Septembre 2008, faillite de Lehman Brothers, la première pièce du jeu de domino qui a ébranlé et fait dériver le monde entier. Novembre 2018, l’homme-clé du groupe numéro 1 de la construction automobile dans le monde, Carlos Ghosn, le patron de l’Alliance Renault/Nissan/Mitsubishi, est accusé de malversations et de non-déclaration au fisc japonais de primes reliées à la valeur des actions pour un montant total de 60 millions $ sur 5 ans1.

C’est aussi, au Canada, l’annonce par Bombardier de la suppression de 2500 postes et de la liquidation de certains actifs afin, comme l’analysait Robert Dutrisac dans Le Devoir du 9 novembre, « d’améliorer les flux financiers à court terme, le mode de rémunération des dirigeants les encourageant fortement à agir de la sorte en raison d’un régime d’options qui peuvent être exercées dans deux ans »2.Chez Bombardier, on s’assure de l’alignement de toute l’équipe de direction sur les gains à court terme.

« Greed is good* » disaient-ils

Force est de constater que 10 ans plus tard, la cupidité poursuit toujours ses ravages. Non seulement la rémunération annuelle de trop de dirigeants atteint, notamment dans le cas de Carlos Ghosn (entre 15 et 20 millions $) et d’Alain Bellemare (13,7 millions $), des niveaux d’une indécence désormais inqualifiable, mais les agissements de certains et les prises de décision comme dans le cas de Bombardier mettent en péril la viabilité et le développement à long terme des entreprises concernées.

Il serait temps que des lois ou règlements viennent interdire les « stock-options », puisque ces régimes d’options incitent ceux qui en bénéficient à ne s’occuper que du cours de bourse. Que l’on force les entreprises cotées à se doter d’un président du conseil d’administration différent de celui ou celle qui assume la direction générale afin, comme dans le cas de M. Ghosn, d’éviter le mélange des genres, les manipulations, etc. on ne peut être juge et partie. Que l’on incite les entreprises à ouvrir leur conseil d’administration aux parties prenantes, notamment les salariés, afin de ne pas demeurer collé aux seuls intérêts des actionnaires, mais de pouvoir développer des stratégies axées sur la pérennité de l’entreprise et l’harmonie avec la Société.


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Économie ET Humanisme

Ne voit-on pas qu’il est urgent de cesser d’alimenter le courant de plus en plus ravageur qu’est ce sentiment de défiance à l’égard de toutes nos institutions, personnalités politiques, médias, et dirigeants d’entreprise ? Ne peut-on pas faire le lien entre cette défiance et le populisme, ou le « dégagisme », les gens votant de plus en plus avec leurs pieds ou ne votant plus du tout ? Faire le lien entre ce sentiment d’injustice et le radicalisme ? Poser ces questions, c’est y répondre.

Il est temps de réconcilier l’économie et l’humanisme, et ceci de façon concrète dans les entreprises : celles-ci peuvent très bien, dans leur éthique et leur stratégie, se donner une double mission, en intégrant dans leur raison d’être leur objectif de répondre aux besoins de leurs clients et leur volonté de contribuer à un monde meilleur. De façon plus opérationnelle, les entreprises auraient avantage à adapter, implanter, faire respecter…les 4 grandes valeurs de l’humanisme, à savoir : le respect (respect des autres, des engagements, de l’environnement…), l’équité (considération, absence de relation dominant-dominé…), l’honnêteté (transparence, droit à l’erreur, confiance…) et l’ouverture à l’autre (bienveillance, diversité, altruisme…).

Des modèles alternatifs au capitalisme actionnarial centré sur la cupidité existent. Qu’ils s’appellent « Entreprises du bien commun », « Entreprises progressistes » … ou qu’ils se réfèrent au mouvement du « leadership conscient et responsable » ou celui des « benefit corporations », ces modèles alternatifs s’inspirent tous de ces valeurs humanistes pour créer de la valeur partagée.


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Passer par l’enseignement

Encore marginaux, ces modèles redonnent du sens à l’entreprise et inspirent particulièrement les plus jeunes, les « milléniaux »; ces modèles demeurent dans l’économie de marché, mais une économie cette fois au service de l’homme et de la société, et non l’inverse. Le problème que connaît aujourd’hui cette économie positive provient du fait qu’elle n’est pas enseignée dans les écoles de gestion. Sans aller aussi loin que le professeur Martin Parker qui soutient qu’il faut « bulldozer les 13 000 business schools qui existent dans le monde »3 parce que, dit-il, leurs programmes sont exclusivement axés sur la cupidité, il faut apprendre aux futurs dirigeants, au regard des différentes façons de concevoir et organiser l’entreprise, que le bonheur n’est pas dans l’accumulation de soi-disant trésors mais dans la contribution à une cause, quelle qu’elle soit, au service des autres.


Notes

1. « Tout comprendre à l'affaire Carlos Ghosn, qui ébranle l'Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi », Le Monde, 26 novembre 2018

2. Robert Dutrisac, « Bombardier l'ingrate », Le Devoir, 9 novembre 2018

3. Martin Parker, « Why we should bulldoze the business school », The Guardian, 27 avril 2018 

* « La cupidité est bonne » traduction libre