Lorsqu’on réfléchit au rôle du leader, on évoque fréquemment sa responsabilité de «montrer le chemin» à ses équipes. Or, si le leadership charismatique consiste à articuler une vision et des valeurs, celles-ci ne valent pas grand-chose si elles ne sont pas démontrées par celui qui les proclame.

Collectivement, on s’attend à ce que les dirigeants et les leaders fassent preuve d’exemplarité dans leurs agissements. Il en va de même pour les gestionnaires au sein des organisations. Que diriez-vous d’un gérant qui, au vu et au su de tous, se permettrait de s’approprier de la marchandise de son magasin sans la payer (ne serait-ce qu’un simple paquet de gommes), mais qui exigerait l’honnêteté de la part de tous ses employés? Ou d’un gestionnaire qui demanderait à son équipe de travailler pendant la période des Fêtes, mais qui s’envolerait vers le Sud pendant ces congés fériés? Ou encore de ce patron qui donnerait une rétroaction en continu à son équipe de gestionnaires… mais réfuterait illico toute critique constructive qu’on pourrait lui adresser en retour?

Si les manquements en matière d’exemplarité nous apparaissent plutôt clairement, ce concept demeure difficile à circonscrire, compliquant notamment la tâche de tout gestionnaire qui souhaite développer son leadership sur ce point. Tentons donc d’y voir plus clair.

Comment se comporter pour être exemplaire?

Pour être exemplaire, on doit se comporter de manière vertueuse. Mais qu’est-ce que la vertu? Lorsqu’on consulte la définition officielle de ce mot, on comprend que c’est avant tout une disposition à accomplir des actes moraux par un effort de volonté. Des chercheurs américains ont classifié les vertus humaines en six grandes catégories1. Selon eux, certaines seraient universelles et même liées à l’évolution humaine, du fait qu’elles servent à accomplir des tâches importantes à la survie de notre espèce. Ces mêmes vertus contribueraient-elles aussi à sauver nos communautés et nos entreprises modernes? Pour mieux comprendre comment ces vertus peuvent se déployer à travers le leadership, nous les avons associées aux caractéristiques et aux qualités des gestionnaires, et aux diverses manières de les faire valoir (voir le tableau ci-dessous).

Tableau inspiré de Peterson, C., et Seligman, M. E. P., Character Strengths and Virtues: A Handbook and Classification, Washington, American Psychological Association, 2004, 800 pages.

Le paradoxe de l’exemplarité

Une étude fascinante démontre que les actes exemplaires posés en public (ou largement médiatisés) sont perçus comme étant moralement moins valables que ceux qui sont faits en privé2. Mais serait-il possible que nous nous privions des effets positifs de cette exemplarité si nous ne sommes jamais mis au courant des bons gestes effectués par les autres? Comme le dit si bien l’adage, si personne n’est présent pour entendre l’arbre tomber dans la forêt, a-t-il réellement fait du bruit? Voilà où réside le paradoxe de l’exemplarité. Comment dénouer cette impasse lorsqu’on est un gestionnaire désireux de montrer l’exemple tout en évitant de générer dans l’entourage la perception que nos actes sont faits avec une quelconque intention de faire avancer nos propres intérêts?

Heureusement, des recherches plus approfondies nous permettent de comprendre que le caractère public ou privé des actes des gestionnaires n’est pas le seul critère utilisé par les individus pour se forger une opinion. En fait, tel un filtre, ce caractère anonyme ou public influencera plutôt la perception des gens quant aux réelles motivations derrière l’exemplarité des gestionnaires.

Lorsque les motivations des gestionnaires sont davantage liées à des principes moraux ou à une volonté sincère de montrer l’exemple plutôt qu’à un souci de préserver leur propre réputation, les réactions des équipes sont beaucoup plus positives.

Les trois passoires de l’exemplarité

Selon le même principe que le fameux test des trois passoires qu’aurait élaboré le philosophe Socrate afin de favoriser des communications positives, voici un petit questionnaire à remplir pour mesurer le degré d’exemplarité des actions des gestionnaires.

1- La passoire de la vertu

Est-ce que cette action relève d’une vertu qui est valorisée dans ma communauté?

2- La passoire de la motivation

Est-ce que cette action est guidée par une motivation sincère?

3- La passoire du sacrifice

Est-ce que cette action exige un effort, un investissement ou un renoncement de ma part?

Si vous répondez «oui» à ces trois questions, vous pouvez aller de l’avant avec confiance : vos actions ont le potentiel de créer un véritable cercle vertueux.

Si vous répondez «non» à l’une ou plusieurs de ces questions, il vaudrait peut-être mieux approfondir votre réflexion avant d’aller de l’avant. Bien que votre sincérité soit réelle, votre entourage pourrait percevoir négativement vos actions et, ce faisant, compromettre l’atteinte de vos objectifs. Une fois cette réflexion effectuée, allez de l’avant et saisissez la chance de faire rayonner le bien au sein de votre organisation.

Le prix à payer pour être exemplaire

Pour évaluer le caractère exemplaire du comportement et des actions d’une personne, on utilisera un critère supplémentaire : le sacrifice consenti. Les recherches soulignent que les individus considèrent qu’une personne est plus exemplaire lorsqu’elle pose un geste qui exige un quelconque sacrifice; il y a donc, dans ce cas, un coût personnel associé à ses actions. À titre d’exemple, il est probable que nous serons tous peu impressionnés par le geste d’un utilisateur sur les réseaux sociaux qui, en réponse à un événement catastrophique, décide d’arborer le drapeau du pays ébranlé en guise de photo de profil. Inversement, l’organisateur d’une collecte de denrées pour la population victime de ce drame risque d’être perçu comme une personne au comportement davantage vertueux.

On observe le même phénomène en milieu de travail. Une étude récente confirme cette tendance à la moralisation de l’effort3. Ainsi, peu importe les résultats d’un acte exemplaire, le fait que la personne ait mis un réel effort ou ait consenti un sacrifice personnel pour accomplir une action contribue à ce qu’on la perçoive positivement et qu’on attribue à son geste un caractère moral.

L'exemplarité serait-elle en déclin?

Tous s’entendent pour dire que notre époque est teintée d’une certaine dérive sur le plan de l’exemplarité et de la morale. Mais est-ce réellement le cas? Selon les résultats d’une étude récente, nous attribuons des qualités morales moins grandes aux
générations qui nous suivent qu’à celles qui nous ont précédés, et ce, depuis 70 ans. Nous serions doncd’éternels pessimistes? Certainschercheurs estiment que ce serait plutôt un mécanisme de survie évolutif imbriqué dans la nature humaine : croire que la morale est en déclin forcerait les sociétés à rester aux aguets face aux risques potentiels et à prévenir les dérapages.

Source : Mastroianni, A. M., et Gilbert, D. T.,«The illusion of moral decline», Nature, n° 618, 2023, p. 782-789.

Article publié dans l’édition Hiver 2024 de Gestion


Notes

1- Peterson, C., et Seligman, M. E. P., Character Strengths and Virtues: A Handbook and Classification, Washington, American Psychological Association, 2004, 800 pages.
2- Kraft-Todd, G., Kleiman-Weiner, M., et Young, L., «Virtue discounting: Observability reduces moral actors’ perceived virtue», Open Mind, vol. 7, 2022, p. 460-482.
3- Celniker, J. B., Gregory, A., Koo, H. J., Piff, P. K., Ditto, P. H., et Shariff, A. F., «The moralization of effort», Journal of Experimental Psychology: General, vol. 152, n° 1, 2023, p. 60-79.