Même si les choses commencent à changer sous l’impulsion des jeunes générations, il est malgré tout encore difficile de parler de salaire. Pourquoi en est-il ainsi et surtout, comment rendre les conversations salariales plus fluides?

Le salaire n’est pas un sujet facile à aborder. Une nouvelle tendance semble toutefois se dessiner sur le terrain, constate Jonathan Brunelle, conseiller principal et leader de l’équipe Consultation pour le Québec chez Mercer. «On rapporte de plus en plus souvent la rémunération sur des sites comme Glassdoor ou Payscale. La génération Z est aussi davantage prête à en parler que ses prédécesseurs», dit-il. Marc Chartrand, CRHA Distinction Fellow, conseiller principal pour la firme Gallagher, confirme que chez les 30 ans et moins, le salaire n’est plus un tabou. «Ils en discutent librement, révèlent leurs salaires et les augmentations qu’ils ont reçues. Chez les employés plus âgés, la dynamique est très différente», note-t-il.

Jonathan Brunelle ajoute que de nouvelles législations commencent à émerger. C’est le cas en Colombie-Britannique, où une loi sur la transparence salariale vient tout juste d’entrer en vigueur. «Désormais, les employeurs doivent fournir une échelle salariale raisonnable lorsqu’ils affichent un poste», mentionne-t-il.

Série – Finances et travail

L’enjeu de la transparence

Si un mouvement prometteur vers la transparence semble avoir le vent en poupe, il reste tout de même bien du chemin à parcourir, remarque Manon Poirier, CRHA, directrice générale de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés. Elle estime que les entreprises auraient pourtant tout intérêt à s’atteler à cet enjeu. «Un récent sondage réalisé par notre ordre révèle qu’une personne sur quatre s’est déjà retirée d’un processus de recrutement en raison d’un manque de transparence salariale. Une proportion identique affirme avoir quitté un emploi pour la même raison, des comportements qui se retrouvent d’ailleurs plus fréquemment chez les 18 à 34 ans», illustre-t-elle en soulignant qu’il s’agit là d’un angle mort pour les organisations. «Pourtant, il ne s’agit pas de dévoiler les salaires de chaque employé, mais plutôt d’expliquer l’échelle de rémunération et les facteurs pris en compte dans celle-ci», fait valoir la directrice générale.

Il n’en reste pas moins que la transparence constitue un défi pour les gestionnaires. «Il y a beaucoup d’éducation à faire sur le sujet et on constate également que les politiques salariales ne sont pas toujours claires en interne, ce qui les rend difficiles à justifier et donc à divulguer», observe Marc Chartrand.

En période de pénurie de main-d’œuvre, on peut aussi accorder des salaires plus élevés que les normes habituelles de l’organisation pour attirer les talents.

«Ce n’est pas nécessairement de la mauvaise volonté de la part des gestionnaires, la plupart d’entre eux sont même favorables à davantage de transparence. C’est plutôt le manque de structure dans les programmes de rémunération et les incohérences qui rendent la communication à ce sujet plus difficile», croit pour sa part Jonathan Brunelle.

Par ailleurs, instaurer la transparence salariale au sein d’une organisation nécessite des efforts et des ressources importantes en termes de développement de politiques et de procédures, de formation, etc., ce qui peut rebuter. «L’entreprise se demande dans quelle mesure il y a un réel retour sur investissement», souligne Jonathan Brunelle. Malgré tout, l’idée fait du chemin.

La question de l’augmentation

Du côté des employés, hormis les jeunes générations qui semblent s’exprimer plus librement à ce sujet, demander une augmentation de salaire demeure intimidant. À ce chapitre, Manon Poirier remarque d’ailleurs que les femmes sont moins à l’aise que leurs collègues masculins. «Elles sont aussi moins efficaces lorsqu’il est question de négocier et elles le font plus rarement», déplore-t-elle.

Pour faciliter le processus, bien préparer ses arguments, comme démontrer l’atteinte de ses objectifs ou rappeler ses réalisations, peut insuffler un peu de confiance à l’employé qui s’apprête à présenter sa demande. Dans le même esprit, avoir accès à l’échelle salariale donne un bon coup de pouce pour établir des comparatifs et justifier la hausse demandée. C’est pourquoi davantage de transparence contribue à simplifier l’exercice.

Il en va de même pour l’attitude des gestionnaires, qui, de leur côté, devraient apprendre à accueillir adéquatement les demandes salariales. «Tout d’abord, il faut reconnaître le courage de la démarche, surtout si elle est faite de façon constructive. On devrait aussi en profiter pour questionner l’employé pour bien comprendre les raisons qui motivent cette demande. Ce n’est pas toujours une question d’argent. Derrière, il peut y avoir une frustration liée à un manque de reconnaissance ou à une surcharge de travail, par exemple. Le gestionnaire pourrait agir là-dessus, même s’il n’a pas la possibilité de délier les cordons de la bourse pour accorder une augmentation», dit-elle.

L’écoute active et engager une conversation respectueuse avec l’employé définissent en partie la bonne posture à adopter, estime Marc Chartrand. «On n’a pas à donner une réponse immédiatement. Il est possible de dire à l’employé que l’on doit valider certaines informations avant de revenir vers lui. Toutefois, on devrait être en mesure de justifier sa position et d’expliquer quels sont les critères salariaux et les autres avantages de la rémunération globale», précise-t-il.