Des rencontres plus chaleureuses qu’en vidéoconférence, des écrans virtuels géants, une collaboration plus efficace : le métavers pourrait un jour transformer le travail au quotidien dans les entreprises.

En permettant de voir les gestes des interlocuteurs, en facilitant les discussions entre deux personnes au sein d’une plus grande équipe et en augmentant les sentiments d’immersion et de présence des participants – afin qu’ils se sentent réellement en groupe plutôt que seuls chez eux devant un écran –, le métavers pourrait, dans un avenir pas si lointain, offrir une solution de rechange aux vidéoconférences, devenues si fréquentes depuis la pandémie de COVID-19.

«C’est la possibilité de discuter et de collaborer en ligne qui entraînera l’adoption du métavers», prédit Frédérick Plamondon, professeur suppléant au Département des relations industrielles de l’Université Laval, qui voit potentiellement dans cette technologie des améliorations importantes par rapport au télétravail actuel.

Les rencontres en réalité virtuelle offrent aussi un autre avantage dans le cas de certains métiers, comme en design ou en ingénierie, car elles permettent de mieux visualiser des objets à distance. «Cela nous évite de devoir communiquer en 2D des idées en 3D», résume Harold Dumur, PDG d’OVA, une entreprise québécoise qui évolue dans les technologies immersives.

Les rencontres ne sont toutefois qu’un des attraits du métavers et de la réalité virtuelle pour les entreprises.

«Je crois fermement que si elles sont bien implantées, ces technologies augmenteront la productivité», estime Jens Grubert, professeur spécialisé dans les interactions humain-machine à l’Université de Coburg, en Allemagne.

La technologie ne sera pas forcément toujours la meilleure solution, mais des grands écrans peuvent permettre de travailler plus efficacement. Il a aussi été démontré que la possibilité de s’entourer d’un environnement virtuel apaisant (installer son bureau dans une forêt numérique, par exemple) et dépourvu de distractions peut améliorer le bien-être de certains employés, explique le chercheur.

«Le travail dans le métavers peut ouvrir la porte à d’autres bouleversements dont les conséquences sont plus difficiles à évaluer, prévient Frédérick Plamondon. Un environnement purement numérique permet une collecte de données inédite par rapport au travail.» Dans un bureau virtuel, l’employeur peut mesurer les tâches effectuées, mais aussi enregistrer les discussions entre les employés, voir quels documents sont lus par un travailleur (et à quelle vitesse) et beaucoup plus. «Tous les processus en arrière-plan deviennent visibles», explique le professeur de l’Université Laval.

Une telle transformation pourrait avoir des répercussions négatives, notamment par rapport à la perception des travailleurs et au respect de leur vie privée. Mais ces changements pourraient

aussi avoir des effets positifs, par exemple, en améliorant la précision des outils de mesure qui sont déjà déployés pour le télétravail. «On peut aussi imaginer qu’il sera possible d’optimiser les processus et de raffiner le travail en fonction des données recueillies, de la même façon que Facebook optimise les publicités affichées sur ses pages», ajoute Frédérick Plamondon.

Le 9 à 5 devra attendre

Il est difficile de prédire quand les nouveaux modes de travail et de collaboration que permettra le métavers feront leur apparition dans les entreprises. Chose certaine, ce ne sera pas tout de suite.

Pour mesurer l’état actuel de la technologie, Jens Grubert et son équipe ont d’ailleurs quantifié les effets de travailler sur un bureau numérique avec un casque Meta Quest 2 pendant une semaine. Les résultats de tous les paramètres mesurés se sont avérés désastreux : vitesse de frappe, tâches accomplies, frustration, etc.

«Nous nous attendions à ce que les sujets soient moins productifs en réalité virtuelle que dans le monde physique, mais pas à ce point», reconnaît Jens Grubert. Deux participants sur seize ont même dû abandonner l’expérience dès la première journée à cause de problèmes de migraine, de nausée et d’anxiété.

Quelques éléments positifs sont tout de même ressortis de l’étude, comme le fait que la plupart des résultats se sont améliorés vers la fin de la semaine. Considérant le fait que l’appréciation de l’impact de la réalité virtuelle (en termes de bien-être, d’anxiété, de fatigue visuelle, de nausée) diminuait rapidement à mesure que les journées avançaient, une utilisation plus courte de ces technologies serait donc plus efficace.

