Nous vivons une époque de grandes transformations où le rôle fondamental des entreprises et des organisations est remis en question comme il l’a rarement été auparavant. L’un des aspects les plus significatifs de ce changement réside dans le fait qu’il n’émane pas de la volonté de groupes de pression ou d’entités politiques, mais plutôt des entreprises elles-mêmes et des personnes qui les dirigent.

Les leaders ont réalisé massivement qu’il n’est plus possible de conduire les affaires selon le vieux modèle du rendement à tout prix. Non seulement cette approche n’est pas viable pour l’avenir de la planète, mais son application généralisée a clairement démontré ses limites en tant que projet de société.

Les années pandémiques ont constitué un moment pivot au cours duquel les gens ont réalisé l’importance de donner un sens à leurs activités professionnelles. On ne se contente plus de considérer le travail selon la notion de performance ou celle de rétribution financière : la volonté est maintenant d’humaniser le travail et de comprendre comment il s’inscrit dans une vision plus large au sein de la collectivité. Les organisations, si elles veulent demeurer des employeurs et des citoyennes corporatives crédibles, n’ont d’autre choix que d’intégrer cette notion à leurs propres activités. De là émergent les entreprises dites «à mission», dont la volonté est de concilier les objectifs commerciaux avec les impératifs liés à une véritable contribution à la société. Cette approche leur est aujourd’hui indispensable pour préserver la crédibilité de leur marque, tout en maintenant l’engagement au sein de leurs équipes et de leur clientèle.

Selon une étude menée par la firme Accenture, 62% des consommateurs veulent que les entreprises défendent les questions qui les passionnent. Qui plus est, 66% pensent que la transparence est l’une des qualités les plus attrayantes d’une marque.

L’un des exemples les plus inspirants dans cette catégorie est sans doute celui de Patagonia. Il y a plusieurs années déjà, l’entreprise de vêtements de plein air s’est engagée à fond dans sa mission environnementale en posant des gestes concrets pour réduire au minimum les retombées négatives liées à sa production. À l’automne 2022, elle annonçait que la totalité de ses quelque 100 millions de dollars de bénéfice annuel servirait désormais à financer des efforts visant à lutter contre le changement climatique et à faire progresser la préservation de la nature sauvage. Le cas de Patagonia, même s’il représente une posture extrême adaptée à la nature spécifique de l’entreprise, montre jusqu’où peut aller une organisation voulant réellement être en harmonie avec sa raison d’être et la philosophie sur laquelle elle a été fondée.

Pour mener à bien ce type de transformation et surtout l’intégrer au sein de leurs activités quotidiennes, les entreprises réalisent désormais qu’elles doivent impérativement miser sur des leaders qui n’ont pas peur d’affirmer leur engagement.

Une nouvelle façon de concevoir le leadership

Dans la réalité comme dans la fiction, la figure du héros ou de l’héroïne est omniprésente et solidement ancrée dans notre imaginaire. Nous avons été habitués à identifier les leaders comme des personnes qui possèdent tous les talents et qui règlent les problèmes par leur seule force de volonté. Ce style autoritaire, où les décisions sont imposées du sommet à la base, a montré ses limites et n’est plus adapté au contexte actuel. La complexité croissante des structures et des défis liés à la gestion exige désormais une approche plus horizontale, axée sur la collaboration et la force du collectif. Dans le cas des entreprises à mission, la présence d’un leadership engagé est une condition essentielle pour parvenir à intégrer efficacement les dimensions sociale et environnementale, tout en satisfaisant les exigences de rendement financier.

Nos recherches et les observations menées sur le terrain nous ont permis d’identifier certaines approches et stratégies qui caractérisent les leaders d’engagement :

1- S’approprier la mission et la raison d’être de l’organisation

La démarche commence par vous-même, car personne n’est mieux placé pour incarner la raison d’être et les valeurs de votre entreprise. En tant que personne dirigeante ou gestionnaire, votre engagement doit être authentique et tangible. Il ne s’agit pas simplement d’y consacrer du temps ou des efforts, mais vous devez aussi adopter une façon d’être qui reflète fidèlement les valeurs que vous défendez.

Donner l’exemple est sans contredit le meilleur moyen de susciter l’engagement des personnes clés œuvrant à tous les paliers de votre organisation. L’effet créé dépassera inévitablement les limites de celle-ci pour s’étendre à ses partenaires, à sa clientèle et même aux talents qui évaluent la possibilité de joindre ses rangs.

