Article publié dans l'édition hiver 2016 de Gestion

Il semblerait que l’homme moderne se soucie de plus en plus de son apparence. De nos jours, les produits de soins pour la peau représentent une plus grande part de marché que les produits de rasage. Même si ce marché reste relativement jeune, les entreprises de produits de beauté ont compris qu’il offre d’excellentes perspectives de croissance et rivalisent d’imagination pour convaincre la gent masculine de changer ses habitudes de consommation. Tour d’horizon.

Le marché des produits de beauté pour hommes a pris beaucoup d’ampleur au cours des quinze dernières années avec une augmentation des ventes de 11 % au Canada en 2013, selon Euromonitor. Même si, encore aujourd’hui, les hommes pigent dans les produits de beauté de leur conjointe, on remarque donc qu’ils choisissent de plus en plus des produits conçus spécifiquement pour eux dans le but de répondre à leurs besoins particuliers et à leurs caractéristiques physiologiques, notamment un pH différent et une peau plus épaisse et plus grasse. Les produits de soins pour la peau dans la catégorie de masse, par exemple Nivea Men, Dove Men+Care ou L’Oréal Men Expert, ont même obtenu de meilleurs résultats en matière de ventes avec une augmentation de 15 %. À l’opposé, le marché des produits de beauté pour femmes est mené principalement par les produits de prestige et augmente d’environ 1 à 2 % par année.


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L’avènement du Web a libéré le consommateur masculin de ces produits, des contraintes et de l’ennui d’avoir à se présenter au comptoir des cosmétiques en pharmacie. À l’abri des regards, confortablement assis dans son salon, il peut ainsi comparer les caractéristiques de chaque produit avant de faire son choix, comme lorsqu’il évalue des voitures ou des ordinateurs. Davantage porté sur les solutions que sur la prévention, il n’a pas envie de se faire dorloter ou de s’offrir un peu de luxe. S’il remarque des cernes sous ses yeux, il cherche spécifiquement un produit anti-cernes. Enfin, lorsque son choix est fait, il reste beaucoup plus fidèle au produit puisque son problème est pour ainsi dire réglé.

L’approche compétitive

Les études montrent que les hommes utilisent des produits de beauté principalement pour des motifs de compétition : séduire l’être convoité ou obtenir une promotion au travail. Qu’il s’agisse de produits cosmétiques ou d’interventions de chirurgie plastique, les hommes y ont recours non pas pour être plus heureux de leur image corporelle mais plutôt pour rester compétitifs dans une société et sur un marché du travail toujours plus concurrentiels. Ces choix sont ainsi directement reliés à la performance. L’homme va chercher à conserver son pouvoir de séduction en prenant soin de lui. S’il a l’impression qu’une calvitie naissante, des cheveux gris et quelques rides pourraient le désavantager, il n’hésite pas à avoir recours à des produits de beauté et même à de la chirurgie pour résoudre son problème.

Malgré ces taux de croissance remarquables, le marché des produits de beauté pour hommes reste marginal puisqu’il représente seulement 8 % des ventes totales de produits de beauté. Il comporte encore une bonne part de risque en raison de la nature même de sa clientèle qui, au final, reste plutôt réfractaire à l’idée d’utiliser des crèmes pour le visage. En effet, un sondage mené par Nivea et publié dans le magazine Made for Men à l’automne 2013 indiquait que seulement 28 % des Canadiens hydrataient leur visage au moins une fois par jour, ce qui annonce un excellent potentiel en matière d’utilisation d’hydratants pour le visage. Il suffirait de convaincre les 72 % restants d’utiliser des produits de soins du visage. Mais qui sont-ils ?

Le métrosexuel

Le terme métrosexuel est apparu dans les années 1990 pour définir l’homme urbain et branché qui ne se sent pas moins masculin parce qu’il consacre temps et argent à prendre soin de lui et à améliorer son image et son style de vie. Il est important de noter que le métrosexuel n’est ni homosexuel ni androgyne. Il se considère comme un être viril qui remet en question les valeurs masculines conventionnelles en adoptant un nouveau style de vie branché qui s’exprime par le soin apporté à son apparence, à son alimentation, à ses vêtements et à sa forme physique.

De nos jours, même si le mot métrosexuel n’est plus utilisé pour définir cette catégorie d’hommes, sa portée est encore bien présente. En effet, les hommes sont plus ouverts à l’idée de prendre soin d’eux, de peaufiner leur apparence et d’afficher un style de vie in. Les études démontrent que les hommes sont maintenant beaucoup moins réfractaires à l’idée d’utiliser des produits de beauté conçus pour eux qu’ils ne l’étaient il y a quinze ans. On peut donc conclure que ce changement d’attitude est directement lié à l’avènement du métrosexuel et à sa glorification par quelques vedettes au tournant du siècle.

