Point de vue publié dans l'édition Hiver 2019 de Gestion

« Mort à la pub ! » Voilà des décennies que j’entends ce cri. Successivement publicitaire, créatif, stratège et dirigeant d’agences de publicité, chroniqueur puis professeur à HEC Montréal, j’ai appris, vous le pensez bien, à vivre avec cette épée de Damoclès au cours de mes 40 ans de pratique. Une menace permanente. J’ai appris à déceler et à analyser non seulement les motivations de ceux qui crient le plus fort mais aussi les raisons pour lesquelles ils agissent ainsi avec tant de véhémence. Le propre de la publicité est de se faire haïr.

La pub n’est pas sans taches. Loin de là. Outrageusement intrusive, harcelante, exhibitionniste, bruyante, souvent grossière, parfois vulgaire. Toujours mensongère puisque, par nature, elle est appelée à exagérer la vérité. Elle pollue bien souvent nos quotidiens déjà noyés sous les stimuli commerciaux. Mais elle n’est pas la seule responsable, comme on veut parfois le laisser penser, de toutes les vicissitudes de la société de consommation. La connaître davantage aiderait grandement à mieux la comprendre, à défaut de mieux l’aimer.

Quelles sont les origines de la pub, au juste ? Qui donc l’a enfantée ? Quel est son véritable rôle ?

La pub est un langage. Elle est aussi la construction de multiples intervenants : annonceurs, marketeurs, médias de masse, etc., une construction dont le consommateur est partie prenante.


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Fille naturelle des médias et du commerce, elle est apparue dès l’invention de l’imprimerie et des premiers placards publics, des gazettes, des journaux, des affiches, puis de la radio et enfin de la télévision. La publicité a connu des heures de gloire grâce à un foisonnement d’idées et de langages créatifs divertissants. Parfois, et à juste titre, elle est même considérée comme un art à part entière. Elle constitue un pan important de la culture du 20e siècle. Mais son premier objectif est d’attirer l’attention du public, de faire connaître une marque ou son produit et d’en susciter l’achat. Car, contrairement à ce qui se dit, la publicité ne fait pas vendre : elle fait acheter. Cette nuance capitale conditionne la maîtrise de sa pratique et marque la frontière entre les publicités efficaces et les autres. De plus, le terme « publicité » ne suffit plus à la désigner lorsqu’on la réduit à ce simple vocable.

Parler de publicité, c’est nécessairement évoquer le marketing (en tant que pratique et science de la consommation), la communication marketing, les annonceurs (ses bailleurs de fonds), les médias (ses principaux véhicules), la vente, etc. C’est évoquer également les métiers périphériques de la publicité : design, relations publiques, marketing numérique, marketing de contenu, commandites, promotion, événementiel, etc. C’est enfin comprendre que l’ensemble de ces moyens et disciplines évolue désormais dans un écosystème totalement numérique. Authenticité et transparence, en adéquation avec les valeurs de l’époque, sont dès lors des postures managériales que le marketing doit prendre en compte pour arriver à l’efficacité promise aux annonceurs.


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Dans l’écosystème du web, tout le monde parle à tout le monde. Du web 1.0 au web 4.0, les consommateurs se parlent, les marques dialoguent avec eux. Les objets (connectés) se parlent entre eux et, désormais, les algorithmes et les intelligences artificielles s’invitent à cette conversation. Ceci n’est plus de la science-fiction, c’est une réalité avec laquelle la publicité doit composer quotidiennement.

L’expression « consommateur numérique » n’existera plus demain. On parlera plutôt de « citoyen numérique », dès lors que celui-ci aura intégré l’usage du numérique dans sa vie quotidienne.

Caméléon habile à adopter les couleurs du temps et de la société, la pub ne fait que changer de nom et s’adapter aux supports, à l’évolution de la technologie et aux nouveaux usages. Pour elle, c’est un jeu d’enfant.

« Tant qu’il y aura des marques, il y aura de la pub ! » m’avait répondu Allen Rosenshine, alors grand patron de l’agence Omnicom Group/BBDO, tandis que, dans un congrès interne, je m’inquiétais des effets du web sur la publicité. C’était en 1996. Grande sagesse, M. Rosenshine. Donc, tant qu’il y aura des marques, il y aura du marketing. Élémentaire, mon cher Allen. Oui, mais quel marketing ?

Révolution, rébellion, révolution

Il est évident que la numérisation tous azimuts de notre univers constitue, pour le marketing tel que nous l’avons pratiqué et enseigné durant des décennies, une véritable révolution. Plus rien ne tient, tout simplement parce que le marketing de l’époque des médias de masse n’a pas pris en compte suffisamment tôt – malgré les indications claires de certains praticiens et chercheurs, parmi lesquels Don Tapscott1 et Don Peppers2 – à quel point la technologie numérique devait modifier la relation des marques avec le consommateur. Sa réactivité allait désormais déterminer le succès ou l’insuccès des propositions publicitaires dans toutes les disciplines et sur tous les canaux.

Mark Schaefer3, directeur exécutif de la firme Schaefer Marketing Solutions, est un blogueur américain renommé. Il insiste sur le fait que le marketing peine encore à se conformer à cette injonction d’actualisation des pratiques. Il appelle à une prise de conscience urgente : la rébellion nette et quasi violente de l’usager-citoyen-consommateur exige des annonceurs, des enseignants et des professionnels de la communication marketing une transformation formelle de leurs postures, de leurs usages et de leurs langages, bref, une évolution beaucoup plus marquée. La transparence, les valeurs morales, l’honnêteté et le respect de l’environnement sont au cœur des débats de l’avenir. Si on pense aux publicités de Nike avec Colin Kaepernick4, l’été dernier, on constate que certains annonceurs ont déjà fort bien compris ce que cela implique en matière de publicité. Et de marketing.

Alors, si c’est la faute de la pub, changeons le marketing !


Notes

1- Tapscott, D., et Caston, A., Paradigm Shift – The New Promise of Information Technology, New York, McGraw-Hill, 1993, 337 pages.

2- Peppers, D., et Rogers, M., The One to One Future – Building Relationships One Customer at a Time, New York, Doubleday, 1996, 464 pages.

3- Schaefer, M., « The Third Marketing Rebellion », Mark Schaefer – Marketing. Strategy. Humanity (blogue consulté le 3 octobre 2018).

4- Colin Kaepernick, « Just Do It » Nike Commercial 2018 (vidéo consulté sur YouTube le 15 octobre 2018).