Un entretien avec un supérieur, une réunion stressante, un projet qui semble dépasser ses compétences ou la peur de perdre son gagne-pain. Autant de situations qui peuvent donner sueurs froides, maux de ventre ou sensations d’étouffement. Comment aborder la peur au travail?

Évoluant sur le même spectre, peur, angoisse ou anxiété portent des nuances essentielles. Alors que la peur provient d’une menace immédiate et concrète à la survie, l’angoisse est un malaise qui résulte d’une extrême inquiétude et l’anxiété est une construction d’une situation redoutée qui envahit la pensée. «L’inquiétude et l’anxiété, c’est ma propre réflexion sur ma peur. Cette peur nourrit mes pensées qui me font perdre contact avec la réalité, en quelque sorte», indique Marie-Colombe Afota, professeure adjointe à la Faculté des arts et des sciences - École de relations industrielles de l’Université de Montréal. «Par exemple, si notre situation financière est précaire et nous place dans une situation d’insécurité matérielle, il est plausible d’avoir une peur réelle de perdre notre emploi. En imaginant les scénarios de mise à pied et ses conséquences, la boucle de l’anxiété qui, il est vrai, porte une composante personnelle s’enclenche», ajoute la professeure, précisant que tous ne s’entendent pas exactement sur ces définitions et qu’il y a souvent des confusions. Il reste que l’anxiété persistante et chronique génère une souffrance incontestable.

Dans une perspective évolutive, la peur, émotion primaire, est nécessaire à la survie. Mais au-delà de l’ours féroce qui nous menace, même dans une société relativement sécuritaire, il est possible de ressentir une peur réelle en milieu de travail. Ce n’est pas nécessairement la survie physique qui est en jeu, c’est la survie sociale et existentielle : le regard de l’autre, la perte de statut, le jugement ou l’exclusion du groupe.

 Concrètement, au bureau, trois types de peur sont susceptibles de faire perdre l’appétit : la  peur liée à l’exécution du travail (est-ce que j’ai les compétences, est-ce que mon patron approuvera le résultat?), la peur liée aux relations sociales (la peur de donner mon idée en réunion, la peur que le patron la désapprouve ou la rejette), et la peur liée à l’incertitude et au changement (lors d’une réorganisation, est-ce que je serai à l’aise dans ma nouvelle équipe?). Toutes ces peurs sont liées à la survie sociale. Évidemment, certaines organisations où règne un climat de peur risquent de voir leur personnel s’enfoncer dans une anxiété toxique. « L’un des problèmes majeurs avec la peur au travail, outre le fait qu’elle finira par rendre les employés malades, c’est que ce climat incite les gens à se taire, à ne pas rapporter des situations potentiellement graves et à avancer dans le déni», affirme Marie-Colombe Afota. Et du point de vue de la créativité, la peur tue les idées.

Série Émotions

Lueur d’espoir

Puisque le cerveau humain est conçu pour anticiper un danger, la peur et l’anxiété sont des émotions que nous vivons régulièrement, au travail ou ailleurs. «Nous sommes naturellement disposés pour présager le pire! Est-ce que je vais être capable de donner la performance attendue? Que pensent mes collègues de moi? Alors que la peur surgit devant la certitude d’une menace, l’anxiété évalue son risque démesurément. Mais l’une et l’autre, puisqu’elles stimulent la vigilance, peuvent mener à prévoir les obstacles et à être proactif», explique Estelle M. Morin, psychologue, professeure titulaire au Département de management à HEC Montréal et membre du Consortium de recherche sur l’intelligence émotionnelle appliquée aux organisations (CREIO). «C’est paradoxal de constater que les gens cherchent l’agilité, mais veulent éviter l’anxiété. On ne sera pas proactif si on ne voit pas venir les dangers.»

Alors que la peur et l’anxiété permettent d’appréhender un danger, l’espoir permet de prédire  ce que l’avenir nous réserve de meilleur. «Faire preuve de leadership, c’est être capable de stimuler l’espérance, savoir mettre en lumière qu’au-delà des difficultés, il y a la promesse des réussites et que l’action apportera un résultat meilleur que si rien n’est fait», précise la psychologue, qui se désole pourtant qu’on résiste trop à cette émotion de l’optimisme, alors qu’on accuse souvent le porteur d’espoir de rêver en couleurs. Eh bien! Rêvons, justement! «L’espoir est une émotion qui ouvre l’imagination. Avec le climat actuel de morosité, notre environnement socioculturel pousse à l’anxiété davantage qu’à l’espérance. Cette question, "qu’est-ce qui arriverait si?", nous n’osons pas la poser, car on y répond trop naturellement avec angoisse. On envisage les risques beaucoup plus que les occasions», rappelle Estelle M. Morin. «Leaders, gestionnaires, vous qui avez de l’influence, nourrissez l’espoir. C’est ce qui fait qu’on traverse les difficultés et les crises. »