester et quitter, une troisième modalité, progresser à l’interne, nuance les données, précise les intentions et offre la possibilité de prévenir les départs. En effet, l’intention de quitter ou celle de rester ne sont pas nécessairement deux intentions incompatibles : chaque individu, portant des ambitions professionnelles qui lui sont propres et qui influencent son désir de progression à l’interne ou de départ à l’externe, verra son comportement orienté selon les possibilités d’emploi. En dégageant les motifs derrière l’intention, les comportements deviennent plus aisément prévisibles.

Ainsi combinés, ces trois vecteurs tissent cinq profils d’intention distincts :

  • Rester dans l’emploi actuel : visiblement, l’emploi correspond aux attentes de cet employé qui n’a pas l’intention de quitter ;

  • Rester en attendant de progresser : cet employé, qui vise la progression à l’interne, se contente pour l’instant de son poste, mais pour satisfaire ses ambitions, pourrait éventuellement quitter pour une autre organisation ;

  • Prioriser la progression : la préoccupation de cet employé est de changer de poste au sein de son organisation. Son poste actuel ne le motive plus, mais il ne manifeste pas le désir de quitter son employeur ;

  • Prioriser la mobilité : cet employé a décidé de ne pas rester dans son emploi actuel et est ouvert à toutes les options qui lui permettront de faire avancer sa carrière ;

  • Prioriser le départ de l’organisation : l’emploi actuel ne correspond plus aux attentes de cet employé qui n’a pas, non plus, le désir de progresser dans l’organisation. Son intention est forte quant à quitter pour un autre employeur.

profils potentiels selon les combinaisons d'intention

Évidemment, selon leur profil d’intention, certains employés déploieront davantage d’efforts dans la recherche préparatoire, comme lire les offres d’emploi, ou les démarches actives pour un nouvel emploi, comme envoyer son curriculum vitæ. Ainsi, un employé qui priorise la progression à l’interne ne consacrera logiquement pas d’énergie à la recherche active de possibilités d’emploi chez la concurrence.

Certaines personnes, par ailleurs, demeureront toujours, d’une manière ou d’une autre, aux aguets : en effet, plus un employé est scolarisé, plus ses attentes seront élevées. Il cherche un emploi stimulant, à la hauteur des efforts qu’il a consacrés à sa longue préparation au marché du travail. Les employeurs devraient être attentifs à son besoin de mobilité, tant à l’interne qu’à l’externe, et être à l’écoute de ses aspirations professionnelles et de sa recherche de défis professionnels à la mesure de ses compétences. Un jeune et brillant avocat fraîchement diplômé qui, par exemple, fait plus de photocopies que de plaidoiries, réalisera avec déception que le cabinet qui se vantait d’être un environnement stimulant n’est pas du tout ce à quoi il s’attendait.

En effet, l’idée viendra à plusieurs de se définir selon un terme en vogue : être « un employeur de choix ». Mais attention ! L’image véhiculée par une entreprise devrait être claire et cohérente avec ce qu’elle offre concrètement. Et dans une économie du savoir, il est vrai, un véritable employeur de choix, celui qui reconnaît les individus, propose des défis, crée des possibilités pour ses employés, réduira leurs raisons de départ, tout en augmentant leurs raisons de rester.

vecteurs de l'intention

De l’énergie bien placée

Prévenir le roulement volontaireUne fois les intentions cernées, reste maintenant à agir efficacement au bon endroit. La première étape : identifier les possibilités de départs volontaires, ceux initiés par les employés. Les départs involontaires sont quant à eux incontrôlables, d’un autre ordre – maladie, déménagement du conjoint que l’on suivra, retraite : inutile de se pencher longuement sur ces phénomènes inévitables, même s’ils sont parfois douloureux pour l’organisation.

Dans la lignée des départs initiés par l’employé lui-même, concentrons-nous sur ceux qui coûtent cher à l’entreprise, entre autres parce que les postes sont plus difficiles à combler compte tenu des compétences requises. Dans cette situation, où les départs sont en outre évitables, l’employeur doit se poser plusieurs questions. Combien coûte un tel départ ? Qui part (profil, compétences, ancienneté) ? À quel moment et dans quelles circonstances se fait le départ ? Bref, quels sont les coûts, au sens large, pour l’organisation ? Et si la tentation est grande, pour y répondre, de se tourner vers l’entrevue de départ, sa validité gagne à être améliorée, par une meilleure formation à ceux qui l’exécutent et l’assurance d’une confidentialité à toute épreuve.

