Les changements, imposés ou non, apportent leur lot d’incertitudes. Ce qui peut déclencher différentes émotions, comme l’inquiétude et la peur. Or, face à ces turbulences, il faut s’adapter et passer par-dessus ses appréhensions. Comment aider son équipe à y arriver?

Face à un changement, certains vont évoquer toutes les raisons pour lesquelles le projet est voué à l’échec, d’autres vont se refermer comme une huître ou menacer de démissionner. En fait, cela varie beaucoup d’un individu à l’autre. «Toutefois, il faut savoir que la peur n’est jamais un sentiment durable. Elle peut ensuite se transformer en colère, en anxiété et, éventuellement, en épuisement», explique Pierre Lainey, maître d'enseignement au Département de management de HEC Montréal.

Pour le professeur titulaire au Département de management de HEC Montréal, Kevin J. Johnson, c’est souvent un débalancement entre la demande et les ressources disponibles qui engendre des réactions défensives comme la frustration, l’impuissance ou l’impression de perdre le contrôle. «On peut aussi se sentir menacé, par exemple avoir peur des impacts que ce changement aura sur sa carrière.» D’où l’importance de ne pas minimiser ce que vivent les travailleurs et d’ajuster le soutien en conséquence.

Être à l’écoute

S’il est tentant de faire fi de ces réactions, il vaut mieux s’y montrer attentif. «Souvent, les gestionnaires ont peur des employés qui ont peur, illustre Pierre Lainey. Cela demande du courage pour aborder ces questions, mais c’est important d’encourager les gens à exprimer leurs inquiétudes.» Pour cela, il suggère d’organiser des rencontres individuelles. «Les gens sont plus à l’aise d’exprimer ce sentiment en privé qu’en public. Devant nos pairs, on ne veut pas paraître peureux.»

Ces rencontres permettent de nommer et d’identifier les émotions, ainsi que leurs sources. «Parfois, les gens s’imaginent le pire, précise le maître d’enseignement. On peut alors remettre les choses en perspective, de façon très factuelle. Toutefois, il faut éviter de banaliser ou de sous-estimer ce que les gens ressentent. Les gestionnaires de changement ont aussi parfois tendance à se faire trop rassurant, à dire “ne vous inquiétez pas, cela ne se produira pas”. Il faut faire attention pour ne pas se montrer irréaliste.»

«Règle générale, les gens ont peur de perdre quelque chose, souligne pour sa part Céline Bareil, professeure titulaire au Département de management de HEC Montréal. Cela peut être aussi simple que son bureau, un supérieur qu’on appréciait, le travail avec certains de ses collègues. Ouvrir le dialogue à ce sujet permet de clarifier les choses et d’identifier ce qu’on perd réellement ou non. Souvent, on a l’impression qu’on va tout perdre, mais c’est rarement vrai.»

Voir aussi le côté positif

«Les gestionnaires doivent reconnaître que la personne a des craintes et qu’elles sont tout à fait légitimes. Que s’ils étaient à sa place, ils réagiraient de la même façon, résume Pierre Lainey. En même temps, c’est important de montrer qu’il y aura aussi des bénéfices à ce changement. On les fait donc valoir tout en expliquant qu’il y aura peut-être des difficultés. On rappelle qu’ensemble, on va y arriver et qu’on va tous contribuer au succès de ce changement.» En effet, ces transitions peuvent aussi apporter certains gains à long terme. «C’est parfois l’occasion de faire mieux ou différemment, d’apprendre de nouvelles choses ou encore de développer ses compétences», soutient Céline Bareil.

Bien entendu, certaines situations sont plus difficiles que d’autres. «Si on fait un changement où les personnes vont perdre une partie de leurs collègues, c'est un peu normal d'être réticent, soulève Pierre Lainey. Il faut donc éviter les discours d'enrobage, en oubliant ce que vivent les personnes touchées. Les gestionnaires doivent se montrer empathiques, proposer des mesures d'atténuation et s'adjoindre les leaders d'opinion qui pourraient être des courroies de transmission. C’est aussi le moment d’innover.»

Dans ce genre de situation, les gestionnaires peuvent aussi rappeler pourquoi un tel changement est nécessaire, note Céline Bareil. «Ensuite, on a le choix entre subir ou se retrousser les manches, se demander ce qu’on peut faire pour que ce soit le plus agréable possible, se demander quelle est la vision qu’on voudrait adopter en tant que département.» Même si c’est loin d’être évident, les travailleurs doivent aussi apprendre à lâcher prise devant ce qu’ils ne contrôlent pas, précise-t-elle.

Ceux qui orchestrent les transformations peuvent aussi ressentir certaines appréhensions. Se tourner vers un consultant, se former, être coaché et obtenir le soutien de la direction peuvent les aider à se sentir mieux outillés pour faire face aux difficultés. «Parfois, les gestionnaires vont aussi se réunir entre eux pour partager leurs préoccupations quant aux changements, mais aussi échanger sur ce qui a bien fonctionné dans leurs équipes, explique Pierre Lainey. Cela permet de briser l’isolement qu’ils vivent souvent.» Une bonne pratique à mettre en place.