Article publié dans l'édition printemps 2015 de Gestion

L’année 2015 sera fortement marquée par le renforcement de l’économie américaine, par l’effet du vieillissement de la population et par l’évolution incertaine du prix des produits de base. Le Québec pourra tirer son épingle du jeu et bénéficier de l’accélération de la croissance économique des États-Unis, à condition qu’il améliore sa productivité.

C’est un truisme de dire que la mondialisation, amplifiée par les progrès récents des technologies de l’information, a révolutionné la façon de faire des affaires, mais c’est néanmoins plus vrai que jamais. Désormais, les gestionnaires doivent tendre l’oreille lorsqu’on leur parle de contexte économique international, car la planète est devenue leur champ d’opération.

L’analyse qui suit se fonde sur les données fournies par divers organismes de veille économique, à partir desquelles se dégagent, parmi d’autres, trois tendances dont les gestionnaires québécois devront tenir compte.


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Le renforcement de l’économie américaine

Emploi

Certains indices ne trompent pas. L’emploi est de ceux-là. Or, depuis le choc de la récession amorcée en 2008 et qui s’est poursuivie jusqu’en 2010, le taux de chômage a progressivement diminué à la faveur d’une reprise de l’emploi dans le secteur non agricole aux États-Unis. Cette tendance s’est maintenue, de sorte qu’à la fin de 2014, l’U.S. Bureau of Labor Statistics dénombrait un peu plus de 140 millions de travailleurs – alors qu’ils étaient moins de 130 millions en 2010 – soit une augmentation de près de 2 % par rapport à 2013.

Situation financière des ménages

La situation financière des ménages s’est redressée. Selon les données de la Réserve fédérale des États-Unis, le ratio d’endettement des ménages a chuté de 20 % depuis le sommet atteint à la fin de 2007, juste avant le début de la crise financière. Ce résultat donne à penser que la consommation de biens et de services des ménages américains pourrait s’accélérer dans les prochains mois.

Ventes d’automobiles

Autre indice qui ne ment pas, les ventes d’automobiles sont revenues à la normale à la fin de 2014, après avoir connu un creux de la fin de 2008 jusqu’à janvier 2010, avec un pic à la fin de 2009, causé par le succès du Car Allowance Rebate System, un programme fédéral américain destiné à inciter les citoyens américains à acquérir une automobile neuve, plus économe en essence, et à se départir de leur vieux véhicule par la même occasion.

Construction

Le dicton populaire veut que quand le bâtiment va, tout va. Les mises en chantier, dont l’effondrement a marqué le début de la crise financière, ont enregistré une augmentation marquée depuis 2009, alors qu’elles sont passées de 0,6 million à plus de 1,2 million au début de 2015. Et la bonne nouvelle, c’est que cette tendance devrait se poursuivre au cours des prochaines années.

Dépenses gouvernementales

Dernier indice à noter, et non le moindre, les dépenses gouvernementales, qui avaient été réduites considérablement au cours des dernières années afin d’assainir les finances publiques des États-Unis, ont récemment recommencé à augmenter. Pour la première fois depuis longtemps, les dépenses et les investissements du gouvernement fédéral ont contribué positivement à la croissance du produit intérieur brut (PIB) réel au deuxième trimestre de 2014.

À la lumière de ces données encourageantes, on peut donc prévoir, en 2015, une accélération de la croissance économique aux États-Unis. La variation annuelle du PIB réel, qui se situait à 1,6 % en 2011, s’élèverait à 3 % en 2015 selon le Consensus Forecasts du 10 novembre 20142.


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La croissance des exportations internationales du Québec

Accélération de la croissance des exportations internationales

Après avoir chuté considérablement au cours de la récession de 2009, les exportations internationales du Québec ont repris le chemin de la croissance en 2010, mais ce n’est qu’en 2013 qu’elles ont réalisé une remontée vigoureuse. En 2014, leur croissance s’est poursuivie. Le raffermissement de l’économie américaine et le niveau plus faible du dollar canadien devraient continuer de stimuler les exportations du Québec en 2015.

D’après les données sur le commerce international d’Industrie Canada, plusieurs industries québécoises affichent une croissance vigoureuse de leurs exportations. Citons l’extraction de minerai de fer, les scieries, la fabrication de camions lourds, de moteurs et de turbines de même que la fabrication de produits aérospatiaux, de semi-conducteurs et de composants électroniques. S’ajoutent le laminage, l’étirage, l’extrusion et l’alliage du cuivre, l’abattage et la transformation d’animaux et enfin la sidérurgie. Les exportations internationales totales du Québec au cours des neuf premiers mois de 2014 ont augmenté de 12,0 % par rapport aux mêmes mois de l’année précédente, et les exportations de la province aux États-Unis se sont accrues de 10,3 % au cours de la même période.

