Utiliser son intelligence émotionnelle est la capacité à percevoir, reconnaître et réguler ses émotions, qu’elles soient positives ou négatives. Si cela nécessite une grande humilité, cela implique également le courage de surmonter les obstacles et la curiosité de s’ouvrir à de nouvelles possibilités.

Laisser libre cours à toutes ses émotions, sans filtre et sans souci des normes sociales acceptables n’a rien à voir avec une bonne intelligence émotionnelle. C’est, selon Marie-Colombe Afota, professeure adjointe à la Faculté des arts et des sciences - École de relations industrielles de l’Université de Montréal, une confusion fréquente. «Exploser de colère, hurler ou injurier ses collègues ou ses employés, voilà qui ne calme rien. Ça ne fonctionne pas. Certains se justifieront en croyant que c’est cela, exprimer ses émotions. L’intelligence émotionnelle, ce n’est pas ça! C’est plutôt un entre-deux entre la suppression et l’expression de l’émotion, c’est la régulation.»

Mais pour réguler, il faut avant tout identifier l’émotion : qu’est-ce que je ressens et pourquoi? «Prenons l’exemple d’un employé en colère contre son patron, particulièrement autoritaire, qui lui parle toujours de manière désagréable en donnant des ordres. Pourtant, comme j’ai besoin de mon emploi et que je ne désire pas quitter, je peux trouver des pistes d’action : interagir le moins possible avec lui, créer des relations avec d’autres personnes de l’organisation pour un meilleur soutien. Ce sont de bonnes stratégies de régulation», illustre Marie-Colombe Afota. En effet, une fois le ressenti identifié et compris, il sera possible de décider ce que l’on en fait.

Outil de la thérapie cognitive, le fait de formuler ses émotions peut aider à en diminuer l’intensité. Selon la professeure, verbaliser ce qu’on ressent, sans partager ses émotions à tout vent, permet d’en prendre conscience et de préserver une certaine authenticité. «Ensuite, et probablement encore plus important pour les gestionnaires, développer son empathie, écouter véritablement ses employés, sans jugement, pour tenter de comprendre les émotions qu’ils vivent, favorisent un climat sain. Au lieu de dire à un employé en colère ou anxieux qu’il est insupportable, se rappeler qu’il ne manifeste certainement pas ses émotions seulement pour nous embêter permet de l’aider à vivre ses émotions et de se réguler aussi soi-même», lance dans un sourire Marie-Colombe Afota.

Série Émotions

La rivière qui coule

Si on rencontre toute la palette d’émotions au travail, certaines sont plus susceptibles de perturber l’humeur au bureau. «Colère, anxiété, envie, honte, culpabilité, on les rencontre presque au quotidien, ce qui crée évidemment des tensions», juge Estelle M. Morin, psychologue, professeure titulaire au Département de management à HEC Montréal et membre du Consortium de recherche sur l’intelligence émotionnelle appliquée aux organisations (CREIO). Les gestionnaires seraient encore bien mal outillés pour résoudre les conflits liés à ces tempêtes d’émotions. «Pour bien gérer les conflits, il faut savoir aborder la colère, l’anxiété, l’envie; et pour cela, il faut développer son intelligence émotionnelle», affirme la psychologue, qui offre régulièrement des séminaires sur le sujet aux cadres de différents niveaux.

Décrivant les émotions comme de l’énergie en mouvement, Estelle M. Morin aime bien la métaphore de la rivière : «Comme l’eau, elles coulent. Et si on met un barrage, il y aura de la pression en amont. Il faut donc une manière de réguler l’eau qui circule, au risque de voir le barrage s’effondrer et la rivière sortir de son lit. Gérer ses émotions, c’est réguler cette pression. Comment le faire? D’abord, en se posant des questions qui permettent d’identifier le ressenti : comment je me sens? Qu’est-ce que ça signifie? Et je fais quoi avec ça pour continuer à accomplir mes tâches?»

Pour la psychologue, rien de tel que le pouvoir de l’humour pour désamorcer la tension. «Un humour sain, évidemment, pas de l’humour noir ou jaune, mais une autodérision bien sentie : quel merveilleux système de défense! Et les cyniques, déridez-les! Faites-les rire!» Elle confie qu’elle utilise également le rêve, dans ses formations, pour semer l’espoir et neutraliser les émotions qui minent le climat. «La capacité de rêver, c’est se permettre de se projeter, c’est goûter au plaisir de s’émerveiller et c’est envisager les choses qu’on ne pouvait pas imaginer autrement.»

Chacun de nous vit des émotions, mais nous ne savons pas tous les reconnaître. Heureusement, nous pouvons tous développer notre intelligence émotionnelle. «Il s’agit d’élargir son vocabulaire pour établir les nuances des émotions. À la question : "qu’est-ce que je ressens", il faut pouvoir aller au-delà du "je me sens bien, je me sens mal ou je me sens stressé"! Quelle est la nuance entre se sentir coupable et honteux? Entre content et satisfait? Entre irrité et en colère?» Le savez-vous?