Article publié dans l'édition Printemps 2021 de Gestion

La dissimulation d’information peut prendre bien des formes, notamment le fait de garder pour soi une idée potentiellement utile pour régler un problème, de feindre d’ignorer la réponse à une question cruciale, d’être évasif ou de ne pas documenter des processus importants afin de conserver du pouvoir. Tour d’horizon de ce phénomène.

Imaginez le scénario suivant : vous êtes l’employé le plus performant de votre groupe, mais votre relation avec votre patron est tendue. Celui-ci doit choisir entre deux plans de marketing afin de mettre en marché un produit conçu par votre équipe. Il vous demande par courriel de lui donner rapidement votre avis, car sa rencontre à ce sujet commence dans dix minutes et il doit annoncer sa décision. Qu’allez-vous répondre? Êtes-vous tenté de prétendre avoir malheureusement lu son courriel trop tard? Si oui, nous assistons ici à une tactique de dissimulation de renseignements. Bien que souvent imperceptible, ce stratagème est peut-être plus courant dans votre organisation que vous pouvez l’imaginer.

Cacher de l’information constitue une solution sur mesure pour se venger discrètement dans l’économie du savoir. En effet, le patron ou les collègues subiront les conséquences de ce méfait mais ne pourront probablement jamais découvrir le coupable.

Alors que les organisations cherchent continuellement à se renouveler et à innover, de nombreuses pratiques sont régulièrement instituées pour favoriser la transmission du savoir : séances de création collective ou de remue-méninges, adoption de systèmes et de processus de partage des connaissances, etc. Bien que ces initiatives soient louables, il ne faut pas sous-estimer le risque que représente la dissimulation d’information.

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Un jeu dangereux

La dissimulation d’information (ou DI) constitue un phénomène abordé dans bon nombre de recherches qui traitent de la gestion des connaissances au sein des organisations. La DI se définit plus précisément comme « toute tentative délibérée de cacher ou de ne pas transmettre des renseignements demandés par une autre personne, et ce, au détriment du succès de l’organisation1 ».

Les actes de DI se divisent en trois catégories2, à savoir la dissimulation de nature évasive, faussement naïve et rationnelle (voir l’encadré ci-contre).

La littérature scientifique nous rappelle que la DI nuit considérablement au transfert du savoir au sein des organisations3. Les pertes financières4 qui en découlent s’élèveraient à 31,5 milliards de dollars par année dans le seul cas des entreprises du Fortune 500. Les organisations affectées par la DI sont moins aptes à innover5, tandis que leurs employés sont globalement moins mobilisés6.

Les causes de la DI

Plusieurs facteurs sont à l’origine des agissements répréhensibles assimilables à de la DI7 : culture du secret, concurrence effrénée, sécurité d’emploi faible ou inexistante, dynamiques interpersonnelles conflictuelles, sentiments personnels de méfiance ou d’injustice, luttes de pouvoir à l’interne.

Pour contrer la DI, les organisations doivent se structurer de manière à ce que tous les membres de leur personnel transmettent volontiers et rapidement les connaissances et les renseignements demandés par leurs collègues. Pour y parvenir, la compréhension globale des incidences négatives de la DI sur une organisation est cruciale. La direction pourra ensuite instituer des pratiques en matière de gestion des ressources humaines qui décourageront la DI au sein des équipes. De nombreuses études ont démontré que certaines mesures sont efficaces pour réduire le recours à la DI en milieu de travail, notamment le renforcement de la justice distributive et procédurale ainsi que l’amélioration des rapports interpersonnels entre les superviseurs et leurs subordonnés.

Par ailleurs, les avancées internationales en ce qui a trait à l’élaboration d’un vaccin contre la COVID-19 constituent un exemple éloquent des bienfaits de la libre circulation des connaissances lorsqu’il s’agit d’obtenir des résultats remarquables. En effet, à l’hiver 2020, au moment où les dirigeants politiques de partout dans le monde fermaient les frontières pour lutter contre la propagation du virus, les communautés scientifiques de nombreux pays s’engageaient déjà à rendre publiques, en temps opportun, les informations essentielles à l’atteinte de résultats probants et rapides.

Vous pouvez remplir notre questionnaire pour déterminer si votre équipe vous cache des choses.


Notes

1 Traduction libre d’un extrait de Connelly, C. E., et Zweig, D., « How perpetrators and targets construe knowledge hiding in organizations », European Journal of Work and Organizational Psychology, vol. 24, n° 3, mai 2015, p. 479-489.

2 Ibid.

3 Connelly, C. E., Zweig, D., Trougakos, J. P., et Webster, J., « Knowledge hiding in organizations », Journal of Organizational Behavior, vol. 33, n° 1, janvier 2012, p. 64-88.

4 Zhao, H., Xia, Q., He, P., Sheard, G., et Wan, P., « Workplace ostracism and knowledge hiding in service organizations », International Journal of Hospitality Management, vol. 59, octobre 2016, p. 84-94.

5 Bogilovic, S., Cerne, M., et Skerlavaj, M., « Hiding behind a mask? Cultural intelligence, knowledge hiding, and individual and team creativity », European Journal of Work and Organizational Psychology, vol. 26, n° 5, juin 2017, p. 710-723.

6 Alnaimi, A. M. M., et Rjoub, H., « Perceived organizational support, psychological entitlement, and extra-role behavior: The mediating role of knowledge hiding behavior », Journal of Management & Organization, mars 2019, p. 1-16.

7 Abubakar, A. M., Behravesh, E., Rezapouraghdam, H., et Yildiz, S. B., « Applying artificial intelligence technique to predict knowledge hiding behavior », International Journal of Information Management, vol. 49, décembre 2019, p. 45-57.