Certains consommateurs insatisfaits choisissent dexprimer leur mécontentement sur les réseaux sociaux, parfois de façon incivile. En utilisant lhumour, lentreprise visée peut toutefois tourner les choses à son avantage.

Les consommateurs ont souvent recours aux réseaux sociaux pour manifester leur insatisfaction par rapport aux services offerts ou aux produits vendus par les entreprises. Or, compte tenu de leur force de frappe, ces médias sont susceptibles de causer de sérieux dommages à l’image de marque d’une société.

La frustration d’un client insatisfait peut aussi prendre des formes inciviles : jurons, commentaires sexistes ou homophobes, insultes, agressivité... Bref, on retrouve souvent sur ces plateformes des propos inadéquats qui ne respectent pas les normes sociales.

De quelle façon une entreprise devrait-elle réagir face à de tels commentaires? Et surtout, peut-elle retourner la situation et améliorer son capital de sympathie auprès des utilisateurs des réseaux sociaux?

Les médias sociaux pour exprimer son mécontentement

Compte tenu de l’omniprésence des médias sociaux dans nos vies, les consommateurs les choisissent de plus en plus souvent pour faire connaître leur frustration. Les entreprises qui sont touchées ont donc tout intérêt à fournir une réponse appropriée, notamment parce que cela pourrait influer sur le comportement de milliers de consommateurs actuels ou futurs.

Des études ont déjà démontré que ces «observateurs» sont plus susceptibles d’adopter une attitude positive vis-à-vis d’une marque lorsque l’entreprise présente des excuses ou offre une compensation. Dans ce cas, l’engagement envers la marque et les intentions d’achat augmentent.

Cependant, il existe une autre solution : l’humour. Au lieu de faire amende honorable, l’entreprise répondra plutôt de façon humoristique au client insatisfait sur les réseaux sociaux. Plusieurs marques utilisent déjà cette stratégie, avec plus ou moins de succès. Il faut dire que l’humour peut constituer une arme à double tranchant qui doit être manipulée avec précaution et dans un contexte approprié.

Voilà pourquoi les gestionnaires ont tout intérêt à bien saisir les nuances entourant l’usage de l’humour pour répondre aux consommateurs mécontents qui s’expriment sur les réseaux sociaux, afin de l’utiliser à leur avantage. Au bout du compte, l’humour peut constituer un fantastique outil de relations publiques pour la marque et contribuer à attirer de nouveaux clients.

Un outil à manipuler avec précaution

Manier l’humour avec doigté et l’utiliser dans un contexte approprié peut être payant. Ainsi, des entreprises comme Tesco Mobile au Royaume-Uni (téléphonie mobile) ou Wendy’s aux États-Unis (restauration rapide) sont devenues particulièrement populaires sur les réseaux sociaux pour avoir su manier l’humour avec brio en réaction à des plaintes de consommateurs sur les réseaux sociaux. En 2013, soit il y a un peu plus de dix ans, Tesco Mobile lançait déjà la campagne #NoJoke, dans laquelle elle n’hésitait pas à utiliser des traits d’humour pour répondre à ses détracteurs. En un an à peine, le nombre de ses clients avait augmenté d’un demi-million et celui de ses abonnés Twitter (aujourd’hui X) avait crû de 700%.

Il faut savoir que l’humour est généralement considéré comme une violation bénigne de la norme relationnelle : il y a toujours le risque que les consommateurs perçoivent que l’entreprise préfère «faire une blague» plutôt que de régler le problème et de s’attaquer à la source de la frustration du client insatisfait. Toutefois, l’humour peut aussi être accueilli favorablement par les observateurs dans un contexte d’incivilité, parce que le client mécontent n’a justement pas respecté la norme relationnelle. Dans ce cas de figure, le client frustré et impoli ne s’attire pas la sympathie du public.

Mais attention : l’humour ne constitue pas toujours une riposte adéquate et une publication malencontreuse pourrait coûter cher à une organisation. C’est ce qu’a constaté la compagnie Virgin Trains, au Royaume-Uni, après avoir été accusée de misogynie pour une réponse faite à une utilisatrice se plaignant de l’attitude condescendante de l’un de ses employés. Ultimement, l’entreprise a dû présenter des excuses publiques et supprimer le gazouillis fautif sur Twitter.

