De plus en plus de millénariaux décrochent des postes de gestionnaires ou de dirigeants. Tournés vers le travail d’équipe et la flexibilité, ils contribuent à un changement de culture dans l’organisation, mais doivent aussi s’adapter aux méthodes de leurs aînés.

Les millénariaux occupent déjà environ 30 % des postes de gestionnaires chez Beneva, l’entité issue de la fusion de SSQ Assurance et La Capitale. L’entreprise s’efforce sans relâche de détecter et de former ces futurs dirigeants. «Nous effectuons une revue de talents annuelle afin de repérer les leaders potentiels, d’identifier ceux qui ont envie de devenir gestionnaires et de leur offrir de la formation et de l’accompagnement», explique Dominique Magnan, responsable de l’équipe gestion de la relève corporative.

De la liste établie il y a deux ans, 70 % des travailleurs toujours à l’emploi de Beneva agissent maintenant comme gestionnaires. L’entreprise affiche d’ailleurs certains postes uniquement à l’interne, afin de favoriser ces ascensions. La communication commence très tôt avec les futurs gestionnaires. «Nous organisons des tables ouvertes et des cercles de discussion et nous en tiendrons encore plus à l’avenir, confie Dominique Magnan. Nous expliquons, par exemple, l’importance de la mobilité dans l’organisation en début de carrière. C’est essentiel pour un futur gestionnaire d’acquérir une vision transversale de l’organisation.»

Ces discussions aident aussi à comprendre les attentes des jeunes. Dominique Magnan remarque qu’ils aiment la flexibilité et recherchent des défis. À ce titre, ils ne diffèrent pas tant que ça de la génération précédente, si ce n’est qu’ils ont tendance à se définir beaucoup plus en fonction de la nature du défi que du poste. Ils sont très engagés socialement et exigent beaucoup de rétroaction et de transparence. «Leurs attentes d’accompagnement sont très grandes», ajoute Dominique Magnan.

Série Générations

Une gestion humaine

Denis Bernier, directeur général de Destination Sherbrooke, a consacré son mémoire présenté en 2016 dans le cadre de l’EMBA McGill-HEC Montréal à l’arrivée des millénariaux dans des postes de gestion. Il a interviewé 15 gestionnaires nés entre 1979 et 1994, dont six femmes.

Il a découvert une approche de gestion très humaine, basée sur la collaboration et le leadership partagé. Cela amène ces gestionnaires à porter une vision très horizontale de l’organisation du travail, dans laquelle ils se voient plus comme des accompagnateurs. «Les 15 personnes interviewées m’ont toutes parlé de responsabilisation (empowerment) des travailleurs et de flexibilité, note Denis Bernier. Ils souhaitent donner beaucoup de responsabilités à leurs équipes et œuvrer dans un climat de confiance et de transparence

Denis Bernier rappelle que cette génération a été exposée à beaucoup d’interactions pendant l’enfance : des divorces, des séjours tôt en garderie, des familles reconstituées, etc. Cela aurait développé chez eux une intelligence émotionnelle qui les sert bien en tant que gestionnaires. «Ils sont plus dans le savoir-être que dans le savoir-faire, poursuit-il. En fait, ils dirigent comme ils aimeraient être dirigés.»

Collaborer avec leurs aînés

Nathalie Cotard, chargée d’enseignement à la Faculté des sciences de l’administration de l’Université Laval, constate que beaucoup d’entreprises gardent une structure organisationnelle très verticale, dans laquelle un petit nombre de gestionnaires décide. Les Y favoriseraient le leadership partagé et la gestion par projet, plutôt que par fonction. Ils se voient comme des coachs. «Les Y apportent une vision beaucoup plus horizontale du leadership, très axée sur une flexibilité qui augmente l’agilité d’une organisation et lui permet plus facilement d’innover et de s’ajuster aux défis de marché et aux enjeux sociaux», avance-t-elle.

Les millénariaux chercheraient aussi à établir des cultures organisationnelles plus souples et plus inclusives, axées sur la diversité. Cependant, ils ne détiennent généralement pas encore le plein contrôle des organisations. Ils s’intègrent à des équipes de gestion multigénérationnelles, dans lesquelles on retrouve des X et des baby-boomers. «C’est un défi de savoir qui doit s’adapter à qui, reconnaît Nathalie Cotard. Présentement, les Y doivent accorder certaines concessions et accepter en partie le modèle plus vertical de leurs aînés, mais ils provoquent aussi des changements.»

Les organisations continueront à évoluer à mesure que les millénariaux seront plus nombreux dans les postes de gestion et que les baby-boomers, puis les X, quitteront pour la retraite. Les millénariaux se verront alors confrontés eux-mêmes à l’arrivée des représentants de la génération Z dans des postes de gestion. «Cette génération sera très tournée vers la gestion des interdépendances entre l’humain et l’intelligence artificielle et entre les acteurs mondiaux et la réponse à des enjeux majeurs, comme la crise climatique, croit Nathalie Cotard. Leur style de gestion deviendra forcément encore plus collaboratif que celui des Y.»