Le rétrosexuel

Apparu dans les années 2000, le rétrosexuel est en opposition au métrosexuel. Il rejette la métrosexualité en faveur de la masculinité de la vieille école. Le rétrosexuel sous-entend un homme hétérosexuel qui a un sens esthétique peu poussé et qui consacre très peu de temps et d’argent à son apparence ou à son style de vie. Certains diront que le rétrosexuel a donc une vision rétrograde de la femme, mais ce n’est pas le cas. En fait, le rétrosexuel est simplement un homme qui ne saurait dire la différence entre un exfoliant et un hydratant et qui, franchement, s’en balance complètement !

Le problème pour les entreprises de cosmétiques, c’est qu’au fond, il y a un rétrosexuel en chaque homme. En effet, les études montrent que s’il le pouvait, l’homme moyen se passerait bien de devoir magasiner du linge ou des produits de beauté. En conséquence, les entreprises de produits de beauté pour hommes doivent user de psychologie fine si elles veulent leur faire adopter de nouvelles habitudes d’hygiène.

La génération Y

L’espoir, pour les entreprises de produits de beauté, réside chez les jeunes de moins de 35 ans. En effet, ceux-ci sont habitués à utiliser des produits de beauté très parfumés puisqu’ils ont été influencés, au cours de leur adolescence et au début de leur âge adulte, par des campagnes virales très réussies comme celles menées pour promouvoir les produits Axe ou Old Spice. Ces campagnes ont su utiliser avec succès un humour décapant qui s’adresse uniquement et directement à leur clientèle cible. Notons que le pouvoir d’achat de la génération Y surpassera celui des baby-boomers d’ici 10 ans. On peut donc facilement imaginer que cette génération et les suivantes influenceront les habitudes de consommation de produits de beauté pour hommes dans les années à venir.

Le lumbersexuel

Le terme lumbersexuel est apparu dans les médias sociaux à l’automne 2014 pour qualifier les hommes qui s’habillent avec des chemises de bûcheron et qui portent la barbe longue, fournie et taillée avec soin. Est-ce que ce nouveau mouvement, très prisé présentement par les hipsters, ne sera qu’une mode passagère ? Il est encore trop tôt pour le dire, mais on remarque déjà que le port de la barbe est beaucoup plus courant et mieux accepté dans la société en général. Une panoplie de produits d’entretien de la barbe ont été créés et sont utilisés par ces hommes qui n’ont du bûcheron que l’apparence ! Ne serait-ce là qu’une autre manière de faire consommer les hommes en déficit de virilité ? La crème à raser le torse qu’on vendait au métrosexuel dans les années 1990 se serait-elle transformée en pommade pour barbe frisée ?


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Le nouvel idéal masculin

L’arrivée récente du lumbersexuel – qui s’oppose par définition au métrosexuel même si, dans les faits, il prête une attention poussée à son apparence – vient confirmer l’effet à long terme des habitudes de soins personnels du métrosexuel. Cependant, les sondages montrent que la moitié des hommes estiment que leur rôle dans la société est moins clair et moins dominant qu’auparavant. Ces études concluent que le nouvel idéal masculin est afro-américain, bien mis (well-groomed), confiant, narcissique et charismatique. En effet, elles démontrent l’influence qu’a eue la culture urbaine noire (chanteurs, sportifs, comédiens et humoristes afro-américains) sur l’ensemble de la culture populaire chez les hommes de moins de 45 ans, toutes classes et toutes origines confondues. Ainsi, la perte de repères chez les hommes en ce qui concerne leur masculinité dans la société en général est compensée par l’identification à cet idéal afro-américain.

Par ailleurs, des chercheurs affirment que certains hommes s’efforcent d’augmenter leur masse musculaire en s’entraînant au gym dans le but de renforcer leur identité masculine et de compenser ce qu’ils perçoivent comme une perte de pouvoir dans la société. Ces hommes n’expriment pas ouvertement leur inquiétude à propos de leur apparence physique puisque le fait de s’en faire à ce sujet est jugé comme étant féminin. Ils affirment plutôt qu’ils s’entraînent au gym dans le but de se différencier des autres par esprit d’indépendance. On peut donc conclure qu’une plus grande masse musculaire et un esprit d’indépendance sont liés et forment des caractéristiques capitales du nouvel idéal masculin.