Qu’ils occupent un emploi ou en cherchent un, certains travailleurs traînent leur âge comme un boulet. Parce que oui, l’âgisme continue bel et bien de faire des ravages au Québec. Et il pointe parfois son nez bien plus tôt qu’on pense.

À quel âge devient-on vieux au travail? «Ça varie selon le type d’emploi et le secteur économique, mais dans certains milieux, des travailleurs peuvent se sentir vieux dès qu’ils atteignent 35-40 ans», répond Diane Gabrielle-Tremblay, professeure à l’École des sciences de l’administration de l’Université TÉLUQ. Ce serait le cas par exemple dans le milieu du textile, dans les postes très physiques ou encore ceux où la technologie évolue très rapidement.

À l’inverse, vieillir représente un moins grand défi pour les cadres et les professionnels. «Ils accèdent plus facilement à de la formation et leur expérience est plus valorisée, alors que dans d’autres milieux, le vieillissement est davantage perçu comme un problème», ajoute-t-elle. Elle note que la discrimination à l’embauche devient plus fréquente après 45 ans.

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Une protection insuffisante

Pourtant, «les travailleurs jouissent en théorie de protections légales contre l’âgisme», rappelle Urwana Coiquaud, professeure agrégée au Département de gestion des ressources humaines de HEC Montréal et spécialiste en droit du travail. L’âge fait partie des caractéristiques mentionnées à l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et à l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, qui interdisent la discrimination. 

«L’âge est toutefois la seule caractéristique pour laquelle on accorde une marge de manœuvre, en précisant que certaines discriminations peuvent être permises si des lois le prescrivent ou encore si des exigences professionnelles raisonnables le justifient, par exemple le maintien de certaines aptitudes physiques nécessaires pour réaliser le travail», poursuit la professeure. Par ailleurs, l’article 84.1 de la Loi sur les normes du travail interdit la retraite obligatoire en raison de l’âge.

Si la protection légale existe en théorie, elle devient moins évidente en pratique. Cette protection se retrouve souvent sujette à interprétation et la discrimination peut aussi se produire de manière indirecte. Par exemple, un recruteur peut refuser un poste à quelqu’un en invoquant sa «surqualification», plutôt que son âge. «Le droit, à lui seul, ne suffit pas pour protéger les travailleurs, croit Urwana Coiquaud. L’âgisme constitue le reflet des préjugés collectifs envers les personnes âgées, donc les mentalités doivent évoluer, tout comme les politiques publiques.»

Générer de la valeur

Julien Moreau, directeur principal conseil en stratégie, gouvernance et organisation de PwC Canada, déplore lui aussi l’existence d’un âgisme ancré dans les préjugés. «Certains employeurs craignent qu’après 55 ans, les travailleurs peinent à suivre le rythme, à apprendre et à s’adapter aux nouvelles technologies», résume-t-il. Ils hésitent ainsi à embaucher des travailleurs plus âgés, à les considérer pour des promotions ainsi que pour la prise en charge de projets importants ou à leur offrir de la formation.

Pourtant, Julien Moreau nie que l’âge constitue une caractéristique déterminante de la contribution d’un travailleur à une organisation. Ainsi, l’âgisme prive des employeurs de talents et d’expérience qui pourraient leur être fort utiles. Sur le plan national, cela a un coût. Selon le Golden Age Index de PwC, dont la dernière mouture date de 2018, le Canada se situe au 18e rang sur 35 pays de l’OCDE en matière d’intégration des travailleurs plus âgés. «En atteignant le niveau de performance des meilleurs états, comme la Nouvelle-Zélande ou la Suède, le Canada pourrait ajouter entre 50 et 100 milliards de dollars US à son PIB», souligne Julien Moreau. Dans l’ensemble des pays de l’OCDE, égaler le taux d’emploi des travailleurs de 55 ans et plus de la Nouvelle-Zélande rapporterait environ 3 500 milliards de dollars US.

Augmenter le niveau d’emploi des travailleurs de 55 ans et plus dépend d’un effort collectif des employeurs, des travailleurs et de l’État, selon Julien Moreau. L’État peut offrir des incitatifs pour promouvoir l’éducation permanente et le recyclage des compétences, en plus d’intensifier ses communications contre l’âgisme auprès des entreprises. Ces dernières gagneraient pour leur part à continuer de former leurs salariés plus expérimentés et à adapter l’organisation du travail afin de réduire les barrières à l’emploi. Cela peut passer par des programmes de santé et de mieux-être, des postes à temps partiel, le recours au télétravail et à des horaires flexibles, etc. «En 2031, les plus de 65 ans représenteront environ 23 % de la population canadienne, donc il devient urgent de profiter de ce bassin de travailleurs», juge Julien Moreau.