Au Québec, le sport reste en queue de peloton en ce qui a trait au financement public, malgré sa grande popularité auprès de la population. Pourtant, l’intervention de l’État a réussi à dynamiser d’autres secteurs d’activité devenus très importants au Québec.

Le sport a une ministre au Québec en la personne d’Isabelle Charest, mais pas de ministère. Il relève plutôt d’une direction au sein du ministère de l’Éducation, dont le budget annuel plafonne à 100 millions de dollars. Ce montant représente environ 0,08% du budget total de la province. À titre de comparaison, la culture reçoit plus d’un milliard de dollars par année.

En raison des ennuis causés par la pandémie, le gouvernement québécois a débloqué des sommes supplémentaires pour le sport et le loisir, dont une aide de 70 millions de dollars annoncée en octobre 2020 et une autre de 5 millions en avril 2021. Ces financements ne sont toutefois pas récurrents. De la même manière, le soutien au sport se bonifie parfois d’un appui à des projets d’infrastructures, mais il s’agit encore là d’événements ponctuels.

Richard Legendre a travaillé longtemps pour Tennis Canada et pour l’Impact de Montréal. Il a aussi été ministre responsable de la Jeunesse, du Tourisme, du Loisir et du Sport au début des années 2000. «Je m’étonne depuis des décennies de l’écart entre la très grande place que le sport et l’activité physique occupent dans la vie des gens et la faiblesse de la contribution financière du gouvernement québécois», déplore celui qui est aujourd’hui professeur associé au Département de management de HEC Montréal et directeur associé du Pôle sports HEC Montréal. Selon Sports Québec, près de 900 000 personnes pratiquent plus de 90 sports au Québec. Des chiffres qui n’incluent pas les nombreux individus qui prennent part à des activités sportives ou physiques en dehors des structures organisées.

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Une mesure structurante

Le monde du sport pourrait peut-être s’inspirer de certains secteurs que l’appui de l’État a grandement contribué à dynamiser, comme l’industrie du jeu vidéo. Son développement constitue un bel exemple de cas où l’aide gouvernementale a permis de créer un effet d’entraînement durable.

Cette histoire peu banale commence au milieu des années 1990, lorsque le lobbyiste québécois Sylvain Vaugeois se met en tête d’attirer le géant Ubisoft au Québec. Il lui promet une alléchante subvention annuelle de 25 000 dollars sur chaque salaire, omettant toutefois d’obtenir au préalable l’assentiment du gouvernement québécois.

Ce bluff permet d’amorcer un dialogue entre les dirigeants d’Ubisoft et le gouvernement de Bernard Landry et de conclure une entente. C’est la naissance du crédit d’impôt remboursable pour la production de titres multimédias, qui s’élève aujourd’hui à 37,5% des dépenses de main-d’œuvre admissibles.

«Cette mesure a été un catalyseur énorme pour le développement de l’industrie du jeu vidéo au Québec», reconnaît Christopher Chancey, président de la Guilde du jeu vidéo du Québec. Lui-même fondateur du studio indépendant ManaVoid Entertainment et cofondateur de l’incubateur et accélérateur Asylum, il enseigne aussi la conception de jeux vidéo dans deux universités québécoises.

Après Ubisoft, le crédit d’impôt a attiré au Québec d’autres joueurs majeurs comme Gameloft et Electronic Arts. Il a également facilité la création d’entreprises d’ici. Toute cette activité exigeait de la main-d’œuvre et cette demande a été à l’origine de nombreux programmes de formation dans les universités et les cégeps. Cette expertise permet aujourd’hui d’attirer et de conserver des joueurs étrangers chez nous, mais elle a aussi suscité l’apparition d’une foule de studios indépendants, souvent lancés par des travailleurs qui ont fait leurs armes au sein des grands studios. La Guilde en recense 195.

«Le fait d’avoir été parmi les premiers au monde à développer un écosystème de jeux vidéo nous assure de miser sur un soutien structurant du gouvernement, d’excellents programmes de formation et un vaste bassin de talents, dont certains ont près de 25 ans d’expérience», résume Christopher Chancey.

Le Québec représente aujourd’hui le cinquième pôle mondial du jeu vidéo après Tokyo, Londres, San Francisco et Austin. En 2019, on y trouvait 231 studios actifs, qui employaient plus de 13 000 personnes. PwC évalue l’impact économique sur le Québec à un milliard de dollars cette année-là. «Cette industrie est très axée sur l’exportation et fait donc entrer de l’argent frais au Québec», souligne Christopher Chancey. La firme KPMG estime que 96% des revenus de cette industrie sont générés à l’extérieur de la province.

Un moteur pour la culture

La culture, dont le financement public est au moins dix fois plus élevé que celui du sport, offre aussi des exemples intéressants. Prenons la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC), née en 1995 d’un mariage entre la Société générale des industries culturelles et l’Institut québécois du cinéma. Dès le départ, son mandat consiste à promouvoir et à soutenir l’implantation et le développement des entreprises culturelles au Québec. L’organisme souhaite aussi contribuer à améliorer la qualité des produits et des services ainsi que leur compétitivité au Québec, dans le reste du Canada et à l’étranger.

