Au Canada, un dollar de commandite sur cinq profite au sport amateur[1]. Il s’agit donc là d’un incontournable levier de développement pour ce secteur. Cependant, la concurrence y est et les organisations doivent élaborer de solides stratégies pour séduire les marques.

Vers 1870, des compagnies de tabac ont inséré des cartes de baseball dans les paquets de cigarettes, afin de faire mousser leurs ventes. Cette campagne est généralement reconnue comme le début de la commandite sportive moderne, quoique les bien nantis aient financé des événements, des installations de sport, des gladiateurs et des athlètes au moins depuis la Grèce antique.

«Le sport crée un engagement émotionnel très puissant chez les spectateurs et les marques ont rapidement compris les avantages qu’elles peuvent en tirer», souligne Frank Pons, doyen de la Faculté des sciences de l’administration de l’Université Laval.

Du côté amateur, les Jeux olympiques (JO) constituent un catalyseur majeur. Dès 1928, Coca-Cola nouait avec ces événements un partenariat qui persiste aujourd’hui. La marque allemande Adidas a pour sa part posé un geste fort en 1936, en offrant de l’équipement gratuit à l’athlète afro-américain Jesse Owens pour ses compétitions aux JO tenus à Berlin, dans l’Allemagne nazie[2].

«Les JO de 1984 à Los Angeles ont lancé l’ère des Jeux très commercialisés que nous connaissons maintenant», note Frank Pons. Les organisateurs avaient entre autres restreint le nombre de commanditaires et accordé une exclusivité dans chaque catégorie de produit. Par exemple, aucune autre marque de boisson gazeuse que Coca-Cola ne pouvait utiliser l’image de cet événement.

«L’exclusivité représente un argument très fort en commandite, avance Georges-Étienne Bernier, directeur général de l’agence Effix. Être le seul à pouvoir légalement s’associer à une propriété[3] sportive permet de se démarquer.»

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Ce que recherchent les marques

Le sport amateur dépend grandement des commandites. «Elles financent la construction d’installations, l’organisation d’événements, le développement des athlètes, la réduction des coûts de déplacement et d’hébergement, ou encore, l’amélioration du spectacle», énumère Georges-Étienne Bernier.

«Pour les marques, commanditer le sport professionnel vise plus à augmenter la visibilité, la notoriété et les ventes, alors que soutenir le sport amateur a plus à voir avec la réputation et avec l’image de bon citoyen corporatif», analyse François Carrillat, professeur titulaire au Département de marketing de HEC Montréal.

Les organisations de sport amateur doivent comprendre ces attentes lorsqu’elles approchent des marques. «Elles doivent éviter de mettre trop l’accent sur la visibilité, car elles ne gagneront pas à ce jeu contre le Canadien ou les Alouettes de Montréal, prévient Frank Pons. Elles doivent plutôt se concentrer sur les possibilités d’associer la marque à des valeurs positives.»

Les contacts initiaux devraient par ailleurs demeurer plus informels. «Les premières rencontres servent surtout à établir une relation, à sonder l’intérêt, à discuter des besoins de chacun et à identifier des synergies», souligne Éric Martin, directeur des commandites de BMO en Amérique du Nord.

Au Canada, BMO commandite le soccer professionnel et amateur en soutenant trois équipes de la Major League Soccer, des clubs juvéniles et des académies. «Cela vise à mettre de l’avant notre raison d’être, qui est de faire une différence dans la vie des gens comme en affaires et de redonner à la collectivité», explique-t-il.

Il cite le programme « Donnez l’avantage #FanFini » lancé à l’été 2021, grâce auquel plus de 2 500 joueurs de soccer issus de milieux défavorisés recevront de l’équipement neuf pour leur saison 2022. L’association avec des clubs professionnels a permis à BMO d’accéder à un grand bassin de partisans pour réaliser ce programme et soutenir de jeunes sportifs amateurs. «Cet exemple de synergie entre une commandite de sport professionnel et une autre de sport amateur correspond très bien à notre stratégie», souligne le directeur.

Les 4 principaux acteurs de la commandite

  • PROPRIÉTÉ : L’événement ou l’organisation qui recherche des commandites, et dont la responsabilité est généralement confiée au directeur du marketing ou au directeur du développement des affaires.
  • MARQUE : L’entité qui commandite un événement ou une organisation, et dont la responsabilité incombe souvent au directeur du marketing ou au directeur des alliances stratégiques.
  • AGENCE : Son rôle touche beaucoup à l’activation de la commandite, c’est-à-dire aux manières de la mettre en application et d’en amplifier la portée. Certaines agences développent aussi des outils numériques pour évaluer les retombées des commandites.
  • REPRÉSENTANT : Personne ou firme qui s’occupe de vendre des commandites pour les propriétés et parfois aussi de négocier des ententes.

Maximiser l’effet de la commandite

La commandite dépasse le simple placement publicitaire. «Les marques accordent beaucoup d’importance à l’activation, c’est-à-dire aux manières de faire valoir les droits qu’elles achètent», note Paul-André Côté, stratège marketing senior chez Côté Sports Marketing.