Harold Dumur rappelle d’ailleurs que le travail dans le métavers ne se fera probablement pas de 9 heures à 17 heures. «Aujourd’hui, je ne passe pas mes journées en vidéoconférence. Et quand ça m’arrive, je me dis que j’ai fait quelque chose de mal», lance-t-il.

«Pour notre étude, nous avons aussi délibérément choisi des outils facilement accessibles dans le commerce, et non la meilleure technologie possible. On peut donc imaginer qu’il serait envisageable d’améliorer les résultats obtenus», précise Jens Grubert.

Les limitations actuelles du matériel (casques encore inconfortables à la longue, résolution limitée, champs de vision réduits, etc.) ne sont toutefois pas les seuls problèmes de la réalité virtuelle. Les logiciels doivent aussi s’améliorer avant que leur usage puisse se répandre dans les milieux professionnels.

«Il y a encore beaucoup de travail à faire, confirme Benoit Ozell, professeur associé à Polytechnique Montréal. Si on voulait se rencontrer efficacement dans un café virtuel et s’assurer que l’immersion et la présence soient complètes, il faudrait, par exemple, que les objets tombent d’une façon crédible, que je doive tirer ma chaise pour m’asseoir, qu’on puisse se serrer la main, que le son ressemble réellement à ce qu’on entendrait dans un tel endroit, que je puisse prendre des notes avec un crayon et un papier, et que je puisse boire mon café», illustre-t-il.

Dossier Métavers

Une adoption par étape

Benoit Ozell croit que des rencontres aussi complexes seront possibles dans dix ans, tandis que Frédérick Plamondon se demande si ce qu’il appelle la «version hollywoodienne» du métavers se matérialisera de son vivant.

Il ne sera toutefois pas nécessaire d’attendre aussi longtemps pour voir le métavers débarquer, du moins en partie, dans les entreprises. La firme de recherche Gartner évalue d’ailleurs que les solutions avancées du métavers, celles qui pourront plus facilement être implantées (contrairement aux solutions émergentes actuelles), commenceront à être déployées dès 2024 par les utilisateurs précoces, et de 2027 à 2029 pour la majorité des autres entreprises.

«La technologie existe probablement déjà pour qu’il y ait des gains dans certaines conditions», observe Jens Grubert. Frédérick Plamondon poursuit :

«Le métavers entrera dans les entreprises par le biais d’applications précises à très forte valeur ajoutée.» À mesure que les organisations estimeront qu’un avantage comme une hausse de productivité est possible, de plus en plus d’utilisateurs feront leur apparition.

«Mais plus on ajoute de la technologie, plus on ajoute de la complexité. On doit avoir les expertises nécessaires et développer les compétences, car cela gruge les profits», prévient Frédérick Plamondon, ce qui pourrait ralentir l’adoption.

Préparer son entreprise

Pour les gestionnaires et les dirigeants, l’arrivée du métavers comportera son lot de défis. «Les entreprises vont devoir créer des environnements virtuels, former leurs gestionnaires et leur personnel, gérer le matériel et s’assurer que les outils sont bien adaptés à leurs employés, souligne Frédérick Plamondon. Pour certaines personnes, la courbe d’apprentissage sera aussi plus abrupte.» Il n’est pas évident que tous accepteront la transition.

Harold Dumur croit pour sa part que de nouveaux postes devront être créés. «Je m’attends à ce qu’il y ait des gestionnaires du métavers, et même des Chief Metaverse Officer», prédit-il.

Selon Frédérick Plamondon, il est essentiel que les gestionnaires de proximité et les services de ressources humaines effectuent dès aujourd’hui une veille numérique, pour bien connaître les futurs changements et comprendre quelles pourraient être leurs répercussions dans leur propre milieu.

«Il est important de le faire pour être en mesure d’intervenir d’une manière positive avant le déploiement des technologies», ajoute le professeur. Après tout, ce sont les gestionnaires qui devront ramasser les pots cassés si le métavers est mal implanté dans leur entreprise.

Article publié dans l'édition Hiver 2023 de Gestion