L’ampleur des outils dont dispose la SODEC lui permet de dynamiser la culture, de l’émergence de la relève jusqu’à la commercialisation et à l’exportation de nos produits culturels. Elle gère un grand nombre de programmes d’aide financière destinés aux entreprises culturelles et aux artisans professionnels, en plus d’administrer sept mesures d’aide fiscale, une banque d’affaires qui offre des prêts à un taux préférentiel et un parc immobilier patrimonial de 32 édifices. Enfin, elle favorise le développement international de nos entreprises culturelles.

«Notre appui vise bien sûr la production culturelle, mais aussi l’essor des entreprises culturelles elles-mêmes et de leur savoir-faire entrepreneurial», note la présidente et chef de la direction Louise Lantagne. Il ne s’agit donc pas seulement de financer la culture, mais de l’outiller. Le programme d’aide au développement entrepreneurial, par exemple, vise à appuyer l’acquisition de nouvelles expertises au sein des entreprises et à soutenir leur transformation. Il appuie donc des initiatives qui touchent aux modèles et aux plans d’affaires, aux stratégies de commercialisation et d’exportation, aux solutions numériques et au transfert d’entreprise, entre autres.

Le rôle de la SODEC n’est donc pas que financier. Elle organise régulièrement des SODEC LAB en collaboration avec des partenaires, afin d’offrir de la formation et de mettre des entrepreneurs culturels en lien avec des mentors. Elle diffuse également des webinaires, notamment pour bien expliquer certains de ses programmes. À l’étranger, elle suscite des maillages avec des acheteurs et prépare le terrain pour l’arrivée de nos entreprises.

«Notre approche est très axée sur le développement des entreprises et sur leur rayonnement ici et ailleurs, ajoute Louise Lantagne. Bien sûr, l’objectif consiste à soutenir la création culturelle, qui est essentielle au bien-être des gens, mais aussi à la monétiser sur les marchés internationaux à une époque où la demande de contenu culturel est énorme.»

Un gros rattrapage à entreprendre

Les industries du jeu vidéo et de la culture avancent toutes deux des arguments économiques pour justifier la pertinence du soutien public qu’elles reçoivent. Par exemple, une étude de la firme Hill Strategies Research largement reprise par le milieu de la culture évalue à 11 milliards de dollars (en 2016) les retombées économiques directes des produits culturels. L’industrie générerait aussi 161 000 emplois.

«L’industrie du sport est très fragmentée et jusqu’à maintenant, elle ne s’est pas livrée à l’exercice de bien calculer ce qu’elle représente au total en termes de retombées économiques, d’emplois et d’avantages pour le Québec, déplore Richard Legendre. Le monde de la culture est bien meilleur pour s’organiser et plaider son importance.»

S’il croit que le moment est venu, pour Québec, d’accorder une plus haute priorité au soutien du sport, Richard Legendre demeure conscient du défi que cela représente. «En dollars constants, les budgets restent relativement les mêmes qu’il y a vingt ans, rappelle-t-il. Le déficit est si grand qu’il ne pourra se combler rapidement. L’État doit comprendre les retombées économiques du sport, mais aussi ses visées éducatives et ses effets sur la santé des gens. Le gouvernement doit s’engager à rattraper son retard.»

Le triomphe de Tennis Canada

Le Canada fait sensation sur la planète tennis grâce à des joueurs professionnels qui comptent parmi les meilleurs au monde et à une augmentation constante du nombre de jeunes joueurs amateurs. Comment l’État a-t-il contribué au triomphe de Tennis Canada?

«L’aide publique a surtout soutenu nos projets d’infrastructures, qui ont joué un grand rôle dans nos succès actuels», affirme Eugène Lapierre, vice-président principal, tennis professionnel au Québec et directeur de l’Omnium Banque Nationale.

Au tournant des années 1990, Montréal est menacée de perdre son tournoi phare si elle n’améliore pas son stade. Cet événement crucial pour le financement de la relève se tenait depuis 1981 dans le vieux stade de baseball du parc Jarry. Ottawa, Québec et la Ville de Montréal s’unissent alors pour financer la construction d’un nouveau stade, un projet de 24 millions de dollars. Montréal cède aussi le terrain à Tennis Canada.

Depuis son inauguration en 1996, le stade sert à la fois au développement des joueurs et au tennis récréatif. «Ce projet a été très structurant, notamment en raison des terrains intérieurs, explique Eugène Lapierre. En 2007, nous y avons installé notre Centre national d’entraînement et, en 2011, nous avons ajouté quatre terrains de terre battue.» Ces installations ont aidé à attirer le Français Louis Borfiga, qui a géré l’élite tennistique canadienne pendant 15 ans et contribué aux succès de Milos Raonic, Félix Auger-Aliassime et Bianca Andreescu.

Les victoires de ces athlètes ont eu un effet d’entraînement et le nombre de jeunes qui pratiquent ce sport a fortement augmenté au cours des dernières années. Eugène Lapierre souhaite maintenant que les municipalités investissent pour fournir plus de centres de tennis ouverts à l’année.

Article publié dans l'édition Été 2022 de Gestion