Article publié dans l'édition automne 2015 de Gestion

Au Québec, ce n’est pas tant l’ampleur de la dette du gouvernement qui est en cause, même s’il y a matière à s’inquiéter, mais plutôt le contexte dans lequel la dette a été contractée. Dans une étude portant sur la problématique de la dette du gouvernement du Québec, le Centre sur la productivité et la prospérité de HEC Montréal démontre que la récurrence des déficits budgétaires crée une spirale d’endettement qui a des conséquences particulièrement néfastes sur les finances publiques de la province.

Au-delà du débat entourant la question des concepts utilisés pour évaluer la dette, il faut comprendre que les déficits budgétaires constituent le véritable problème. Depuis le début des années 1970, le gouvernement du Québec multiplie les déficits, ce qui a pour effet indésirable d’accroître sa dette et de la faire durer. Le résultat final est tel que la « bonne dette » du gouvernement – celle contractée pour financer ses investissements – se transforme peu à peu en dette de consommation. Cette situation est encore plus préoccupante depuis la mise en veille de la Loi sur l’équilibre budgétaire à partir de 2009.


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Ampleur et impact de la dette

Autre constat : le fort endettement du gouvernement du Québec est un phénomène relativement récent. Au début des années 1970, la dette brute représentait seulement 10 % du PIB de la province alors que, de nos jours, elle correspond à plus de 50 % de ce dernier. Si des réformes comptables expliquent en partie cette hausse, l’analyse révèle que le poids de la dette a pratiquement quadruplé avant même que les réformes ne viennent modifier le traitement comptable de la dette à la fin des années 1990.Sans grande surprise, cette étude démontre que la dette du gouvernement du Québec est systématiquement plus élevée que celle des autres provinces canadiennes, peu importe le concept utilisé. Et lorsqu’on la compare à celle de 31 pays membres de l’OCDE, on observe que seuls neuf pays affichent une dette plus lourde. Sans pour autant s’en alarmer, force est de constater que bon nombre de ces pays – Grèce, Italie, Portugal, Espagne, Japon – doivent faire face à de graves problèmes économiques. Par ailleurs, cette analyse révèle que les pays où l’intervention de l’État est considérable et avec lesquels le Québec aime se comparer ont une dette publique nettement inférieure à la sienne (Finlande, Danemark, Suède, Norvège).

Pour ces raisons, l’endettement du gouvernement demeure aujourd’hui un enjeu préoccupant. Le service de la dette, soit les intérêts payés sur la dette du gouvernement, réduit de façon radicale la marge de manœuvre budgétaire du gouvernement. En raison de l’ampleur de sa dette, l’État québécois consacre chaque année une part substantiellle de son budget en paiement d’intérêts, ce qui réduit les sommes qu’il devrait normalement consentir au financement de ses missions.


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la dette en proportion du PIB consolidee/consommation

Source:  L’heure juste sur la dette du gouvernement du Québec 

deficit et surplus budgetaire 1

Source:  L’heure juste sur la dette du gouvernement du Québec 

La loi sur l’équilibre budgétaire : un outil essentiel

Au cours de la période où elle a été pleinement en vigueur, la Loi sur l’équilibre budgétaire a permis au gouvernement du Québec d’instaurer une certaine rigueur budgétaire. Résultat : le poids de la dette a sans cesse diminué au cours des années 2000, une première en plus de 30 ans.

Malheureusement, en 2009, le gouvernement a suspendu l’application des articles de la loi qui l’empêchaient d’enregistrer des déficits budgétaires. Conséquence : tous les indicateurs de la dette se sont remis à grimper dès que le gouvernement a mis de côté ce mécanisme de contrôle budgétaire. Depuis, le gouvernement accumule les déficits et le poids de la dette s’est de nouveau accru. La situation actuelle n’est d’ailleurs pas sans rappeler la fin des années 1990, période qui a mené à l’adoption de la première version de la Loi sur l’équilibre budgétaire.

Quelques recommandations

À la lumière de cette analyse, un constat s’impose : l’atteinte de l’équilibre budgétaire doit demeurer un enjeu prioritaire pour le gouvernement du Québec, surtout qu’entre 2014 et 2024, ce gouvernement prévoit investir 90 milliards de dollars dans les infrastructures de la province, des investissements qui seront en grande partie financés par la dette. En plus d’accélérer le rythme de croissance de l’endettement du gouvernement, ces investissements augmenteront considérablement la charge budgétaire d’amortissement et le service de la dette. La pression sur les finances publiques ne cessera donc de s’accroître et l’équilibre deviendra encore plus difficile à atteindre. Le gouvernement du Québec devrait donc dès maintenant mettre en œuvre une stratégie efficace et réfléchie pour assurer l’équilibre budgétaire pendant plusieurs années. Pour ce faire, il doit fixer des objectifs clairs et, surtout, les respecter.

Afin d’éviter que le problème de l’endettement ne s’aggrave, le gouvernement du Québec devrait remettre en application la Loi sur l’équilibre budgétaire tout en y apportant certaines modifications.

Tout d’abord, la mise en application de cette loi devrait être plus stricte en interdisant au gouvernement d’enregistrer des déficits budgétaires même inférieurs à un milliard de dollars. En contrepartie, la loi devrait donner plus de flexibilité au gouvernement pour absorber les déficits encourus lors de perturbations économiques. Rappelons qu’en vertu des termes actuels de la loi, le gouvernement québécois dispose d’un maximum de cinq ans pour rembourser ses déficits. Il doit donc faire preuve d’une rigueur exceptionnelle en sortie de crise économique alors que le contexte ne s’y prête généralement pas. Enfin, pour éviter à l’avenir d’anéantir les efforts de réduction de la dette, le gouvernement ne devrait plus être autorisé à suspendre en tout ou en partie la Loi sur l’équilibre budgétaire sans avoir au préalable reçu un appui massif, par exemple en obtenant les deux tiers des voix à l’Assemblée nationale.

En terminant, il apparaît utile de préciser qu’on ne doit pas confondre la rigueur budgétaire, qui sous-tend l’atteinte de l’équilibre budgétaire, avec l’austérité budgétaire, qui implique des coupes draconiennes dans les dépenses du gouvernement. Rappelons qu’entre 1998 et 2008, au moment où le gouvernement atteignait l’équilibre budgétaire en vertu de la loi, d’importants programmes ont été réalisés, par exemple la création des centres de la petite enfance (CPE), tandis que d’autres ont été bonifiés.

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Source:  L’heure juste sur la dette du gouvernement du Québec 

*Article écrit en collaboration avec Liette D’Amours, rédactrice-journaliste.


Notes

*Pour en savoir plus, consultez le rapport L’heure juste sur la dette du gouvernement du Québec rédigé par Jonathan Deslauriers, Robert Gagné et Jonathan Paré.