Il vous est peut-être déjà arrivé qu’un collègue ne réponde pas à vos courriels, comme s’il semblait avoir disparu. Alors que plusieurs personnes demeurent en télétravail, le phénomène de la fantômisation (ghosting en anglais) peut se révéler blessant et laisser un arrière-goût d’exclusion. Or il serait également un signal de surcharge et de détresse. N’êtes-vous pas, vous aussi, trop débordé pour répondre?

Depuis le début de la pandémie de COVID-19, nous nous sommes répété que tout irait bien, sur fond d’arcs-en-ciel. D’un ton léger, presque insouciant, nous disons en souriant, tel un réflexe de survie : «Ce n’est pas facile!» Dans son cabinet, Jacinthe Ouellet, psychologue organisationnelle, coach certifiée, formatrice et consultante principale à Humance, rencontre beaucoup de «superhéros». «Mes clients ne pleurent pas; ils veulent montrer qu’ils sont forts. Nous faisons comme si les émotions n’existaient pas. Pourtant, les leaders inspirants savent être vulnérables! En ce moment, je le vois au quotidien : il y a beaucoup d’éléments dépressifs dans la population. Et, malheureusement, beaucoup de déni dans les organisations», relate-t-elle.

Ce que constate cette psychologue de plus de 26 ans d’expérience, c’est un phénomène répandu de stress chronique, une usure et une détresse psychologique sur fond de performance, cette valeur si chère à notre société. «Lorsque la pandémie nous a frappés, nous n’étions pas en terrain vierge en ce qui concerne les hautes exigences de performance de notre société. La pandémie n’a fait que décupler cette pression, et nous sommes tous à risque de flancher sous la surcharge.1»

Malgré cette détresse palpable, Jacinthe Ouellet souligne que le télétravail imposé par la pandémie s’est révélé à la fois une belle surprise et une catastrophe. «D’un côté, nous avons réalisé que nous gagnons en productivité, observe-t-elle. Le problème, c’est que nous n’avons plus de plages horaires pour reprendre notre souffle. Nous avons le sentiment de ne plus avoir le contrôle sur notre travail et notre temps. C’est simple : nous sommes en train de "sprinter" un marathon… avec une jambe amputée!»

La psychologue suggère donc à ses clients d’arrêter le temps. Un peu magicienne, Jacinthe Ouellet? «Nous nous faisons croire que nous n’avons pas le choix de continuer. Nous sommes notre pire ennemi! Je donne à mes clients des permissions; je leur redonne le droit de reprendre le contrôle en recadrant leurs priorités personnelles, avant même les exigences professionnelles, et de lâcher prise sur ce qu’ils ne maîtrisent pas.» Par exemple : qu’est-ce qui est important pour vous, aujourd’hui, en ce moment?

Série Épuisement

Capteurs de détresse!

À la surcharge s’ajoutent d’autres facteurs de risque qui conduisent à l’épuisement. Le manque d’autonomie est de ceux-là. Ainsi, une faible marge de manœuvre, combinée à une forte charge de travail, promet un emploi sous haute tension. «Le manque de soutien social augmentera lui aussi l’accablement d’un employé déjà surchargé, alors qu’un soutien adéquat peut absorber le choc de demandes excessives», explique Caroline Biron, professeure titulaire à la Faculté des sciences de l’administration de l’Université Laval. Autre facteur de risque important : le manque de reconnaissance. «Cependant, en télétravail, c’est un défi! Nous sommes moins au courant des accomplissements de nos collègues, nous avons moins d’occasions spontanées de les féliciter… et surtout, seuls devant nos écrans, nous ne sommes pas conscients des embûches, aussi anodines soient-elles, qui parsèment notre quotidien.»

Pour leur permettre de trouver un appui équilibré et partagé, Caroline Biron suggère aux travailleurs de se référer au modèle IGLO (Individu, Groupe, Leader, Organisation). «En tant qu’individu, je suis responsable de ma santé, mais le groupe doit veiller aux membres de l’équipe : est-il capable de détecter un membre qui ne semble pas bien aller?» Évidemment, le gestionnaire devrait savoir établir une relation de proximité et pouvoir compter sur les ressources nécessaires de l’organisation pour offrir le soutien adéquat à son équipe. «Au-delà de la manière dont l’individu prend soin de lui-même, le groupe, le leader et l’organisation doivent agir sur la charge de travail et capter la détresse avant qu’elle dégénère», précise la chercheuse. Cette dernière ajoute que le gestionnaire doit lui aussi avoir un emploi du temps adéquat : s’il croule sous les courriels ou les réunions, il n’aura pas le temps de prendre soin de son équipe.


Notes

1. Depuis 2020, pour répondre aux besoins de détresse générés par la pandémie, Humance a mis sur pied un service de «Coaching 911», en toute confidentialité.