Dans une étude réalisée récemment auprès de 1048 employés répartis dans 90 équipes en Hollande, les chercheurs italiens Mazzetti et Schaufeli ont étudié les effets d’un style de leadership engagé sur l’efficacité et l’engagement du personnel. Les résultats obtenus semblent confirmer que les gestionnaires perçus comme des leaders d’engagement ont effectivement un effet positif sur la mobilisation des employés, rehaussant leur optimisme, leur résilience, leur efficacité et leur adaptabilité.

2- Cultiver une approche collective et inspirante

La gestion engagée privilégie la contribution collective pour répondre aux défis quotidiens de l’entreprise. L’objectif n’est plus d’imposer des solutions toutes faites, mais d’aller plus loin en faisant preuve d’écoute et en sollicitant la contribution du plus grand nombre. Si on entend souvent que «deux têtes valent mieux qu’une», imaginez ce que dix têtes peuvent réaliser lorsqu’elles sont en harmonie avec la mission et la raison d’être de l’organisation. Pour ce faire, il faut cependant être préparé à voir nos idées remises en question et accepter que d’autres options mieux adaptées que les nôtres surgiront peut-être en chemin. L’objectif est donc de se positionner davantage comme la personne qui dirige l’orchestre, qui oriente et module l’effet d’ensemble, que celle qui joue en solo pour épater la galerie.

Les leaders transformationnels ont à cœur le développement de leurs employés et de leurs équipes. Ils et elles s’appliquent à entretenir une culture et un environnement propices au développement des individus, en encourageant la prise d’initiative et l’autonomie. La force d’une équipe dépend non seulement du talent qu’on y retrouve, mais elle réside aussi dans son unité d’action. Lorsque tout le monde travaille dans la bonne direction, les résultats positifs sont habituellement au rendez-vous.

Ce faisant, le développement de relations à long terme avec les partenaires et la clientèle de l’entreprise fait également partie des priorités des leaders d’engagement. L’établissement d’un climat de confiance et de respect mutuel est un élément important pour le maintien d’une collaboration fructueuse à long terme.

3- Faire les choses différemment

En tant qu’êtres humains, nous savons tous que la posture la plus confortable est celle que l’on prend lorsqu’on gère nos équipes selon les expériences qu’on a acquises et selon les concepts éprouvés : cela se résume à aborder les enjeux en conservant nos bonnes vieilles habitudes. Le leadership engagé vise plutôt à remettre les choses en question, en consultant son entourage, en faisant fi des contraintes opérationnelles, en mettant en place des cellules créatives afin d’aller plus loin dans la réflexion. En explorant des avenues plus audacieuses ou qui sortent des sentiers battus, on acquiert le niveau d’agilité nécessaire pour concilier les objectifs multiples et souvent contradictoires auxquels font face les organisations dans le monde d’aujourd’hui. Pour ce faire, il faut être prêt à prendre des risques en démontrant un bon niveau de tolérance à l’échec. Par son caractère inspirant, une telle posture génère du respect et contribue à créer une réelle mobilisation au sein des équipes.

La pertinence du leadership engagé

Afin d’être en mesure de faire progresser leurs organisations dans un monde où le rythme des transformations s’accélère, les gestionnaires et les personnes dirigeantes ne peuvent plus s’appuyer sur un style unidirectionnel, déconnecté des valeurs qu’ils ou qu’elles sont censés représenter. Un engagement actif et authentique est aujourd’hui une dimension essentielle du leadership. Il se traduit au quotidien par un refus de se complaire dans le statu quo, par une qualité d’écoute qui va de pair avec une approche collective de la recherche de solutions et par une capacité à redresser la barre lorsqu’on s’éloigne des valeurs ou de la raison d’être de l’organisation. Il s’agit avant tout d’aborder chaque détail et chaque enjeu selon ses convictions et selon l’ensemble des objectifs poursuivis, qu’ils soient financiers ou sociaux.

Les leaders d’engagement s’appliquent à faire rayonner cette posture, non seulement au sein de leurs équipes, mais au-delà des murs de l’entreprise, à travers l’ensemble de la société. Leur rôle n’est plus simplement d’assurer la croissance de leur organisation, mais aussi de le faire en s’assurant de créer une communauté forte et productive au sein de celle-ci.