De plus en plus d’organisations sont animées d’un fort sentiment d’urgence lorsque sont soulevées des questions relatives à l’équité, à la diversité et à l’inclusion (EDI). Or, nombre d’entre elles abordent cette démarche comme un problème à régler et ont, de ce fait, tendance à se tourner vers des solutions standardisées, telles des formations génériques sur des concepts théoriques précis, dont elles ne cherchent pas toujours à évaluer les effets à moyen et à long terme. Aperçu des bonnes pratiques à instaurer.

Que ce soit auprès du grand public, des employés ou même des actionnaires, la pression est de plus en plus grande pour que des changements de mentalité s’opèrent, et ce, le plus rapidement possible. Une récente étude menée dans 14 pays montre que plus de 96% des entreprises de plus de 1 000 employés ont mis sur pied un programme de diversité et d’inclusion[1].

En agissant dans l’urgence, les organisations contraignent cependant leurs gestionnaires à adopter une attitude réactive plutôt que proactive, et à vouloir intervenir ponctuellement plutôt que sur le long terme. Si on perçoit la diversité sous la forme d’un problème à résoudre ou «d’enjeux EDI», on se retrouve à attendre qu’une crise survienne avant d’agir plutôt que de lancer des initiatives qui visent un changement durable. Or, les causes d’un manque d’inclusivité sont associées aux pratiques et aux structures propres à l’organisation ou découlent des façons de faire du secteur d’activité dans lequel celle-ci opère.

Pour que de réelles transformations se produisent, il faut donc s’engager dans un changement organisationnel transversal fondé sur l’EDI, et dont on pourra évaluer les impacts sociaux. On parlera ainsi d’une démarche d’impact social inclusif[2].

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Créer des espaces de dialogue

Les notions de diversité et d’inclusion peuvent être source d’idées préconçues ou d’inquiétudes. C’est pourquoi il est crucial d’entreprendre la démarche en créant des espaces de dialogue guidés par des spécialistes. Ces espaces doivent permettre aux dirigeants, aux gestionnaires et aux autres employés d’exprimer librement leur compréhension de l’EDI, de réfléchir à la façon dont ces questions se manifestent dans leur travail quotidien, de témoigner de leurs expériences et de formuler leurs appréhensions.

Le but de ces conversations est de sortir les membres de l’organisation d’une compréhension artificielle de la «gestion de la diversité» afin de les amener à prendre conscience de la transversalité de l’inclusion au sein de leur organisation, en débutant par la culture, la gouvernance et les activités propres à celle-ci. Ces espaces de dialogue deviennent essentiels pour que tous les membres s’engagent dans ce processus de changement.

Comprendre avant d’agir

Grâce à ces espaces de dialogue ouverts, on s’éloigne d’une vision monolithique et étriquée de l’EDI, qu’on pourrait qualifier de «vision en tunnel», pour adopter une vision holistique. Cette analyse holistique est en soi une première action concrète. En effet, les échanges suscités dans ces espaces ouvrent la voie à une analyse et à une compréhension en profondeur des façons de faire.

Lorsqu’on parle d’inclusion, on évoque avant tout un changement de perspective et de culture organisationnelle. Il n’existe pas de formule magique ou de solution unique en matière d’inclusion; les stratégies déployées doivent être cohérentes avec l’ADN de l’organisation. Ce qui fonctionne pour une entreprise ne fonctionnera pas nécessairement pour une autre, même au sein d’une même industrie. L’approche doit donc être créée sur mesure pour les réalités, les besoins et les capacités de l’organisation.

Si les nouvelles pratiques basées sur une culture d’inclusion sont à l’image de l’entreprise, elles entraîneront davantage d’adhésion à l’interne, permettront aux employés de mieux se les approprier, s’intégreront mieux à toutes les activités et seront plus durables dans le temps.

Comme pour un nouveau modèle d’affaires, un changement de positionnement ou un lancement de marque ou de produit, ces transformations sont profondes et requièrent une planification détaillée, une bonne compréhension et une analyse des enjeux, de l’environnement et des objectifs de l’entreprise.

Concevoir la démarche dans une perspective d’impact social

L’identification des enjeux et des besoins spécifiques à l’organisation sous la lorgnette de l’EDI permet de bâtir une démarche sur mesure, afin d’y répondre par des actions précises, dans une perspective d’impact social. Cette approche systémique, durable et innovante demande d’avoir une vision à court, à moyen et à long terme, ainsi que d’y joindre des indicateurs d’impact social, façonnés eux aussi selon le contexte particulier de l’organisation.

Le processus d’évaluation d’une telle démarche est souvent négligé, et son importance, sous-estimée. Pourtant, les recherches montrent que celui-ci est bénéfique sur plusieurs plans[3] et qu’il s’avère incontournable pour que les actions mises en place apportent un véritable changement.

Qu’est-ce qu’un indicateur d’impact social?

Lorsque les organisations évaluent leurs actions en tenant compte de l’EDI, elles ont tendance à se tourner vers deux types d’indicateurs : les indicateurs de réalisation, qui présentent les actions réalisées (souvent sous forme de liste), et les indicateurs de résultat, qui permettent de mesurer les résultats de chacune de ces actions (le nombre de personnes «issues de la diversité» aux différents niveaux hiérarchiques de l’organisation, par exemple).

Bien que ces deux outils de mesure fournissent de précieux renseignements sur les efforts déployés par l’organisation et sur les résultats obtenus dans le cadre de chacune des actions, ils ne permettent pas de savoir quels sont les effets des actions menées, tant sur l’organisation que sur ses parties prenantes. Afin de pouvoir suivre et mesurer ces effets, il est nécessaire de se doter d’un autre type d’outil d’évaluation : les indicateurs d’impact social.

