La mérule pleureuse est un champignon qui, en grugeant le bois, attaque maisons et bâtiments, fragilisant leur structure. À son image, la surcharge – qu’elle soit physique, mentale ou émotionnelle – gruge la santé globale de la personne, la menant à l’épuisement.

Souhaitant certainement faire le bonheur de ses étudiants à l’aide de représentations évocatrices, Mouna Knani, professeure au Département de gestion des ressources humaines de HEC Montréal, explique que la surcharge est ce champignon qui nous gangrène jusqu’à l’effritement complet, nous laissant épuisés, anéantis. «J’aime aussi l’image d’une maison détruite par un incendie, mais dont la devanture est demeurée intacte, pour expliquer l’épuisement : la façade donne l’impression que tout est encore fonctionnel, alors qu’en fait, l’intérieur est ravagé», illustre-t-elle.

À la recherche de l’équilibre

Au-delà de ces images percutantes, lorsque l’épuisement est abordé, il importe de distinguer le stress chronique du stress en tant que tel, indispensable puisqu’il met à notre disposition l’énergie nécessaire pour relever des défis, travailler, apprendre… ou simplement nous lever le matin! Pendant des décennies, les chercheurs qui s’intéressaient au stress se sont inspirés du concept de l’allostasie pour expliquer comment tout organisme vivant cherche à conserver son équilibre malgré les demandes d’adaptation constantes de son milieu : en anticipant les besoins éventuels, le cerveau sécrète des hormones du stress, alertant le corps et lui permettant de réagir à la menace. Une fois la situation d’adaptation passée, la production de ces hormones cesse et le métabolisme revient à la normale.

«Toutefois, si les demandes d’adaptation sont maintenues dans le temps – comme c’est le cas avec la pandémie –, le cerveau définit de nouvelles valeurs de référence : il considère ce niveau élevé de cortisol comme la nouvelle norme», explique Estelle Morin, psychologue, professeure au Département de management de HEC Montréal et professeure associée à la Chaire Sens et Travail de l’Institut catholique d'arts et métiers (ICAM) de Lille. Le stress utile se transforme alors en stress chronique, avec son lot d’effets pervers sur les systèmes impliqués dans l’adaptation, soit le cerveau, le système cardiovasculaire, le système immunitaire et le système métabolique. Cet état d’alerte persistant dispose à de nombreuses maladies chroniques en diminuant nos capacités à répondre de manière adéquate au stress. Par ailleurs, un indice élevé de charge allostatique dont la demande d’adaptation perdure conduit à la détresse et à l’épuisement.

Série Épuisement

Un état de précarité provoqué par la surchage

On le comprend, le stress n’est jamais nul; il est même essentiel, et la fatigue engendrée devrait disparaître au repos. «Quand une personne régule ses activités de manière équilibrée, qu’elle alterne les périodes d’effort et les périodes de récupération, le cerveau conserve un bon dosage d’hormones du stress, selon des normes acceptables», précise Estelle Morin. Cette hygiène de vie est déjà une bonne manière de déjouer le stress chronique. Encore faut-il avoir un certain contrôle sur les charges auxquelles nous devons nous adapter!

Parce que c’est bien la surcharge qui mène au dérèglement et au déséquilibre. Les experts en définissent d’ailleurs trois types. La première, la surcharge physique, fatigue le corps : le port de lourdes charges, le travail debout durant de longues heures, de mauvaises postures, un rythme trop exigeant ou le fait de devoir être éveillé trop longtemps sont autant de facteurs qui sollicitent le corps démesurément. La surcharge mentale, quant à elle, engage la capacité d’attention, la résolution de problèmes complexes et l’analyse de l’information. Finalement, la surcharge émotionnelle – liée à la gestion des relations et à la gestion de notre propre personne – est de plus en plus sollicitée, surtout en temps de pandémie.

Comme l’épuisement évolue dans le temps, conséquence d’une exposition à la surcharge sur une longue durée, Mouna Knani insiste sur l’importance de capter les premiers symptômes, afin d’agir pendant qu’il est encore temps. «Le risque, c’est de sous-estimer la fatigue, l’irritabilité, les troubles de sommeil, les maux de tête ou les rhumes fréquents, met en garde la professeure. Il est encore temps de prendre du recul, de faire le point, de prendre des vacances!» Elle rappelle également que lorsque nous prenons conscience de ces drapeaux rouges, il ne faut pas hésiter à demander de l’aide : «C’est une bonne idée de recourir à de l’aide professionnelle, comme c’est souvent disponible grâce aux programmes d’employés mis en place par l’entreprise.»

En outre, comme le souligne l’experte, une des premières choses à faire, c’est de communiquer avec notre supérieur pour qu’il puisse nous aider à diminuer la surcharge, par divers moyens. «Il faut éviter le déni à tout prix. Les symptômes n’iront qu’en s’empirant, nous menant à l’épuisement. Et, vous savez, si les gens se préoccupaient davantage et de meilleure manière d’épuisement professionnel, il y aurait probablement moins d’employés à recruter!» À une époque où la pénurie de main-d’œuvre crée assurément une pression lourde sur les entreprises, la suggestion ne devrait pas être prise à la légère.