Comprendre les codes

Pour ne pas se brûler les ailes, les entreprises ont tout intérêt à bien comprendre les codes et à saisir les contextes dans lesquels l’humour est considéré comme un outil opportun. Nos travaux1 ont permis de distinguer deux formes d’humour utilisées sur les réseaux sociaux : l’humour affiliatif et l’humour agressif. Le premier consiste à rire avec la personne, à plaisanter en faisant un jeu de mots, par exemple, et donc, à créer des liens avec son interlocuteur. Le second suppose que l’on s’amuse au détriment de la personne, en utilisant le sarcasme et l’ironie, notamment, pour rabaisser son interlocuteur ou se moquer de lui.

Aux yeux des observateurs, la forme affiliative génère habituellement des attitudes plus positives, comme le repartage de publications, les mentions «J’aime» ou une augmentation du niveau des intentions d’achat. L’humour affiliatif est généralement mieux perçu, car il semble moins menaçant et moins motivé par des intentions négatives, ce qui a pour effet d’atténuer la perception de violation de la norme relationnelle. En suscitant l’amusement ou le rire, il peut même s’avérer aussi efficace que des excuses ou une compensation offerte au consommateur mécontent.

Est-ce à dire qu’il faut éviter toute forme d’humour agressif? Il existe pourtant des cas bien précis où il n’engendre pas de réactions négatives de la part des observateurs, bien au contraire. Ici, tout repose sur la personnalité de la marque. Si celle-ci est vue comme sincère et authentique (Disney ou Amazon, par exemple), l’humour affiliatif est à privilégier. Les observateurs s’attendent à ce que la marque fasse preuve de bonne foi et l’usage de l’humour ne constitue qu’une toute petite infraction à la norme.

En revanche, si la marque dégage une image audacieuse, jeune, dynamique et anticonformiste (Red Bull, par exemple), utiliser l’humour bousculera les codes. Dès lors, l’humour agressif pourrait ne pas constituer un faux pas, mais devenir un atout. Dans ce cas très particulier, la nature provocatrice de cette forme d’humour sera perçue comme cohérente avec l’image de la marque et même divertissante. Cette parfaite adéquation sera tout particulièrement appréciée par les observateurs. Il semblerait même que ces marques soient d’une certaine façon «protégées» des risques liés aux transgressions à la norme qui sont généralement associées à l’humour agressif.

Mais comment s’assurer de recourir à l’humour le plus approprié, et ce, dans un contexte adéquat? Pour cela, il faut pouvoir compter sur des spécialistes qui maîtrisent parfaitement les codes et les normes communicationnelles des médias sociaux, tout en possédant une connaissance approfondie de la culture de l’entreprise. Un jeu qui en vaut la chandelle, compte tenu de ses retombées potentielles sur les ventes et sur le niveau de popularité de la marque.

Aide-mémoire

L’humour comme stratégie

Quelles leçons les gestionnaires peuvent-ils tirer des résultats de nos travaux? Comment peuvent-ils adapter leurs stratégies de communication en fonction du type d’entreprise qu’ils gèrent et de la clientèle visée? Voici les deux éléments à retenir :

1- L’humour peut constituer une stratégie intéressante en réponse aux commentaires de clients mécontents sur les réseaux sociaux, du moment qu’il est affiliatif. Auprès des observateurs, il a un effet positif similaire à celui que créent des excuses et des compensations.

2- Si l’image de l’entreprise le permet, une forme d’humour plus agressive peut être bien reçue par les observateurs et constitue une stratégie gagnante. Pour ce type de marque, un humour affiliatif pourrait même être considéré comme «ennuyeux», alors qu’un humour agressif générerait des republications et des mentions «J’aime» qui joueront en faveur de l’entreprise.

Article publié dans l’édition Printemps 2024 de Gestion


Note

1 - Voir, notamment, Béal, M., Grégoire, Y., et Carrillat, F. A., «Let’s laugh about it! Using humor to address complainers’ online incivility», Journal of Interactive Marketing, vol. 58, n°1, 2023, p. 34-51 ; Béal, M., et Grégoire, Y., «How do observers react to companies’ humorous responses to online public complaints?», Journal of Service Research, vol. 25, n°2, 2022, p. 242-259.