Destinés précisément à évaluer les changements de comportements et les transformations sociales induites par un projet à long terme, ces indicateurs ont plusieurs visées :

Accompagner le changement organisationnel

Alors que les indicateurs de réalisation et les indicateurs de résultat suivent et analysent les actions individuellement, les indicateurs d’impact social permettent de suivre et d’évaluer les effets combinés de plusieurs actions. Cela est essentiel à l’appréciation de la réussite d’une initiative de changement organisationnel. Bien que les actions soient en grande partie exécutées indépendamment les unes des autres, elles visent à apporter des changements transversaux qui transcendent le niveau de chacune d’elles.

Rendre compte des effets à long terme

Mesurer l’impact social permet de s’assurer d’avoir une vision et des objectifs à long terme, car les changements organisationnels ne s’opèrent pas du jour au lendemain. Contrairement aux indicateurs de réalisation et de résultat qui assurent un suivi à court et à moyen terme, les indicateurs d’impact social obligent les entreprises à se questionner sur les transformations profondes et durables qu’elles souhaitent effectuer.

Devenir un acteur d’impact social dans son milieu

Établir des indicateurs d’impact social permet d’aller au-delà des considérations purement économiques ou juridiques de l’EDI, pour réfléchir différemment aux répercussions potentielles du changement envisagé. En effet, s’intéresser à la dimension sociale des répercussions d’une démarche EDI peut permettre à une organisation non seulement de prendre conscience de son potentiel d’influence et des effets positifs de ses activités, mais aussi de faire preuve d’agilité et d’avant-gardisme relativement aux tendances sociales en constante évolution.

Comment établir de tels indicateurs?

Bien que la mesure de l’impact social soit un processus d’évaluation qui existe depuis de nombreuses années, encore peu d’organisations se sont lancées dans l’élaboration de ce type d’indicateurs pour analyser les retombées d’une démarche de changement organisationnel fondée sur l’EDI. Afin de remédier à la situation, nous avons réfléchi, dans le cadre de nos recherches, à un modèle partiellement inspiré de deux guides d’évaluation de l’impact social[4], en prenant pour exemples les indicateurs développés pour un service de police d’une municipalité québécoise, soit celui de Repentigny[5].

Avant de passer à la création des indicateurs, il est essentiel de déterminer ce qu’on souhaite évaluer : quelles sont les retombées attendues de cette démarche? En permettant de cerner plus précisément ce qu’on cherche à mesurer, cette question sert de guide pour établir des indicateurs d’impact social pertinents. Pour le Service de police de la Ville de Repentigny (SPVR), cette question a été ainsi formulée : «Dans quelle mesure le plan d’action permet-il de réaliser la vision d’un service mobilisé pour sa communauté?» Ensuite, pour créer les indicateurs, nous avons procédé en trois grandes étapes :

1. Identifier les parties prenantes sur lesquelles les changements envisagés pourraient avoir des répercussions.

Cette première étape permet de repérer les parties prenantes de l’organisation les plus directement concernées par la démarche, et ce, tant à l’interne (le corps policier et l’état-major dans le cas du SPVR) qu’à l’externe (la population et les organismes sociaux et communautaires).

2. Définir les changements attendus pour chaque partie prenante et les décrire.

Cette deuxième étape permet de cibler les changements attendus et de décrire plus spécifiquement l’effet recherché pour chacune des parties prenantes. Par exemple, pour la population repentignoise, on envisage une amélioration des relations avec le service de police, et plus précisément un renforcement du lien de confiance de la population vis-à-vis celui-ci.

3. Déterminer les mesures à prendre et les données pour les évaluer.

Cette troisième étape sert à définir les indicateurs afin de mesurer l’impact social et à relever les données déjà disponibles et celles qu’il faudra collecter. Par exemple, pour évaluer le degré de confiance de la population, on peut concevoir un questionnaire. Soulignons que les données doivent être autant qualitatives que quantitatives.

Ces étapes permettent aux organisations de réfléchir à l’impact social de l’EDI et d’opérer un changement qui est non seulement durable, mais qui tient aussi compte des réalités de leur secteur d’activité et de leurs parties prenantes. Tout bien considéré, l’impact social inclusif ne commande pas nécessairement de déployer plus d’efforts ou de ressources, mais plutôt de s’assurer de mettre les efforts à la bonne place, en prenant toujours soin de bien les mesurer!

 

 

Article publié dans l’édition Automne 2022 de Gestion


Références

[1] Krentz, M., «Survey: What diversity and inclusion policies do employees actually want?» (article en ligne), Harvard Business Review, février 2019.

[2] Cette démarche a été conçue et développée par l’agence d’impact social Uena, spécialisée en gouvernance inclusive.

[3] Hannum, K. M., et Downs, H. A., «Evaluation research in the EDI field», dans Booysen, L. A. E., et al., Handbook of Research Methods in Diversity Management, Equality and Inclusion at Work, Cheltham (Royaume-Uni), Edward Elgar Publishing, 2018, p. 60 84.

[4] Duclos, H., «Évaluer l’utilité sociale de son activité : conduire une démarche d’autoévaluation» (document en ligne), Les Cahiers de l’Avise, n° 5, Avise 2007, 124 pages; «Guide de la mesure d’impact social » (document en ligne), Fondation REXEL, 2015, 44 pages.

[5] Le plan d’action a été créé par l’agence Uena dans le cadre de son accompagnement du Service de police de la Ville de Repentigny.