Dans un contexte de surcharge et de tension, tout le monde n’a pas la même résistance. Certains sont de véritables «Slinky», qui, tel un ressort souple, semblent voguer sur le stress ambiant, tandis que d’autres, plus rigides, se cassent plus facilement sous la pression.

«Tout le monde a des capacités différentes et, c’est vrai, certaines personnes sont capables de rebondir avec facilité devant le stress; elles sont des championnes de la pirouette, alors que d’autres cèdent facilement», reconnaît Jacinthe Ouellet, psychologue organisationnelle, coach certifiée, formatrice et consultante principale à Humance. Qu’on bénéficie d’une bonne génétique ou d’un environnement protecteur, chacun peut, un jour ou l’autre, rompre d’épuisement. «Quelle que soit la dimension de son réservoir à carburant, s’il ne reste de l’essence que pour deux kilomètres, on ne pourra plus avancer une fois qu’il sera vide», illustre-t-elle.

Or, pour le remplir régulièrement, il faut rester alerte face aux réserves qui diminuent. «C’est une prise de conscience de ses limites. Certaines personnes, plus perfectionnistes et plus anxieuses, ne savent pas dire non, ne reconnaissent pas la fatigue ou n’agissent pas devant les signes avant-coureurs. Pour elles, l’échec n’est jamais une option; elles s’imposent de réussir, quelles que soient les conséquences sur leur santé», explique Mouna Knani, professeure au Département de gestion des ressources humaines de HEC Montréal. Selon elle, l’employé doit comprendre qu’il ne porte pas seul le poids du monde! «Les gestionnaires et les collègues doivent participer à cette prise de conscience et réfléchir aux manières de travailler sainement. On doit passer de la gestion des ressources humaines à la gestion humaine des ressources.» L’humain a en effet besoin de se sentir compétent et valorisé.

Série Épuisement

Le courage de se donner les moyens

Pour aller en ce sens, les organisations ont tout intérêt à promouvoir un climat de sécurité psychosociale, en démontrant un engagement véritable. «L’entreprise accorde-t-elle une priorité élevée à la santé psychologique? Si oui, elle devrait y consacrer un budget récurrent suffisant, agir en prévention, outiller les gestionnaires… On n’est pas crédible quand on dit aux employés de prendre congé pour se reposer, mais qu’ils sont trop surchargés pour le faire», fait valoir Caroline Biron, professeure titulaire à la Faculté des sciences de l’administration de l’Université Laval. Comme elle le rappelle avec justesse, le présentéisme, en télétravail ou au bureau, n’est pas banal : les employés présents et malades aujourd’hui seront les malades et les absents de demain.

Engagement clair de la haute direction et priorité accordée à la santé psychologique : voilà déjà un bon départ. «Aussi, il faut cesser de croire que la logique de la productivité et celle de la santé mentale doivent s’affronter. Au contraire, l’idée est de les considérer comme un formidable tandem», ajoute l’enseignante, avant de présenter les deux autres piliers essentiels à un climat de sécurité psychosociale, soit la communication et la participation. Finalement, selon Caroline Biron, un des outils les plus puissants pour désamorcer la détresse est l’écoute active, à laquelle les gestionnaires devraient être formés adéquatement. «Au lieu de proposer des solutions à la personne qui vit des difficultés, ce qui crée généralement de la résistance, accueillons sans jugement, écoutant et reformulant jusqu’à en arriver à une compréhension commune. Et puis il n’y a rien de tel que de demander : "De quelle manière puis-je t’aider?"»

Sauvé par son intelligence émotionnelle

En ces périodes où la demande d’adaptation est forte et où la pression monte, l’atmosphère risque d’être vite saturée de réactions explosives. Savoir identifier la source de son impatience, de sa frustration et/ou de son désespoir constitue déjà une première étape pour désamorcer la tension. «Les émotions négatives signalent quelque chose de manière précise à soi, et la gestion du stress, c’est d’abord de reconnaître ces émotions exprimées par ce stress», explique Estelle Morin, psychologue, professeure au Département de management de HEC Montréal et professeure associée à la Chaire Sens et Travail de l’Institut catholique d'arts et métiers (ICAM) de Lille. La personne se demande : que signifient ces émotions qui accompagnent mon stress, et qu’est-ce que j’en fais?

Des surcharges susceptibles de mener à la détresse, la plus toxique serait la surcharge émotionnelle, de loin la plus sollicitée aujourd’hui. Posséder de solides capacités à gérer ses émotions, à maîtriser ses impulsions et à accueillir celles des autres devient alors un véritable bouclier contre l’épuisement. «La surcharge émotionnelle est encore plus lourde en temps de pandémie, avec le télétravail, parce que c’est très exigeant d’interagir et de gérer les conflits en mode virtuel. Nous, les humains, avons un immense besoin de relations! Et lorsqu’elles sont mauvaises, l’effet est direct sur notre humeur», insiste Estelle Morin. «Développer son intelligence émotionnelle, c’est être capable de répondre adéquatement à ses propres émotions et à celles des autres», conclut-elle.