Familles en affaires - Entretien avec John Davis, cocréateur du modèle des trois cercles
2016-10-01
French
https://www.revuegestion.ca/entretien-avec-john-davis-cocreateur-du-modele-des-trois-cercles
2018-08-14
Familles en affaires - Entretien avec John Davis, cocréateur du modèle des trois cercles
Article publié dans l'édition automne 2016 de Gestion
Le modèle des trois cercles constitue depuis 40 ans la principale référence en matière d’entreprises familiales. En illustrant de manière pratique comment interagissent les grands acteurs qui les constituent, ce modèle met en lumière leur interdépendance. Gestion s’est entretenue avec un des inventeurs de ce modèle, John Davis.
Comment est né le modèle des trois cercles ?
Le modèle des trois cercles a été créé, vers la fin des années 1970, par un collègue de l’université Harvard, Renato Tagiuri, et moi-même. À cette époque, presque rien n’avait été écrit sur les entreprises familiales. On les considérait comme inintéressantes et probablement vouées à disparaître. Renato et moi avons commencé à étudier les entreprises familiales pour tenter de comprendre les principales préoccupations des gens qui en font partie et comment ils se comportent. Nous avons alors conçu ce modèle pour expliquer de manière très fondamentale les principales caractéristiques organisationnelles et sociales de ces entreprises. Nous en sommes rapidement arrivés à la conclusion qu’elles constituent des systèmes, dont les composantes interagissent et sont interdépendantes.
Comment ce modèle fonctionne-t-il ?
Il y a tout d’abord un cercle pour l’entreprise, qui englobe tous les employés, à temps plein ou à temps partiel, ainsi que les directeurs actifs qui siègent au conseil d’administration, etc. Puis, il y a les propriétaires. On peut donc imaginer, pour toutes les entreprises de ce type, deux cercles qui se chevauchent : un pour les employés et un pour les propriétaires. Dans les entreprises privées, la plupart des propriétaires se trouvent dans les deux cercles en même temps. Dans les entreprises familiales, il y a un troisième cercle, qui contient tous les membres de la famille qui sont liés à l’entreprise. Quiconque fait partie du groupe des héritiers ou du groupe des propriétaires, liés à ces membres de la famille, fait partie de ce que nous avons appelé la famille d’affaires.
Pendant presque 40 ans, aux prémices des recherches dans ce domaine, nous avons donc tenté de comprendre non seulement l’entreprise familiale mais aussi le groupe de propriétaires de la famille, ainsi que la famille d’affaires elle-même, et de bien saisir comment celle-ci influence le groupe de propriétaires et l’entreprise, et vice-versa. Il s’agit toujours d’observer les interactions, c’est-à-dire la façon dont les groupes influent sur les autres parties du système. Les entreprises familiales ont tendance à mieux performer que les autres ; il y a donc des apprentissages très importants à en tirer.
Comment les dynamiques familiales influent-elles sur l’entreprise et les propriétaires ?
La famille peut soit aider l’entreprise, soit lui nuire. Si la famille a de très hauts standards professionnels et que ses membres ont la conviction qu’ils doivent être bien formés et capables de contribuer autant que possible à l’entreprise, ils seront de meilleurs employés et de meilleurs dirigeants. Si, de plus, la famille est unie et unanime en ce qui concerne la mission de l’entreprise et la façon de la diriger, cela crée des fondations très solides et se concrétise par une meilleure gestion de l’entreprise.
Comment les propriétaires peuvent-ils être à la fois de bons dirigeants et de bons membres de la famille ?
La réponse à cette question n’est pas simple. Ce que nous savons cependant, c’est que les familles qui accordent suffisamment d’attention à la fois à la famille et à l’entreprise réussissent mieux dans le domaine des affaires. Par ailleurs, les membres de ces familles comprennent fort bien ceci : même s’ils aiment leur famille, ils sont responsables de l’entreprise et ont des devoirs envers elle. Ils demeurent professionnels. Les bons dirigeants sont doués pour concilier les deux ; on dit qu’ils endossent tous les jours deux rôles, parfois trois : ceux du gestionnaire, du propriétaire et du membre de la famille. Ainsi, pour gérer une entreprise familiale et une famille, on doit changer constamment de rôle selon les circonstances afin d’accorder suffisamment d’attention à l’une et à l’autre.
Est-il difficile, pour les employés, de travailler avec des membres de la famille de leur patron ? Comment faire en sorte que tout le monde sente qu’il n’y a pas de distinction entre les employés et faire régner un climat de justice ?
Il s’agit d’une question fondamentale car, au sein d’une entreprise, les principes de la méritocratie doivent être mis en application. Cela dit, presque toutes les organisations souhaitent garder leurs employés clés ou qui leur sont loyaux depuis longtemps. Il faut donc créer une culture du mérite très forte au sein de l’entreprise. On ne doit pas y trouver l’équivalent d’un système de castes comme en Inde, où les liens familiaux déterminent si on est plus ou moins important. Le sentiment de partenariat qui se développe avec les employés qui ne sont pas issus de la famille est essentiel. Ceux-ci peuvent notamment occuper des postes de direction au sein de l’entreprise. Et c’est dans les meilleures entreprises familiales que nous avons observé ce que j’appelle une « culture clanique » au sein de l’entreprise. Issus ou non de la famille, les employés partagent une identité commune et ressentent une grande fierté collective pour toutes les réalisations. Ils aiment que leur clan gagne et réussisse. Cela crée aussi une loyauté très forte.
Quelles sont les meilleures pratiques pour assurer une bonne coordination entre ces trois cercles ?
Une bonne gouvernance est essentielle. La meilleure combinaison possible de politiques et d’ententes permettra de réunir les bonnes personnes afin d’établir les règles et les plans les mieux adaptés aux besoins de l’entreprise. Il peut certainement y avoir un conseil d’administration dans l’entreprise. Les dirigeants au sein du groupe d’actionnaires tiennent habituellement des réunions annuelles, mais il peut aussi y avoir des ententes entre propriétaires et des ententes entre actionnaires. Par ailleurs, les familles peuvent avoir ce qu’on appelle un conseil de famille et tenir des réunions annuelles pour leurs membres, où ceux-ci en apprennent plus sur l’entreprise, sur son fonctionnement, etc. Généralement, ces réunions permettent aux membres de la famille de construire leur loyauté envers l’entreprise et de cultiver un sentiment de fierté par rapport à ce qu’ils possèdent.