L’activation vise à mettre plus en évidence le lien entre la marque et la propriété et à amplifier la portée de la commandite. En 2020, les marques ont dépensé en moyenne 51 dollars en activation pour chaque 100 dollars de droits de commandite au Canada[4].

L’activation sert souvent à améliorer l’expérience client. Qu’on pense à la terrasse Heineken lors du Grand Prix de F1 de Montréal, qui permet aux visiteurs de passer un bon moment en se désaltérant à l’ombre. Les clients de BMO obtiennent pour leur part des rabais sur les billets et la marchandise du CF Montréal et une entrée exclusive au stade Saputo.

«La propriété doit se montrer imaginative en trouvant des manières de soutenir la marque», résume Paul-André Côté. Il donne deux exemples tirés de son expérience avec les Alouettes de Montréal de 2017 à 2019. Au milieu de la semaine précédant chaque partie locale, l’organisation diffusait sur Facebook une émission d’avant-match, dans le cadre d’un partenariat avec la Cage aux Sports. L’équipe produisait aussi une capsule qui montrait les joueurs en train de monter dans l’avion pour se rendre aux matchs à l’étranger, en mettant bien en évidence le logo du transporteur aérien, Nolinor Aviation.

«Les propriétés et les marques doivent saisir les occasions d’activation générées par l’essor des médias sociaux», souligne Paul-André Côté. Il donne l’exemple de la série Web «Recettes de champions», diffusée par IGA pendant les Jeux olympiques de Pékin en février dernier, dans laquelle cinq athlètes canadiens «affrontaient» leur mère en réalisant une recette.

Nourrir la relation

Une commandite sportive peut parfois durer plusieurs années, à condition de bien entretenir la relation. Comment y arriver? «En tenant compte du fait que ce sont des personnes qui ont noué l’entente de commandite et qui la mettent en application ; la propriété doit soigner ses rapports avec les représentants de la marque, avance Paul-André Côté. Il faut rester près des clients, ne pas hésiter à les inviter à des événements, leur accorder des attentions.»

Marie-Pier Bergevin, directrice des partenariats stratégiques au Grand Prix de F1 du Canada, considère la communication comme l’élément clé de cette relation. «Il faut discuter constamment, se montrer transparent et demeurer à l’écoute, conseille-t-elle. Plus la propriété pose de questions à la marque, mieux elle comprend ses besoins. Elle devient ainsi meilleure pour proposer des formules qui correspondent aux attentes stratégiques du partenaire.»

D’autant que cette relation n’est pas statique. «Un partenariat, c’est vivant, rappelle Marie-Pier Bergevin. Les gens peuvent changer d’emploi ; les plans stratégiques et les besoins évoluent.» La propriété doit constamment démontrer son utilité pour la marque.

Marie-Pier Bergevin insiste sur l’importance de mesurer les résultats des actions et les retombées du partenariat. «Cela permet aux propriétés de montrer leur pertinence, précise-t-elle. Dans le cas où une activité ou un partenariat n’ont pas produit le résultat escompté, cela offre aussi l’occasion de trouver des solutions pour en augmenter la valeur.»

Son ancien collègue chez BMO[5], Éric Martin, reconnaît que leurs commandites sont évaluées constamment, par exemple au moyen de sondages jaugeant les effets d’une commandite sur la notoriété et sur la perception que les gens ont de la marque. L’aiment-ils davantage en raison de ses engagements? Ces commandites pourraient-elles influencer leur choix d’une institution financière? «Des agences arrivent à analyser assez finement plusieurs aspects de la valeur d’une commandite», ajoute Éric Martin.

Un trou d’air

En raison de la pandémie, les dépenses en commandite ont chuté de plus de la moitié en 2020 par rapport à l’année précédente[6]. «Les deux dernières années ont été difficiles ; beaucoup d’événements ont été annulés ou se sont tenus devant des gradins vides et certaines entreprises ont moins d’argent pour les commandites, reconnaît François Carrillat. Par contre, les gens demeurent très avides de revoir des événements sportifs, ce qui augure bien pour les propriétés.»

Il s’attend donc à voir la situation se rajuster assez rapidement. Les organisations sportives pourraient faire face à des entreprises qui souhaitent se protéger davantage avec des contrats comportant des clauses échappatoires ou des garanties, par exemple, en cas d’annulation d’une compétition ou d’un événement. Cependant, le sport conserve tous ses atouts marketing et demeure très attrayant pour les marques.

Article publié dans l'édition Été 2022 de Gestion


Notes

[1] O’Reilly, N., «15th Annual Canadian Sponsorship Landscape Study», IMI International, The Sponsorship Marketing Council of Canada et T1, 2021, 52 pages.

[2] Rappelons que Jesse Owens avait remporté l’or dans le 100 mètres, le 200 mètres, le relais 4 x 100 mètres et le saut en longueur, devant un Adolf Hitler qui ne se montrait pas particulièrement enthousiaste.

[3] On appelle «propriété» un événement ou une organisation qui recherche des commandites.

[4] O’Reilly, N., op. cit.

[5] Marie-Pier Bergevin occupait le poste d’Éric Martin chez BMO avant de devenir directrice des partenariats stratégiques au Grand Prix de F1 du Canada, en janvier 2022.

[6] O’Reilly, N., op. cit.