Article publié dans l'édition Été 2019 de Gestion

Pourquoi les firmes japonaises établies en Inde réussissent-elles mieux que les autres à retenir leurs employés locaux? Comment certaines entreprises turques prémunissent-elles leur personnel contre le cynisme? Quelle méthode doit-on suivre pour susciter l’engagement par rapport au changement? Des recherches en gestion à l’échelle internationale proposent des réponses.

Le Bhagavad-gita et la gestion japonaise

Alors que la plupart des organisations étrangères établies en Inde peinent à retenir leurs employés embauchés sur place, la situation des entreprises japonaises établies dans ce pays est différente. Selon une étude menée par trois chercheurs de la Leicester Castle Business School1 (université De Montfort, Royaume-Uni), leur succès reposerait sur la capacité des employés indiens à s’adapter aux méthodes japonaises de gestion du changement grâce aux valeurs communes au bouddhisme japonais et à la philosophie indienne traditionnelle.

Cette étude met en évidence des liens importants entre le Bhagavad-gita – le texte qui résume l’essence de la philosophie indienne traditionnelle – et les pratiques japonaises modernes en matière de gestion.


LIRE SON PENDANT : « Vu d'ici... L'équilibre en dépit de l'instabilité »


Ainsi, la première leçon porte sur la nécessité de former son esprit au cycle éternel du temps. Deuxième leçon du Bhagavad-gita : la motivation au travail doit résider non pas dans le désir de cueillir les « fruits du travail » mais dans la tâche elle-même. La troisième leçon a trait à l’équanimité, c’est-à-dire la capacité à reconnaître et à accepter la dualité des choses (succès et échec, par exemple).

Du côté japonais, on observe que les organisations performantes se distinguent par leurs stratégies à long terme. La gestion nipponne est également orientée vers le processus du travail, ou kaizen, un mot qui signifie « amélioration continue ». Quant à la notion d’équanimité chère à la philosophie indienne, elle fait écho aux principes bouddhistes de diligence et d’harmonie auxquels les entreprises japonaises font appel pour réduire les conflits que peut générer la gestion du changement. Dans cet esprit, ces entreprises privilégient également la prise de décision consultative ou consensuelle.

Résistance et cynisme

L’attitude des employés est le facteur qui influence le plus les efforts de changement au sein d’une entreprise. De nombreuses études ont d’ailleurs révélé que les dirigeants tendent à négliger cette influence sur les processus de changement, alors que les comportements négatifs des salariés sont la cause principale de l’échec de ces initiatives.

Une étude2 réalisée à Eskisehir, en Turquie, auprès de six fournisseurs de grands groupes électroménagers, a consisté à analyser les mécanismes à l’œuvre lorsque les employés adoptent une attitude cynique en réaction au changement. Il faut savoir que le secteur de l’électroménager figure parmi les plus innovants là-bas. Or, dans la société collectiviste qu’est la Turquie, la cohésion et le conformisme sont très valorisés ; les employés perçoivent le changement comme une menace envers leurs valeurs et ont tendance à y résister.

Selon les auteurs, les employés peuvent faire preuve de cynisme lorsqu’ils vivent de mauvaises expériences au sein de l’organisation (conditions de travail stressantes, performances médiocres de l’entreprise, etc.). D’autres facteurs (rémunération élevée des dirigeants, mauvaises expériences professionnelles antérieures) peuvent également mener au cynisme, notamment dans le cas d’un licenciement douloureux.

L’étude distingue trois types de comportements des employés par rapport aux changements organisationnels :

  1. le comportement affectif (ce que les salariés ressentent par rapport au changement), 
  2. le comportement cognitif (ce qu’ils en pensent),
  3. le comportement instrumental (comment ils y réagissent).

Parmi les comportements étudiés, ceux qui relèvent de la sphère cognitive sont les plus à même de générer du cynisme parmi les employés dans un contexte de changement. Des opinions négatives sur le bien-fondé du changement et sur les efforts nécessaires pour y parvenir sont des facteurs de risque. Afin de déjouer la tendance et de créer une orientation cognitive positive, l’étude préconise que les gestionnaires offrent une vision, des valeurs et des objectifs clairs aux employés.


LIRE AUSSI : « Comprendre et mieux gérer les individus en situation de changement organisationnel »


Haute performance grâce aux bonnes actions

Une entreprise « ordinaire » peut se transformer en entreprise à haute performance grâce à des initiatives de changement précises qui renforcent l’engagement des gestionnaires et des employés dans le processus de transformation. C’est la conclusion d’une étude3 réalisée par deux chercheurs des Pays-Bas, André de Waal et Ivo Heijtel, qui met en évidence les interventions de changement efficaces.

Lors d’une première étape, les auteurs de l’étude ont choisi un modèle de changement qu’ils ont adapté au processus de transformation d’une entreprise ordinaire en entreprise hautement performante. Le modèle de Whelan-Berry et Somerville4 définit cinq étapes clés dans le processus de changement organisationnel : 

  1. Élaborer une vision claire et convaincante; 
  2. Transférer la vision du changement aux groupes et aux individus; 
  3. Faire adopter le changement par les employés; 
  4. Maintenir la dynamique de mise en œuvre du changement; 
  5. Institutionnaliser le changement.

LIRE AUSSI : « Gestionnaires, embrassez le changement ! »


À la deuxième étape, les auteurs ont testé leur approche théorique au sein d’une véritable entreprise. Pour leur étude de cas, ils ont choisi un fournisseur de services de médias et de communications aux Pays-Bas. Née de la fusion de trois sociétés, cette entreprise a décidé de s’orienter vers la haute performance. Elle a donc mis en œuvre 21 mesures à l’intention des employés et des gestionnaires, celles-ci s’articulant autour de trois objectifs majeurs :

  1. Informer sur le changement, 
  2. Mesurer le changement,
  3. Pousser vers le changement.

L’étude a montré que les mesures les plus efficaces pour informer sur le changement ont été les sessions de sensibilisation des employés et le courrier qu’ils ont reçu de la direction. Par contre, l’information véhiculée au moyen de livres, de DVD ou de l’intranet n’a pas eu le succès escompté. En ce qui concerne la mesure du changement, toutes les interventions se sont avérées efficaces : les questionnaires, la cartographie des qualités des cadres vues par les employés et le test des motivations. Quant aux mesures destinées à pousser vers le changement, les plus efficaces ont été mises en œuvre en équipe et ont incité les gens à dialoguer. En revanche, les initiatives s’adressant directement aux individus – tenir un journal de bord sur les réussites et sur les échecs personnels liés à la performance, par exemple – n’ont pas connu le même succès.


Notes

1 Ashta, A., Stokes, P., et Hughes, P., « Change Management in Indo-Japanese Cross-Cultural Collaborative Contexts – Parallels between Traditional Indian Philosophy and Contemporary Japanese Management », Journal of Organizational Change Management, vol. 31, n° 1, février 2018, p. 154-172.

2 Demirci, A. E., « Change- Specific Cynicism as a Determinant of Employee Resistance to Chance », Is, Güç – the Journal of Industrial Relations and Human Resources, vol. 18, n° 4, 2016, p. 5-20.

3 Waal, A., et Heijtel, I., « Searching for Effective Change Interventions for the Transformation Into a High Performance Organization », Management Research Review, vol. 39, n° 9, 2016, p. 1080-1104.

4 Whelan-Berry, K. S., et Somerville, K. A., « Linking Change Drivers and the Organizational Change Process – A Review and Synthesis », Journal of Change Management, vol. 10, n° 2, juin 2010, p. 175-193.