Illustrons la démarche par la petite histoire d’un centre médical où le roulement des secrétaires dépassait l’entendement. Pourtant, les médecins s’entêtaient à ne pas intervenir sur la rétention de ce personnel qu’ils remplaçaient régulièrement sans réaliser les impacts multiples sur leur entreprise. Mais lorsque des consultants ont concrètement calculé le coût du départ d’une secrétaire, évalué à environ 7 000 $, les médecins ont levé les sourcils d’intérêt : le taux de roulement s’élevant à près de 70 % annuellement, l’argent perdu pour la clinique sur cette période équivalait à 35 000 $. Un montant non négligeable… qui pouvait être évité. Plus encore, après examen de la situation, les consultants ont mis en évidence le départ des secrétaires… les plus performantes. Chaque question posée semblait accumuler les facteurs aggravants. Un levier réel pour ces médecins gestionnaires de leur propre clinique !

Rentabiliser les sondages

Toujours dans l’optique de prévenir les départs volontaires évitables, une entreprise peut s’outiller de sondages d’opinion. Certains clameront que c’est un outil coûteux, voire fastidieux. Encore faut-il l’utiliser avec efficacité. Il est vrai que sonder l’ensemble des employés est un lourd processus, mais en ciblant une clientèle d’employés segmentée qu’il interroge régulièrement, l’employeur peut tabler sur des indices fiables qui lui permettent de réagir en corrigeant certaines situations à risque. Par exemple, un indice de mobilisation qui chute de 20 % en quelques mois, passant de 90 % à 70 %, mérite peut-être de la formation ou du mentorat auprès du nouveau superviseur, M. Mortel, afin de rétablir un climat favorable.


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En quelques mots, le sondage doit assurer l’anonymat, et mesurer régulièrement les attitudes et les intentions des employés. Des groupes de discussion peuvent être utiles pour identifier différentes solutions. Enfin, la venue d’un consultant externe pour collecter les données favorise un climat neutre et peut éclairer une situation d’un angle nouveau. Bref, les sondages joueront leur rôle s’ils permettent de comprendre ceux qui restent et de prévenir les départs. La rétention s’enracine dans les liens tissés au travail – donc un climat harmonieux, dans la compatibilité du cadre de travail –, la nature de l’emploi et la culture d’entreprise, les valeurs d’un individu et, ultimement, dans ce que l’individu gagne à travailler dans une organisation par rapport à une autre : le coût d’opportunité.

L’évidence oubliée

quelle est l'ampleur du problème?On perd souvent de vue que 80 % des départs résultent d’une erreur de sélection. Mieux vaut chercher plus longuement, avec rigueur, les futurs employés. Une description réaliste de l’emploi évitera bien des déceptions de part et d’autre. Par ailleurs, une fois la sélection du nouvel employé officialisée, le soutenir dans son intégration avec l’équipe, car bon nombre d’employés ont l’intention de quitter en entrant dans l’organisation !

Pourtant, malgré une sélection minutieuse, des conditions de travail compétitives et une offre honnête de défis et de possibilités, un certain roulement de personnel est normal. Souhaitable, à dire vrai. Question d’équilibre. Quant au roulement élevé sur lequel l’organisation n’a que peu de contrôle, elle devrait à tout le moins assurer ses arrières en recrutant de façon continue, en misant sur une main d’œuvre captive et en se donnant un surplus de personnel afin d’éviter de se retrouver en situation embarrassante.

Pour le reste, la mise en lien des données à la lumière des vecteurs « rester », « quitter » et « progresser » précise les intentions des employés, permet de se concentrer sur les départs volontaires évitables avec la possibilité de les prévenir. Secouons les mythes qui clament que les départs trouvent leur cause dans une insatisfaction salariale ou que l’argent achète la loyauté. En fait, une stratégie de rétention implique un ensemble de moyens cohérents, tissés entre eux, déployant leur force à long terme.

On considère l’humain comme un animal complexe. Pourtant, si l’on sait décoder ses intentions, avec un peu de bonne volonté et la lecture des bons paramètres, il est simple d’en faire son allié. Car sans motivation, il cessera d’avancer, à la recherche d’un nouveau chemin.

Article écrit en collaboration avec Claudine Auger, rédactrice/journaliste.