Concurrence internationale très vive

La part du Québec dans les importations des États-Unis a diminué au fil des ans au profit des pays émergents, notamment la Chine. La croissance des exportations québécoises de biens s’est avérée beaucoup plus faible que celle de l’indice de la demande américaine pour les produits québécois (IDAPQ) en 2012 et en 2013, ce qui semble indiquer que la demande américaine a moins d’effet qu’avant sur les exportations du Québec.

L’effet de la démographie

Vieillissement de la population québécoise

De 1994 à 2014, l’âge médian est passé, au Québec, de 35 ans à 41 ans, et ce n’est pas fini. On estime en effet qu’en 2024, il se situera à 43 ans, puis à 45 ans en 2034. Ce vieillissement rapide de la population ne se fera pas sans conséquence sur le bassin de travailleurs (défini comme étant l’ensemble des personnes âgées de 15 à 64 ans). Selon le scénario démographique de l’Institut de la statistique du Québec, la population de ce groupe d’âge diminuera jusqu’en 2030.

Croissance économique et croissance de la main-d’œuvre

À long terme, la croissance du PIB réel est la somme de la croissance de la main-d’œuvre et de celle de la productivité. Si l’on compare la croissance annuelle moyenne de la productivité – mesurée par le PIB par heure travaillée (à prix constants) sur la période allant de 2001 à 2012 – des pays du G7, le classement est peu enviable pour le Québec, qui arrive bon avant-dernier, juste devant l’Italie3. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le Québec a une bonne marge de manœuvre pour améliorer sa productivité.

Évolution du prix des produits de base

La baisse des prix des produits de base non énergétiques s’est traduite par un recul de l’investissement dans le secteur minier depuis 2013. En effet, l’indice des prix des métaux et des minéraux, qui a poursuivi une tendance à la hausse jusqu’en janvier 2012, a commencé à fléchir de façon marquée à partir de cette date, et ce, jusqu’en 2014. L’investissement dans le secteur minier, qui avait considérablement augmenté jusqu’en 2012, a diminué de façon marquée en 2013.

Le prix du pétrole, qui a reculé au cours des derniers mois, demeure une source d’incertitude. Le cours du pétrole brut est en baisse depuis l’été 2014, en raison d’une surabondance de l’offre mondiale combinée à des perspectives de demande plus faible. Il est très difficile de prévoir l’évolution du prix du pétrole.

À retenir pour le Québec

Ce bref portrait des tendances lourdes qui nous attendent pour l’année 2015 nous permet de tirer deux conclusions. Tout d’abord, on peut s’attendre à ce que le Québec bénéficie de l’accélération de la croissance économique américaine. Pour des raisons structurelles liées à la proximité des marchés, le Canada et le Québec ont toujours ressenti les secousses heureuses ou malheureuses de ce qui se passe aux États-Unis, avec des délais plus ou moins élastiques selon les secteurs touchés. On a toujours escompté que lorsqu’il y a embellie au sud, elle remontera, à plus ou moins court terme, vers le nord.

Malheureusement, la conjoncture nous impose cette fois-ci la prudence, car une double incertitude demeure quant à la productivité de la main-d’œuvre et au prix du pétrole. Le Québec, et particulièrement son milieu des affaires, a le choix de prendre des mesures fermes pour augmenter la productivité. Qu’il s’agisse d’acquisition de nouvel équipement, de l’adoption de processus plus efficaces ou encore d’investissements dans des technologies plus à jour et plus performantes, les entreprises doivent prendre un net virage en ce sens. Et cela, dans un contexte où l’évolution du prix des produits de base est incertaine.

Article écrit en collaboration avec Jacqueline Cardinal, ancienne rédactrice en chef adjointe à la revue Gestion et chercheure à HEC Montréal


Notes

1 Cet article s’inspire d’une présentation faite par l’auteur à HEC Montréal le 5 décembre 2014 lors du colloque Spectre 2015 organisé annuellement par la Formation des cadres et des dirigeants de HEC Montréal.

2 Les prévisions du Consensus Forecasts sont fondées sur la moyenne des prévisions d’une trentaine d’experts provenant du milieu financier des États-Unis.

3 Les données des pays du G7 proviennent de l’OCDE, alors que la croissance du Québec a été calculée à partir des données des heures travaillées et de la production de Statistique Canada.