Aujourd’hui, tout et tous sont notés sur le Web. Utile pour les consommateurs, ce système généralisé de notation n’est toutefois pas sans effets dommageables. Le nombre de followers témoigne-t-il réellement de la valeur d’une marque?

«L’avènement du Web 2.0, ou “participatif”, s’est accompagné d’une habitude nouvelle, tout à fait bénigne en apparence : attribuer des notes à tout ce qui se présente», écrit l’économiste et essayiste français Pierre Bentata. Produits, services, entreprises, spécialistes… tout se trouve hiérarchisé. Tandis qu’étoiles, pouces et J’aime envahissent la Toile, l’idée se répand que ce qui a de la valeur reçoit la meilleure note et suit le nombre de followers. Subrepticement, ce culte de l’évaluation modifie le rapport à la culture, aux autres et à soi.

Bentata, P., Tous notés ! – Et si l’on arrêtait de juger les choses, les autres… et donc soi-même ?, Paris, Éditions de l’Observatoire, 2023, 203 pages.

Inévitables, les notes sont-elles néanmoins fiables? Largement subjectifs, les critères d’évaluation sont assez arbitraires, croit l’auteur. Les organisations gagnent à surestimer la qualité de leurs biens et de leurs services, autant qu’à attirer le maximum d’attention sur leur page. Et puis, «quantifier et agréger requiert de passer sous silence ce qui fait la particularité de chaque chose», mentionne-t-il.

Qui plus est, selon l’auteur, il existerait un décalage entre la note d’un produit et sa qualité, telle qu’estimée par les nombreux rapports d’experts. Pourquoi en est-il ainsi? «Cette divergence s’explique par des comportements parasites des consommateurs : à caractéristiques similaires, ils favorisent les produits les plus chers et les enseignes les plus connues. L’indicateur ne reflète plus la qualité, mais une expérience plus globale, un rapport à l’image de marque, voire un rapport à l’argent.»

Faux-semblants

Selon l’opinion publique, «plus c’est partagé, plus c’est vrai». Le visible serait donc crédible. Combien de livres se présentent avec des bandeaux mentionnant les 15 millions de vues sur YouTube, soulignant la popularité numérique de l’auteur plutôt que son expertise, générant une nouvelle relation à la connaissance? «Ce qui fait vendre, ce n’est pas le message, mais le messager», dit Pierre Bentata.

«De la course à pied aux relations sexuelles en passant par le régime alimentaire, tout devient objet de performance», note-t-il. Sous le joug de la note et de l’expérience client, «autrui n’est plus une altérité, mais un juge».

Tourner le projecteur

À force de lire la mention «votre avis nous intéresse», on finit par le croire. Et si on prenait les notes pour ce qu’elles sont vraiment, soit un moyen d’expression du ressentiment? Derrière la note, il y a un individu et ses propres vicissitudes qui le poussent à juger. Loin de la critique permanente, l’auteur suggère de comprendre les raisons personnelles derrière ces sentences publiques, et ce qui s’y cache sérieusement…

Article publié dans l’édition Hiver 2024 de Gestion