Tous les enseignants, a fortiori ceux et celles qui enseignent le marketing et la communication, vous le diront : être prof, c’est douter.

Jean Jacques Stréliski/ Credits : Isabelle Salmon / Numéro 7

Jean-Jacques Stréliski /Credits :Isabelle Salmon@Numéro 7

Et pour cause : combien de fois avons-nous évoqué entre collègues, en ces périodes particulièrement changeantes, la difficulté d’actualiser nos enseignements en adéquation avec les usages et les pratiques en cours, tant ceux des annonceurs que ceux
des consommateurs ?

Ajoutons à cela l’impérieuse nécessité d’illustrer par l’exemple, ce que nous favorisons. Il faut en effet citer les sources les mieux documentées, inviter les meilleurs experts et se référer aux articles les plus pertinents afin que l’étudiant puisse véritablement intégrer la matière plutôt que de l’apprendre de façon quelque peu scolaire, voire machinale.

Lors des travaux d’équipe, nous plaçons nos étudiants en situation de simulation véritable, comme le feraient des apprentis pilotes dans un simulateur de vol. Et, pour aller tout à fait au terme de l’exercice, nous leur demandons de résoudre de véritables cas d’annonceurs et invitons souvent ces derniers (les clients) à participer à l’évaluation des présentations finales en se joignant à l’équipe professorale. Bref, chaque jour, nous affinons la recette d’un plat complexe afin de former les meilleurs chefs, soit, ici, des responsables du marketing et de la communication ou, comme c’est souvent le cas, des chefs d’entreprise eux-mêmes.

Les marques connaissent mieux les consommateurs que ceux-ci ne les connaissent.

Du consommateur, nous savons  tout... ou presque. Et demain, nous en saurons davantage. Nous sommes à même de familiariser nos étudiants avec des outils, des plateformes et des applications capables de tracer un portrait exact des usagers, de leurs parcours et de leurs habitudes de consommation médiatique, entre autres.

Enfin, grâce à des formations accessibles et continues, nous sensibilisons les cadres et les entrepreneurs à l’ensemble de ces nouveaux usages, sachant que les consommateurs d’aujourd’hui sont beaucoup plus enclins – et surtout fort prompts en cas de dysfonctionnement relationnel – à exprimer de très vives réactions en dénonçant dans les médias sociaux les tenants et aboutissants de leurs mésaventures. Les compagnies aériennes, les fournisseurs de services Internet, les manufacturiers de produits de consommation de masse ainsi que les chaînes de distribution ou de restauration font très souvent l’objet de ces critiques ravageuses.

Voilà pour la recette. Et maintenant, goûtons le plat !

« Un jour, j’irai vivre en Théorie, car en Théorie, tout se passe bien. » – Dicton populaire

Que retient-on vraiment des leçons apprises ? Hors les murs de l’école, le prof redevient quidam. Un usager,  un consommateur. Un simple citoyen. Et c’est alors qu’il mesure l’écart qui sépare sa recette concoctée avec tant de soin du plat servi au quotidien à la majorité des consommateurs. Il goûte à l’« expérience de marque ». Autrement dit, à la relation permanente des consommateurs avec ces commerces, ces entreprises, ces services, ces administrations  qu’ils côtoient quotidiennement.

Un chemin parfois difficile qui amène à se frotter à une réalité bien différente de celle qui est enseignée dans les manuels et dans nos cours.

Pour évoquer cette expérience de façon entière et réaliste, il suffit de vous souvenir de votre dernier déménagement, une épreuve que j’ai récemment traversée. Pas évident !

Il ne s’agit pas ici de prendre spécifiquement pour cible telle ou telle marque (quoique la tentation m’ait traversé l’esprit), tel fournisseur, tel artisan, tel commerce, mais bien de faire référence à une expérience que j’ai vécue et qui, j’en suis certain, ressemble

étrangement à celle que d’innombrables citoyens vivent chaque fois qu’ils déménagent. Cette expérience implique forcément une compagnie de déménagement, un fournisseur Internet, des fabricants et des détaillants d’électroménagers, un notaire, un inspecteur d’immeubles, divers artisans, menuisiers, peintres, électriciens, etc. Bref, la totale. Mon évaluation professorale (généreuse) sur l’ensemble de la prestation : 60 %, ou C–. Il y a donc beaucoup de place pour de l’amélioration !

Si l’« ex-fournisseur » de services Internet mérite la pire note (publicité mensongère, opacité et service discourtois de l’équipe « satisfaction »), il faut constater que la meilleure note est attribuée – dans mon cas – aux artisans professionnels (dont la survie dépend vraiment de la relation avec le client). Pour eux, l’expérience de marque n’est pas un terme de marketing désincarné mais une véritable façon d’être dans une relation professionnelle compétente, responsable et engagée.

Curieusement, dans le cas des métiers mentionnés ci-dessus, tous ces artisans m’ont été suggérés par l’entremise de Facebook, où j’avais demandé à mes « amis » de me transmettre leurs recommandations !

Une observation : une grande chaîne de distribution efficace et courtoise a la résistance de son maillon le plus faible (dans le cas présent, un fabricant d’appareils électroménagers incapable de livrer ses appareils à une date pourtant prévue depuis un mois). Dommage, mais l’expérience de la marque se vit du début à la fin ! Et,  dans ce cas, le vendeur du produit prend toute la responsabilité de la mauvaise expérience.

Soyons clairs : ce n’est pas tant l’utilisation excessive de robots qui nous ennuie chez certains gros joueurs (et Dieu sait qu’on en passe du temps à échanger avec eux, au téléphone ou sur Internet) que l’absence d’une véritable relation humaine, franche, courtoise et compréhensive.

La marque de demain sera humaine ou ne sera pas.