Article publié dans l'édition Printemps 2020 de Gestion

Même les plus optimistes d’entre nous deviennent parfois cyniques en regardant les actualités : promesses non tenues par des dirigeants d’entreprise, rémunération gonflée des patrons alors qu’ils demandent à leurs employés d’en faire toujours plus pour moins d’argent, etc. Mais cet état d’esprit est-il irréversible ?

Les gens cyniques ont une opinion plutôt négative de la nature humaine. Généralement méfiants et peu enclins à la coopération, ils préfèrent miser sur le contrôle et sur la vigilance afin de se protéger.


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Proche cousin de l’indifférence, du désespoir, de la résignation et de la désillusion, le cynisme s’accompagne souvent de comportements de retrait. En agissant ainsi, les cyniques contribuent moins à la collectivité que les personnes portées à faire confiance.

Le cynisme organisationnel

En milieu de travail, le cynisme se définit comme la conviction selon laquelle l’organisation manque d’intégrité et que les principes de justice, d’honnêteté et de sincérité seront toujours sacrifiés au profit de l’entreprise1. Les employés cyniques croient que les dirigeants placent constamment leurs intérêts avant ceux des autres même s’ils prétendent le contraire.

Bien que chaque personne ait une prédisposition plus ou moins forte au cynisme, il faut souvent creuser pour en découvrir les causes exactes. Par exemple, les décisions des gestionnaires et de la haute direction d’une organisation peuvent nourrir ou désamorcer ce cynisme (voir le schéma ci-dessous).

Le cynisme se construit au fil du temps et génère ce qu’on appelle de l’impuissance apprise, c’est-à-dire l’impression croissante voulant que nous n’ayons que très peu d’influence sur le cours les choses.

Bien des facteurs peuvent contribuer au développement du cynisme dans les organisations : promettre  d’écouter les salariés et ne pas le faire (ce que les employés appellent leur « pseudo-voix »), investir dans des campagnes de relations publiques destinées à rehausser l’image de l’entreprise alors que les intentions et le message ne sont pas sincères, etc.

Par ailleurs, cet état d’esprit est contagieux : un climat de cynisme dans une organisation ou des leaders eux-mêmes cyniques peuvent contaminer l’ensemble du personnel à la vitesse de l’éclair2.

Les expériences vécues par des employés peuvent aussi susciter du ressentiment et de la désillusion chez leurs collègues lorsqu’ils en sont témoins ou apprennent ce qui s’est passé.

Les conséquences du cynisme

Le cynisme a des répercussions négatives à la fois sur les individus et sur les organisations.

Puisqu’elles ont tendance à attribuer des intentions et des motivations négatives aux autres, les personnes qui font preuve de cynisme ne saisissent pas toutes les occasions favorables qui se présentent à elles-mêmes et à leurs collègues.

Une étude récente3 a d’ailleurs démontré que les personnes dont le désenchantement est faible réussissent mieux les tests d’habiletés cognitives que les gens désabusés, ce qui déboulonne le mythe du « cynique intelligent qui a tout compris ».

Le cynisme serait également plus prononcé chez les travailleurs à revenus modestes ainsi que chez les gens dont la progression salariale est plus faible que la moyenne.

Dans la littérature scientifique, le cynisme est aussi associé à plusieurs problèmes de santé, dont la dépression et les maladies cardiaques4. Des chercheurs l’ont même désigné comme un des facteurs de risque d’épuisement professionnel5.


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Pour une organisation, cela se manifeste par divers comportements de retrait ou de représailles qui prennent la forme d’actes de démobilisation et de déloyauté. S’il existe un consensus au sujet du cynisme en milieu de travail, c’est probablement celui-ci : entretenir et laisser progresser cet état d’esprit comporte son lot d’effets dévastateurs. Tel un poison, il peut contaminer une organisation qui laisse la situation dégénérer.

Vous pouvez remplir notre questionnaire pour déterminer si votre équipe est cynique.


Notes

1 Voir notamment : Neves, P., « Organizational cynicism : spillover effects on supervisor-subordinate relationships and performance », The Leadership Quarterly, vol. 23, n° 5, octobre 2012, p. 965-976 ; Naus, F., van Iterson, A., et Roe, R., « Organizational cynicism : extending the exit, voice, loyalty and neglect model of employees’ responses to adverse conditions in the workplace », Human Relations, vol. 60, n° 5, mai 2007, p. 683-718.

2 De Celles, K. A., Tesluk, P. E., et Taxman, F. S., « A field investigation of multilevel cynicism toward change », Organization Science, vol. 24, n°1, janvier-février 2013, p. 154-171.

3 Stavrova, O., et Ehlebracht, D., « The cynical genius illusion : exploring and debunking lay beliefs about cynicism and competence », Personality and Social Psychology Bulletin, vol. 45, n° 2, février 2019, p. 254-269.

4 Nelson, T. L., Palmer, R. F., et Pedersen, N. L., « The metabolic syndrome mediates the relationship between cynical hostility and cardiovascular disease », Experimental Aging Research, vol. 30, n° 2, avril-juin 2004, p. 163-177.

5 Maslach, C., Jackson, S. E., et Leiter, M. P., Maslach Burnout Inventory Manual, 3e édition, Palo Alto (CA), Consulting Psychologists Press, 1996, 52 pages.